À la découverte du canal du Midi en bateau, entre Homps et le Somail
Louer un bateau habitable est la meilleure façon de découvrir le canal du Midi. Première destination fluviale française, la voie d’eau est très fréquentée entre Homps et Le Somail, dans l’Aude. Ce tronçon est marqué par la présence de beaux villages, de caves viticoles et d’une intense vie riveraine. Sur cet itinéraire aller-retour de trois jours, chacun peut s’initier à la vie de yachtman, tout en se laissant gagner par la lenteur bienfaitrice de la navigation.
Nous n’avions jamais loué de bateau de plaisance. Aussi la surprise fut-elle grande, à Homps, de découvrir notre Royal Mystique A : une « pénichette » de 13 mètres de long pour 4 mètres de large, avec pont supérieur façon jet-set, salon intérieur et cuisine XL, cabine principale « nuptiale » à la poupe et même air conditionné. Utile par les fortes chaleurs estivales ! La compagnie Le Boat, leader des croisières sur le canal du Midi, avait fait les choses en grand… L’autre surprise fut de devoir s’atteler au pilotage. Car oui, en France, il est possible de louer des bateaux fluviaux (jusqu’à 15 mètres de long) sans permis ! Autant dire que nous avons été particulièrement attentif aux consignes données par le personnel, et… plutôt fébrile à l’heure de prendre la barre, pour la session de formation.
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Marches avant, arrière...
Homps est un charmant village de l’Aude, à 30 kilomètres à l’est de Carcassonne, dont l’activité touristique repose entièrement sur le port de plaisance. On y trouve une base du loueur Le Boat et 30 anneaux. Jadis, il a prospéré dans le transport du vin. Les maisons s’étirent le long du bief, jalonné de restaurants saisonniers et traversé par un pont piétonnier contemporain, d’où des ados – c’est pourtant interdit – se jettent dans le canal… Cependant, les premières minutes passées à la barre n’autorisent guère de divertissement. Comme ce bateau est grand ! Première alerte, un yacht arborant le drapeau sud-africain (la réputation du canal du Midi auprès des Anglo-Saxons est immense) a entrepris d’accoster. En travers du canal, il occupe toute la place. Marche avant. Marche arrière… Il s’agit de s’arrêter pour qu’il achève sa manoeuvre, sans toucher les bateaux amarrés des deux côtés du canal. Frissons.
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Des nœuds « À tour mort »
À peine le temps de nous habituer, et voici qu’arrive la première écluse. Nous voici dans le bassin, entre les portes. Une corde tenue à l’avant, sur le quai, par la compagne de voyage ; une autre maintenue, depuis l’arrière du bateau, par votre serviteur. Nous allons vers l’est et la mer : c’est donc, dans ce sens, une écluse descendante. Il faut attendre que le bassin se vide pour atteindre le niveau bas, et pouvoir franchir la porte aval. Le « risque » est double. En premier lieu, à la descente, la poupe peut s’accrocher au bord du quai. Il faut donc veiller à décaler le bateau de la bordure. Pire, il peut rester suspendu dans le vide, au cas où les marins auraient malencontreusement noué les cordes aux bornes d’amarrage ! Les éclusiers, le plus souvent accueillants, nous le répéteront au fil de l’eau : il faut faire des nœuds « à tour mort », c’est-à-dire enrouler la corde à l’amarre, et la tenir sans la fixer.
Un petit sentiment de liberté
Le bief suivant est assez court, ainsi que nous l’indique la carte de navigation, remise avec le manuel de bord. Il mène jusqu’à l’écluse à chambre double d’Ognon. C’est le premier temps de navigation tranquille, avec des moteurs bridés et une vitesse maximale autorisée de 8 km/h – beaucoup moins dans les ports. C’est pour nous, un changement de rythme assez radical dans une vie quotidienne généralement plus impatiente. C’est l’intérêt de la croisière : passer en mode « slow et détox », argument marketing repris par certains opérateurs dans leurs brochures. Nous prenons la décision de nous arrêter avant celle de Pechlaurier. Nous l’avons aussi vu sur la carte : des bornes d’amarrage sont présentes sur la rive droite. Ce sera toujours mieux que de sortir les piquets et le marteau pour planter nos attaches. À cet instant, un petit sentiment de liberté nous envahit. Le soleil décline et une douce fraîcheur commence à monter de l’eau. Moment rêvé pour un apéritif sur le pont. Le loueur nous a prêté un vélo et nous pédalons ensuite, le long du canal, pour rejoindre le village d’Argens-Minervois, où le restaurant La Guinguette nous attend. Nous dînons en terrasse au bord de l’eau, avant un retour hardi de nuit au bateau.
