Fier et pharaonique. Le monumental Lion de Belfort, la statue la plus célèbre d'Auguste Bartholdi (après, bien sûr, La Liberté éclairant le monde de New York),trône depuis 1880 à flanc de roc de la citadelle, tel un sphinx égyptien veillant sur la ville. Pour Bartholdi, l'Alsacien qui fut aide de camp du général Garibaldi, cette œuvre bâtie en grès rose, haute de 11 mètres et large de 22, « représente, sous forme colossale, un lion harcelé, acculé, et terrible encore dans sa fureur »,une manière de « glorifier l'énergie de la défense ».Elle s'est imposée comme le symbole d'une ville qui a « héroïquement » résisté à l'annexion allemande de 1870.
Ancienne ville de Garnison
Jamais la citadelle belfortaine, chef-d'œuvre de Vauban revu par Haxo, ne fut prise malgré trois sièges ennemis au xix e siècle. L'enceinte fortifiée imprenable, alliée au courage des Belfortains, permit au colonel Denfert-Rochereau de résister face aux Prussiens lors du long siège de 1870-1871 (103 jours) et de sauver le rattachement de la ville à la France. « En résistant à l'annexion allemande, Belfort va se métamorphoser, explique Jérôme Marche, assistant de conservation du patrimoine. Même si elle a énormément souffert et si elle a été ravagée par un déluge d'obus, c'est la seule cité de France qui va tirer parti, si je puis dire, de la guerre… Petite ville alsacienne de 8 500 habitants, dans l'ombre de Mulhouse, elle devient une importante ville militaire. On rénove alors les bâtiments démolis, on construit de nouvelles fortifications, on aménage des casernes et, parallèlement, on enregistre une très importante immigration politique et économique à Belfort… » La bourgade voit en effet arriver, après l'annexion du reste de l'Alsace, un grand nombre d'entrepreneurs alsaciens dont la SACM (devenue Alsthom), qui fabrique des locomotives, DMC, une entreprise textile… « Dans une frénésie de construction, la ville s'industrialise très vite vers l'avenue Jean-Jaurès, s'agrandit spectaculairement, se dote de nouveaux équipements, de cités ouvrières… Elle compte 40 000 habitants à la veille de la Première Guerre mondiale ! Belfort devient le chef-lieu d'un nouveau département créé rien que pour elle : le Territoire de Belfort. » Malgré son prestige, Belfort affiche très vite une image tenace de ville grise. « Vous savez, en 1914, vous aviez 10 000 militaires dans la ville,précise Jérôme Marche. C'était alors une ville de garnison, où des générations d'hommes n'allaient pas forcément de gaieté de cœur faire leur service militaire… D'où image grise, conjuguée à sa vocation industrielle – il y avait des machines à vapeur, des cheminées vomissant une fumée noire. Les façades, avant d'être colorées, étaient jadis en pierre ou enduites de crépi….»
Des façades colorées aux tons pastel et des monuments en grès rose, extrait des carrières d'Offemont.
Des façades de style alémanique
Cantonner Belfort à son image militaire ou industrielle serait bien réducteur. Flâner dans la ville, aujourd'hui, est un pur plaisir, tant les efforts pour l'embellir ont été nombreux.Nous nous attendions à découvrir une ville grise et, nous voici pourtant devant des façades colorées aux tons pastel et de splendides monuments en grès rose, extrait des carrières d'Offemont. « Belfort est plus coquette qu'on ne l'imagine ! La municipalité a établi une charte très précise de couleurs pour ses façades, poursuit notre guide. Un choix judicieux : ces couleurs nous rappellent que Belfort constitue l'une des portes d'entrée du bassin alémanique… » C'est par le pont de la porte Brisach, érigée par Vauban à la gloire du Roi-Soleil, que nous pouvons commencer la balade. Au pied de la citadelle, la place des Bourgeois et son ancienne halle aux Grains, ainsi que la pittoresque Grande-Rue, ont gardé leur cachet médiéval. Après la place de la Petite-Fontaine, puis celle de la Grande-Fontaine, nous voici place d'Armes, centre névralgique de la ville conçu à l'origine par Vauban pour accueillir les rassemblements de soldats. Rendue aux piétons, embellie, cette vaste esplanade prend des allures de village avec les transats de ses terrasses et son kiosque à musique… Bien loin d'une froideur militaire ! D'un côté s'élève l'hôtel de ville, de l'autre, l'imposante cathédrale Saint-Christophe, construite dans la première moitié du xviii e siècle par l'ingénieur de Louis XV, Jacques-Philippe Mareschal. D'un grand classicisme, sa façade est scandée de colonnes, mais son austérité est atténuée par le grès rose des Vosges qui flamboie au coucher du soleil.
Un patrimoine Belle Époque
Par la rue de la Porte-de-France, nous arrivons très vite place de la République, où trône depuis 1912 le monument des Trois Sièges, une autre œuvre de Bartholdi – la France qui soutient allégoriquement la ville meurtrie – rendant hommage aux défenseurs de Belfort, le commandant Legrand, le général Lecourbe et le colonel DenfertRochereau. Une préfecture, un palais de justice… Aménagé au xix e siècle, l'ensemble, solennel, est égayé par la majestueuse salle des fêtes, avec son dôme et sa marquise d'entrée, qui a remplacé en 1913 un manège où s'entraînaient les militaires cavaliers. Plus loin, rue du Docteur-Fréry, s'élève le vaste marché couvert, très Belle Époque, dans ses halles métalliques, rendez-vous des gourmets. « Après la guerre de 1870-1871, l'idée est alors de faire de Belfort une “vitrine de la France”. Un miniquartier “parisien“ pousse à la place d'un no man's land militaire. Des squares, un théâtre, de beaux immeubles... » Eugène Lux réalise ainsi, en 1904-1905, le marché couvert de Fréry, un bâtiment construit sur le modèle des Halles de Paris.
Tout cela, on le découvre en arpentant le quartier blotti entre la vieille ville et le pont Carnot. Dans ce « petit Paris » s'élèvent d'élégants immeubles haussmanniens, avec des balcons finement ouvragés, des toitures en ardoises – ce qui n'est pas du tout belfortain–, des éléments décoratifs telles des portes cochères travaillées ou des ferronneries savantes… Vous découvrirez des pépites architecturales de style éclectique ou Art nouveau, comme le grand hôtel du Tonneau d'Or et ses vitraux signés Jacques Grüber. Quant aux berges de la Savoureuse, tranquille rivière qui traverse la ville, elles ont été ces dernières années aménagées en promenade. Au-delà de la place Corbis, avec son théâtre Le Granit, relooké en 1983 par Jean Nouvel, nous sommes dans la ville neuve, commerçante, avec le faubourg de France qui se prolonge par de nombreux quartiers jadis ouvriers. En vous baladant rive droite, de belles surprises vous attendent comme, place des Quatre-As, cette immense fresque (1988), signée Ernest Pignon-Ernest, représentant quarante-six personnages européens des sciences et des arts et symbolisant la proximité des cultures latine et germanique (Molière, Beethoven, Bartholdi, Apollinaire, Freud, Marie Curie, Hugo, ou Marlene Dietrich…) auxquels s'ajoute un quaranteseptième personnage, l'Iliaded'Ingres. Un hommage pacifiste dans une ville marquée, tout au long de son histoire, par le son des canons.