Histoires de châteaux : maisons et sentiments en Bourgogne
Qu’ont en commun les châteaux de Bussy-Rabutin, Châteauneuf et Saint Point ? Hormis leur classement aux monuments historiques et leur appartenance à la même région, ces demeures ont toutes été le théâtre de singulières histoires d’amour ou d’amitié.
Château de Bussy-Rabutin : « rabutinage » en cascade !
Près de Montbard, dans un vallon boisé de l'Auxois, se dresse le château de Bussy-Rabutin. Son hôte le plus illustre, le comte Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), fut tour à tour militaire, écrivain et courtisan du roi Louis XIV. Sa cousine n’est autre que la célèbre marquise de Sévigné, avec qui il entretint, toute sa vie, une correspondance aussi pétillante qu’affectueuse. Les deux cousins s’aiment mais, tels chien et chat, ils cultivent par lettres interposées un féroce esprit de compétition : c’est à celui ou celle qui aura la plus belle tournure de phrase, la plus fine « picoterie » ou la meilleure anecdote… Ils inventent d’ailleurs un style, qu’ils baptisent « rabutinage » !
Indéfectible, cette relation familiale et littéraire n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. A l’origine de leur plus longue brouille : le portrait au vitriol qu’il fait d’elle dans son Histoire amoureuse des Gaules, un pamphlet contant les frasques de la noblesse pour lequel il fut d’ailleurs chassé de la Cour. Condamné par Louis XIV à un exil définitif dans sa demeure de Bussy, il y passe les vingt-sept dernières années de sa vie.
Dès lors il se consacre à la décoration intérieure de son château, où il réussit à convoquer toute l’atmosphère de Versailles. Plus de 300 peintures ornent les murs, retraçant sa vie haute en couleurs. La Tour Dorée ou le Salon des Hommes de Guerre avec leurs innombrables portraits y font figure d’un « réseau social » au temps du Roi-Soleil. Sa complice dans le rabutinage est également convoquée dans de nombreuses pièces, à travers des portraits, ainsi qu’une devise (celle de la cruche d’eau et de la chaux vive) qui symbolise le léger badinage qui liait les deux cousins : « Plus elle me refroidit, plus je m’enflamme pour elle ».
A la fin de leur vie, Roger et Marie s’avoueront à demi-mot qu’ils ne sont rien l’un sans l’autre, comme en témoigne cette lettre de Bussy à Madame de Sévigné, datée du 5 novembre 1687 :« Que ferais-je au monde sans vous, ma pauvre chère cousine ? Avec qui pourrais-je rire ? Avec qui pourrais-je avoir de l’esprit ? En qui aurais-je une entière confiance d’être aimé ? ».
Château de Saint-Point : une immersion poétique
Posé dans un écrin de verdure non loin de Cluny et de Mâcon, le château de Saint-Point est connu pour avoir été à partir de 1820 la demeure familiale du poète et homme politique Alphonse de Lamartine (1790-1869). Quelques mois plus tôt, celui-ci publiait ses Méditations poétiques, qui l’ont consacré père du romantisme en littérature. Grâce au succès de ce recueil, Lamartine entreprend très rapidement des travaux dans ce château datant des XIIe et XIVe siècles. Il le restaure dans le style néogothique anglo-saxon alors très en vogue. Saint-Point se voit ainsi doté d’une galerie quadrilobée digne d’Oxford, d’un porche gothique à colonnettes et à clochetons, de jardins à l’anglaise…
C’est en ces lieux que le poète alors au sommet de sa gloire accueille Victor Hugo, de 10 ans son cadet, le 10 août 1825. Ils se sont rencontrés quelques mois plus tôt et le futur auteur des Contemplations lui voue une profonde admiration. Cette journée scelle une amitié durable entre les deux hommes, qui ne cesseront de correspondre et partageront leurs idéaux républicains. « J’ai toujours aimé Victor Hugo, et je crois qu’il m’a toujours aimé lui-même […] C’est la jeunesse qui fait les amitiés. J’aime Hugo, parce que je l’ai connu et aimé dans l’âge où le cœur se forme et grandit encore dans la poitrine. »
Nul doute que le jeune Hugo fut lui aussi sensible au charme poétique de Saint-Point. Cette demeure merveilleusement chargée d’émotions et de culture offre 200 ans plus tard une plongée dans l’univers intime de Lamartine : la salle-à-manger, son cabinet de travail, sa chambre à coucher, le cabinet de son secrétaire particulier et le grand salon où sont rassemblés nombre de ses objets et souvenirs personnels.
Château de Châteauneuf : cœurs épris en terre d’Auxois
Il était un ancien château-fort du XIIe siècle construit à l’extrémité d’un éperon rocheux… Au cours du XVe siècle, son propriétaire, Philippe Pot, chevalier de la Toison d’or et grand sénéchal de Bourgogne, transforme cet avant-poste en forteresse imprenable, avec deux imposants châtelets d’entrée, au Nord et au Sud, correspondant aux deux principaux axes routiers.
Un beau jour de 1627, un jeune couple tombe en admiration devant cette forteresse. Par chance, elle est alors à vendre et ils la rachètent sans hésiter. Il s’agit de Charles 1er de Vienne, seul héritier de la belle seigneurie de Commarin, et de Marguerite Fauche de Domprel, issue d’une très importante famille de Franche-Comté. Ils se sont unis en 1621 à la grande joie de leurs familles respectives qui voient dans cette union l’intérêt et la prospérité du jeune ménage. En effet, c’est grâce à la dot de Marguerite que des travaux ont pu être entrepris, afin de redonner tout son lustre au château de Commarin. L’acquisition du château de Châteauneuf-en-Auxois leur permet ensuite d’agrandir leur domaine. Là aussi, ils lancent des travaux. Ils redécorent notamment le donjon du XIIIe siècle pour en faire une véritable salle d’apparat où ils reçoivent la noblesse locale.
De nos jours, les visiteurs peuvent encore y admirer leurs portraits armoriés : on y voit ces amoureux du XVIIe siècle, vêtus à la mode du roi et de la reine de France, ainsi que l’aigle de Vienne qui accompagne galamment les 3 licornes de Marguerite. Amoureux et unis pour l’éternité !
A ne pas manquer !
En 2023, ces trois sites se réinventent chacun à leur manière pour offrir un parcours de visite toujours plus attractif. Au château de Bussy-Rabutin, l’aile Sarcus se dévoile au printemps après plus d’un an et demi de travaux, un chantier initié par le Loto du patrimoine/Mission Bern. L’occasion pour les visiteurs de s’immerger dans le mode de vie du XIXe siècle, à l’époque où le comte de Sarcus a acheté le château puis entrepris sa restauration. Des visites thématiques de cette aile seront proposées tout au long de la saison.
Le château de Châteauneuf, qui rouvre ses portes au public le 2 mai 2023, a lui aussi fait l’objet d’un vaste projet de rénovation. Les travaux ont notamment permis de rendre accessibles des zones jusque-là fermées au public et de construire un nouvel accueil.
Enfin, au château de Saint-Point, qui a reçu le label « Maison des Illustres » par le Ministère de la Culture et de la Communication, ne manquez pas le grand salon, véritable musée familial du poète, jadis constitué par sa nièce Valentine de Cessiat. Présentés dans trois vitrines, des souvenirs et objets personnels évoquent sa famille, ses voyages, ses muses, ses sources d’inspiration poétique et sa carrière politique.
En Bourgogne, terre de châteaux par excellence, les édifices remarquables par leur histoire et leur architecture ne manquent pas : découvrez notre sélection !