Argens-Minervois et son château du XIVe siècle
Après une nuit douillette, c’est le réveil. Il est 8 heures 30, le soleil est déjà monté et les cigales ont repris leur concert. Petit déjeuner pris, toilette faite grâce au générateur qui fait tourner la clim’ et permet d’avoir de l’eau chaude sous pression dans la douche, nous démarrons le bateau et nous présentons à l’écluse double de Pechlaurier. Nous y croisons Sabine Boussenac, l’éclusière, sympathique et rassurante. Puis voici à nouveau Argens-Minervois, dominé par son château massif du XIVe siècle. Le ciel a viré blanc-bleu, signe annonciateur de grosses chaleurs. Nous dressons donc le bimini, cette toile qui protège le pont des ardeurs du soleil. L’équipement est indispensable sur ces portions du canal du Midi où, hélas, les platanes, rongés par la maladie, ont disparu. Le risque est d’oublier de le rabattre, avant le franchissement des ponts… « Ouvrir l’oeil », telle est la devise du capitaine ! L’écluse d’Argens avalée, une longue portion de navigation nous attend jusqu’au Somail. Ici et là, des bateaux d’occupation permanente sont fixés aux rives. Certains arborent fièrement le drapeau occitan. Nous glissons entre Minervois, à gauche, et Corbières, à droite, dans un paysage de plaines peignées de vignes, sur fond de coteaux de garrigue. L’avantage de cette navigation, c’est de pouvoir s’arrêter où l’on veut. Nous faisons halte sur les quais flambant neufs de Paraza, histoire de déambuler dans les ruelles de ce village viticole, avant de nous rendre au château, un domaine réputé. L’église Notre-Dame-de-l’Assomption se dressait jadis sur le passage du canal. Pierre-Paul Riquet l’a fait démolir et… reconstruire plus haut !
Convialité discrète et solidaire
Nous reprenons la marche en avant et franchissons, pile au milieu, le pont ancien à arche unique du village de Paraza. Un demi-mille nautique plus loin, le canal fait un coude pour franchir le Répudre sur le pont-canal. L’ouvrage serait l’un des plus anciens au monde et le premier de ce type à avoir été construits en France… Ventenac-en-Minervois, la commune suivante, signe l’arrêt quasi obligatoire au château viticole : il est au bord du canal ! Il dévoile son passé et ses coulisses aux visiteurs qui acceptent de grimper quelques marches : le « Grenier des Vignerons » recèle des outils anciens nécessaires au travail de la vigne et de la vinification. Alors que l’orage menace, quelques platanes, enfin, daignent faire leur apparition sur les rives. Comme la navigation devait être (encore plus) belle quand elle s’effectuait entièrement sous un tunnel de verdure… Nous saluons des bateaux amis, avec cette convivialité discrète et solidaire qui caractérise le peuple des mariniers – dont nous faisons partie ! – et parvenons au Somail, terme de notre voyage.
Au rendez-vous des plaisanciers
Le Somail, sur le canal du Midi, c’est comme Cannes sur la Côte d’Azur. Un village « de rêve » et un lieu de passage obligé, avec vieux pont en arche, chapelle du XVIIe siècle accolée (la cloche sonne toujours à 18 heures) et effervescence marchande. Tous les plaisanciers semblent se donner rendez-vous autour d’un restaurant-terrasse (Le Comptoir Nature, excellent), de la péniche épicière Tamata ou de la librairie Le Trouve Tout du Livre, tenue par l’aimable Nelly Gourgues. Nous passons notre seconde nuit ici, amarré sur les quais, bercé par une impression agréable, celle d’appartenir à la communauté libre des mariniers… Il reste un jour de navigation pour rentrer à Homps. L’occasion pour nous de voir le paysage fluvial sous un autre angle, de distinguer des détails occultés à l’aller. À la remontée, le franchissement des écluses est plus rock’n’roll, l’avant du bateau chassant avec le flux montant. Mais cette fois, nous l’abordons en tant que « pro » ! Avec le sentiment du devoir accompli, nous rendons le « navire ». Et déjà, l’envie de renouveler l’expérience.