Le plateau du Cézallier : vertige à l'horizontale
Le Cézallier apparaît telle une steppe solitaire et démesurée, aussi douce de rondeurs sensuelles que violentée par la froidure et la burle. Découverte.
L'Auvergne, écrivaient Vialatte et Pourrat, est une île au cœur de la France. Le plateau volcanique du Cézallier, lui, serait plutôt une mer, paradoxale, soulevée au-dessus des terres. Un océan vert courant vers l’horizon en vagues souples, et quelques chapelles perchées sur ses rebords en guise de phares. Ainsi, celle de Saint-Alyre-ès- Montagne, tout au nord, celle de Chanet, perdue à l’est d’Allanche, avec son enclos minuscule, son porche creux pour protéger des bises mordantes et ses fresques romanes de cinéma (réalisées en 2002 pour Le Frère du guerrier, film de Pierre Jolivet). Ou encore à l’ouest, la chapelle Valentine, vigie blanche et noire au clocher carré, sur son promontoire dominant la Santoire et le hameau de la Gazelle...
Massif du Cézallier, des airs de « Petite Mongolie »
Pour Marie-Hélène Lafon, dont l’écriture sèche traduit superbement le caractère singulier du massif, tout commence dans cette vallée frontière : « J’ai grandi non loin de Ségur-les- Villas. Mon monde était – est toujours – centré sur Allanche, Marcenat, Landeyrat ; ces terres d’estive, “petite Mongolie” de steppe tondue, émaciée, constituent l’essence même du Cézallier. »
En termes de superficie, cette entité n’est pas grand-chose : cinq pour cent du territoire cantalien, plus un petit morceau du Puy-de-Dôme, où les volcans ont superposé leurs laves il y a plus de trois millions d’années.
Jusqu'au Mont Chamaroux
Une ancienne calotte glaciaire y a semé lacs et tourbières, et en a aplani les reliefs au point que ses sommets, au nord le Signal du Luguet et ses 1 551 mètres d'altitude, au centre le mont Chamaroux qui culmine à 1 476 mètres, n’y semblent plus que des collines à peine accentuées. Côté ouest, des tourbières du Jolan à celles de La Godivelle, de hauts plateaux herbus où le moindre bosquet fait exception s’étirent en longues solitudes, à peine griffées de quelques murets et clôtures, piquées de burons. Côté est, le plateau en corniche se coupe d’une succession de vallées boisées où cascadent les eaux claires de la Couze, la Sianne, l’Allanche...
Allanche : l’épicentre du Cézallier
Les bourgs assoupis derrière leurs murs sombres et leurs volets clos, les fermes éparpillées, environnées sans coquetteries inutiles de tracteurs, de citernes, de gros ballots de foin verts ou noirs et d’hirsutes machines à faner, se blottissent pour la plupart dans des replis aux marges du territoire. Allanche, selon Marie-Hélène, est l’épicentre du Cézallier. La commune, qui se trouve à environ 780 mètres d'altitude fait partie du Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne. Même si sa situation est celle d’une porte sud, le bourg est chef-lieu du canton : autant dire une capitale. Dentiste, notaire, coiffeur, commerces, l’indispensable est là, distribué autour d’une longue rue aux devantures vieillottes que prolonge la place des marchés et des foires. La star du pays, la vache salers, y trône, taillée dans le basalte.
Fin mai, quand pour la fête de l’Estive les troupeaux venus du bassin d’Aurillac défilent, cap sur la montagne, elle est la seule à rester plantée là, avec son veau et son buronnier... « Les gens du pays regardent avec parfois un soupçon d’ironie – le Cantalien en manque rarement – cette fête ressuscitée depuis peu, son folklore et ses milliers de curieux. Mais personne ici n’oublie ce qu’elle matérialise : le sauvetage in extremis d’un modèle d’économie pastorale vieux comme ce monde, à deux doigts de sombrer dans les années 1970. »
Longue corne, œil hautain
Vivante, rentable, la transhumance a rendu sa vigueur à l’économie rurale. Seule la fabrication du fromage s’est perdue. Sur le plateau, on est au royaume des bêtes rousses, flamboyantes et élancées, la longue corne fière et l’œil hautain : pas un chemin où elles ne vous toisent du haut du remblai, pas un vallon où ne se répercute le tintement des sonnailles.
L’activité pastorale et le temps des buronniers sont d’une époque quasi révolue dans le massif du Cézallier (ici, à proximité de Montgreleix). Au fond, le mont Chamaroux qui, du haut de ses 1 476 mètres, marque la limite entre Cantal et Puy-de-Dôme.
Plus loin, des routes rapiécées relient les villages, en évitant de s’aventurer vers le cœur du plateau où les vicinales vous perdent, tantôt entre joncs et sphaignes spongieuses, tantôt dans les nuages. Les 10 mètres de pierraille où vous avancez semblant soudain flotter sur une mer de coton blanc... Marcenat, Montgreleix, puis La Godivelle : une poignée de maisons jetée entre deux lacs, celui du haut, ancien cratère profond, et celui du bas, distant d’à peine 400 mètres. Et au milieu, une monumentale fontaine abreuvoir, presque un troisième lac... Au bas du village, Les Sagnes, c’est-à-dire le marais, la réserve naturelle protégée abrite des centaines d’espères rares, animales ou végétales ; à l’automne, on y guette les migrateurs de passage.
Le lac d’En-Haut, dans la réserve naturelle nationale des Sagnes de La Godivelle (Ardes-sur-Couze), est situé à proximité du lac d’En-Bas et de sa grande tourbière adjacente d’une superficie de 24 hectares.
On ne tombe pas par hasard sur ces coupoles de cuivre rouge qui luisent au soleil rasant... De Marcenat, il faut prendre vers Montgreleix, puis, avant le pont du Bonjon, grimper à droite par un bois touffu : le monastère orthodoxe Znaménié − traduisez « de l’icône de la mère de Dieu », ou encore « du Signe » − est caché juste après Le Godde. Les moniales installées là en 1988 par le père français Barsanuphe ont relevé de leurs mains la ferme abandonnée, et bâti l’église en forme de croix grecque. Entre deux offices chantés en slavon liturgique, elles produisent des icônes traditionnelles et du miel. Visites réalisées en période estivale et uniquement sur réservation au 04 71 78 84 68.