Château de Chenonceau, la séduction au féminin
Les femmes l’ont voulu, bâti, enjolivé. Elles l’ont aimé, se sont battues pour le garder, lui ont redonné vie. Chenonceau est à part. Château au féminin, il est aussi le seul château-pont de France, inspiré du Ponte Vecchio florentin.
Passerelle blanche posée sur le Cher, chenonceau n’en finit pas de séduire. romantique ou triomphant, au gré des jeux de lumière, il est toujours d’une extrême élégance ; selon Flaubert :
Son calme n’a rien d’ennuyeux et sa mélancolie n’a pas d’amertume
L’expérience n’est pas donnée à tous, mais un survol de ce bijou ligérien est un pur bonheur : à contempler le délicat dessin des jardins, les lignes pures du bâti qui se refètent dans le miroir de la rivière, on saisit toute la douceur de ce château qui signe sa différence.
L'histoire du château
Une "patte" féminine
Au commencement était une femme… nous sommes en 1513 : Katherine Briçonnet, épouse de Thomas Bohier, homme d’affaires et intendant des finances de François Ier, assume le suivi des travaux en l’absence de son mari et impose sa « patte » féminine, la première d’une longue série.
Elle fait raser le moulin fortifé, remanie le donjon originel – appelé tour des Marques – dans l’esprit Renaissance et fait construire le logis principal sur les piles de l’ancien moulin : une véritable prouesse à l’époque ! Ses galeries centrales sont aussi de grandes nouveautés.
Un lieu à envier
Avant de franchir le seuil du palais, le visiteur traverse une terrasse, bordée de deux jardins : à gauche, celui de Diane de Poitiers, à droite, celui de Catherine de Médicis. La maîtresse, l’épouse, deux femmes qui se disputent un roi et un château : Chenonceau est désormais passé aux mains de la couronne.
La belle Diane, à qui Henri II l’offre en 1547, fait aménager 12 hectares de verdure pour y organiser des fêtes. Mieux : elle reprend le projet des Bohier de jeter sur le cher un vaste pont, et confie le gigantesque chantier à Philibert de L’orme.
La revanche : la construction
Veuve en 1559, la reine Catherine prend sa revanche d’épouse délaissée en jetant son dévolu sur Chenonceau : Diane n’a pas le choix et finit ses jours au château d’Anet. Très inspirée par le charme du lieu, Catherine fait bâtir sur le pont de Diane une galerie à double niveau de 60 mètres de long. Inspirée par le Ponte Vecchio et le corridor de Vasari, que ses ancêtres empruntaient pour rejoindre le palais Pitti ? Sans doute ! En tout cas, une prouesse supplémentaire à mettre sur le compte de l’audace féminine, si présente ici.
Écrin pour célébrer la beauté de Diane, Chenonceau devient, entre les mains de Catherine, un instrument de pouvoir. C’est de là qu’elle va diriger le royaume, c’est dans ses jardins qu’elle organise des fêtes fastueuses, entourée de son « escadron volant » : encore et toujours des femmes !
Visite du château
Il est temps de pousser la porte du château. Les trois étages rendent hommage à la Renaissance triomphante.
- Au rez-de-chaussée, la chambre de Diane et ses murs recouverts de tapisseries des Flandres possède une magnifque cheminée signée Jean Goujon, décorée des initiales H et C entremêlées, pour Henri et Catherine. Mais on peut aussi y lire le D de Diane !
- La chambre de la maîtresse voisine avec le cabinet vert de l’épouse, agrémenté de toiles signées Le tintoret, Jordaens, Véronèse.
- À côté, la librairie et son magnifque plafond à caissons, d’où Catherine surveillait le jardin de Diane. Voisines et rivales, toujours…
Avec ses 60 mètres de long sur 6 de large, ses 18 fenêtres sur le cher, son sol carrelé de tufeau et d‘ardoises, la galerie fut une magnifque salle de bal. On ignore qu’elle servit aussi d’hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale pour plus de 2000 soldats : le château appartenait alors aux ancêtres des actuels propriétaires, les chocolatiers Menier.
Grimpons au premier étage par l’escalier à rampe droite, voulu par Katherine Briçonnet : une révolution pour l’époque. Il dessert les chambres de Catherine, des cinq reines (les deux filles et trois belles-filles de catherine) et de Gabrielle d’Estrées, favorite d’Henri IV. Un homme, quand même, à cet étage : César de Vendôme, fils légitimé de Gabrielle et d’Henri IV, à qui échut Chenonceau en 1624.
L’atmosphère diffère au deuxième étage avec la chambre de Louise de Lorraine : inconsolable, la veuve d’Henri III fit tapisser de draperies noires la pièce où elle vécut recluse les onze dernières années de sa vie. Impressionnant, le plafond peint de couronnes d’épines, d’instruments de fossoyeurs et de larmes…
Est-ce un hasard ? À la mort de Louise de Lorraine, Chenonceau entra dans une longue période de sommeil. Fini la célébration de l’amour, les intrigues de cour et les fêtes fastueuses : les combles abritèrent même un petit couvent où vécurent une douzaine de moniales. C’est une femme, bien sûr, qui sortit le château de sa léthargie : en 1730, Louise Dupin, épouse d’un richissime banquier général, donne à Chenonceau de l’esprit. Elle y tient salon, et quel salon !
Montesquieu, Voltaire, Bufon, Madame du Defand… jusqu’à Rousseau, qui s’éprit en vain de la belle, mais devint précepteur de son fils. Femme lettrée, Louise était aussi une femme de coeur : la vénération que lui vouaient les villageois sauva chenonceau des destructions de la révolution.
Note :
On trouve dans la chambre Louis XIV, au rez-de-chaussée, un très joli portrait de Louise Dupin signé nattier.