Bastia, porte d'entrée sur la Corse
Bastia a tiré de la mer Méditérrannée sa puissance. Son statut de premier port d'entrée de Corse, en a fait une ville prospère grâce aux échanges commerciaux avec le continent et son activité de pêche. Principale ville du pouvoir génois, Bastia a connu, dans son histoire, quelques sièges mémorables. Six siècles plus tard : pêcheurs et militaires ont désormais cédé la place aux plaisanciers.
Une ville attirée par la Méditerranée
Comme Vénus, Bastia est née de la mer… Tout dans son histoire, jusqu’au puissant vent d’est qui la secoue régulièrement, semble prendre sa source dans la Grande Bleue. Dans la petite anse de Ficajola, à l’entrée de la ville, Grecs et Étrusques mouillaient déjà. Puis, les Génois s’approprièrent le petit port local, Porto Cardo, pour en faire la base de leur expansion. En 1380, le gouverneur Leonello Lomellini bâtit en surplomb une bastille ou « bastiglia », qui allait léguer son nom à la ville. Sans cesse transformée, elle existe encore et c’est de ce puissant palais des gouverneurs, qui a pris sa forme actuelle en 1530, que l’on se sent réellement dominer la ville. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les familles les plus glorieuses, les Doria, Spinola, Fieschi ou Cybo, qui donnèrent à foison papes, généraux et amiraux, y ont résidé.
Aujourd’hui, la citadelle est devenue musée. Mais sans renier son lien avec la ville : jadis consacrées à l’ethnographie corse, les collections, depuis la réouverture de 2010, explorent l’histoire municipale. Donc forcément l’attirance pour la Méditerranée : des objets de navigation, des marines brossées par des peintres locaux, mais aussi des objets qui ont bourlingué sur toutes les mers du globe… Par exemple, ces solides coffres de marins en bois peint, avec leur logette à papiers bien calfeutrée. « Ces jolies pièces du XVIIIe siècle gardent secrète leur provenance, explique la directrice, Élisabeth Cornetto. Proviennent-elles de Corse, d’Italie, d’Espagne ? On parle beaucoup de mondialisation mais cela fait longtemps qu’elle est dans les moeurs des navigateurs… De Bastia et du Cap Corse partirent des explorateurs vers l’Amérique dès le XVIe siècle, avec les premiers colons espagnols. »
De la place du Donjon, la vue est si prenante que l’on ne se résout pas à descendre près de l’eau. Il le faut pourtant… « Le soir le beau monde va se promener sur la place Saint-Nicolas, au bord de la mer, où se trouvent la sous-préfecture et la cour d’appel », écrivait l’érudit allemand Gregorovius, dans le compte rendu de son voyage de 1852. Il exprimait une nouveauté du XIXe siècle, car cette place de 300 mètres de long, l’une des plus grandes de France, ne date que de Louis-Philippe.
Terra Vecchia et le vieux port
Le rapport immémorial à la mer, c’est surtout à Terra Vecchia, c’est-à-dire dans le lacis de ruelles du Vieux Port, qu’on le sent encore palpiter. On y arrive comme dans un décor de théâtre, par l’escalier Romieu aux courbes baroques, financé en 1874 par un industriel esthète. « Pour moi, Bastia, c’est un amphithéâtre solaire face à la mer, c’est la célébration de l’aurore, explique le peintre Jean-Paul Marcheschi. Je suis né rue Spinola, en plein sur le Vieux Port. La physionomie des lieux a totalement changé. C’était autrefois le domaine des entrepôts de pêche, des chalutiers, cela sentait le poisson, les artisans pêcheurs étaient nombreux. Tout cela a disparu, grignoté par les restaurants. » Plus de chantiers navals, les pêcheurs se font rares. Dans le bassin, la plupart des embarcations sont de plaisance.
Saint-Jean-Baptiste, plus grande église de Corse
Pour se remémorer l’importance de l’économie de la pêche, peut-être faut-il pousser la porte de Saint-Jean-Baptiste, la plus grande église de Corse, à quelques pas de là. À l’intérieur, outre le tombeau de Marbeuf, on trouve près du choeur les deux chapelles des marins, celles de Saint Érasme et de Saint André, autrefois siège d’une dévotion intense.
Bastia face au canon ennemi
La mer, nourrit, mais menace aussi. En observant les solides remparts, les échauguettes, le bastion de la poudrière, on comprend que Bastia a dû faire face plus d’une fois au canon ennemi. Dès 1533, elle est assiégée par une coalition inattendue, franco-ottomane. En 1745, elle est sous le feu de la marine anglaise, puis des Piémontais en 1758. En 1794, un siège des Britanniques alliés à Pascal Paoli y met à rude épreuve le général Lacombe. « Ici, les actes d’héroïsme n’ont jamais manqué, explique le major Limongi à une classe attentive entassée dans le nouveau musée du Souvenir, à l’entrée de la citadelle. Aux murs, MAT 19 et autres armes, cartes, fanions, photos décolorées. Désobéir, c’est parfois obéir à l’envers ! » Le major fait allusion aux grandes heures du Casabianca, l’un des plus célèbres sous-marins de la Seconde Guerre mondiale. Le 27 novembre 1942, refusant l’ordre de sabordage, il lance à toute puissance ses diesels Schneider et s’échappe de Toulon sous les ordres du commandant L’Herminier pour rejoindre la France libre à Alger. Son rôle devait être essentiel dans la libération de la Corse, qui culminera avec celle de Bastia, le 4 octobre 1943. Il débarquera troupes et armes et donnera des sueurs froides aux Allemands qui le surnommeront « le sous-marin fantôme ». Jean Vilar a incarné le commandant au cinéma. Sur la place Saint-Nicolas, c’est le kiosque du submersible lui-même qui entretient la mémoire de cette saga. Pas toujours facile à voir lorsqu’on sirote un verres de vin du Cap corse en terrasse ou que l’on écoute un concert au kiosque à musique !
Le mariage du bleu et du jaune
Bien plus visibles sont les ferries de la SNCM, de la Méridionale ou de Corsica Ferries, dont le trafic représente désormais plus de 2,5 millions de voyageurs par an. Hauts comme des montagnes, d’un bleu ou d’un jaune éclatant, ils stationnent juste en face, dans les bassins du port de commerce. Une façon de rappeler que le mariage de Bastia et de la mer est une histoire sans fin.