Ajaccio, une destination prisée du tourisme balnéaire
Si l'on associe Ajaccio à Napoléon Ier, son neveu Napoléon III a tout autant influencé le développement de la ville, en la préparant à devenir une destination prisée du tourisme balnéaire. Pendant un demi-siècle, jusqu'à 1914, Ajaccio devient l'une des perles mondaines de la Méditerranée, accueillant les villégiateurs fortunés. Le quartier des étrangers a gardé les marques de ce passé brillant.
Quelle que soit la façon dont on aborde Ajaccio, impossible d’éviter Napoléon ! Voici, rue Saint-Charles, la maison où il vit le jour le 15 août 1769 – sur un tapis, car, dit la légende, Letizia n’eut pas le temps d’arriver jusqu’au lit pour accoucher ! À quelques encablures se trouve la cathédrale où il fut baptisé le 2 juillet 1771. Plus loin, la grotte du Casone où, dit-on, il s’isolait pour lire les classiques. Napoléon prendra son envol à 10 ans vers le collège d’Autun et l’école militaire de Brienne et ne reviendra plus guère dans sa ville natale : quelques séjours jusqu’en 1793, puis une brève escale à son retour d’Égypte en 1799.
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Les bases du tourisme moderne
Ce qui ne l’empêchera pas de favoriser Ajaccio au détriment de Bastia, en en faisant la capitale du département unique de la Corse en 1811. De loin, il supervisera également les projets d’agrandissement demandés à l’ingénieur maltais Petrucci. Insatisfait du résultat, il aurait, selon la légende, tel le tsar Nicolas Ier dessinant à main levée une ligne de train, pris une plume et griffonné à la va-vite ses desiderata sur un plan. Résultat : arasement de l’essentiel des remparts, naissance des deux grands axes rectilignes et perpendiculaires (cours Grandval et cours Napoléon) et de la place qui les soude (place Charles-de-Gaulle). La petite ville (5 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle) pouvait ainsi sortir de son vieux centre et s’étendre vers l’ouest. Sans le savoir, Napoléon posait ainsi, avec cette voirie large et aérée, les bases du tourisme moderne, qui a besoin d’espace pour poser ses hôtels fastueux. Nous voici donc sur ce cours Grandval, auquel fut donné en 1862 le nom du filleul de Letizia Bonaparte, capitaine d’industrie enrichi dans le sucre. C’est le coeur de ce fameux quartier des étrangers, conçu dès sa création pour attirer les villégiateurs fortunés d’Europe du Nord. Une artère en pente douce aux trottoirs bordés de platanes et palmiers. C’est ici que prend naissance la grande aventure du tourisme ajaccien, auquel il faut bien associer un autre Napoléon, dit « le petit ». En septembre 1860, en route pour l’Algérie, Napoléon III fait en effet une halte remarquée de deux jours avec l’impératrice Eugénie. En prononçant la formule « la Corse n’est pas un département comme les autres, c’est une famille », il a déjà en tête les potentialités d’Ajaccio dans le tourisme balnéaire. Deux ans plus tard, son beau-frère et grand chambellan, le comte Félix Baciocchi, fonde la société des Cottages.
Decaux au secours de Charles Bonaparte
En 1949, un tout jeune Alain Decaux de 24 ans écrivait dans Letizia : Napoléon et sa mère : « Pourquoi ne ramène-t-on pas à Ajaccio, dans cette même chapelle, les cendres de Charles Bonaparte, oubliées en l’église de Saint-Leu (…) » L’écrivain verra son souhait exaucé dès 1951 lorsque le père de Napoléon Ier rejoint d’autres membres de la famille (notamment Letizia et le cardinal Fesch) dans cette somptueuse chapelle adjacente au musée Fesch. Construite entre 1857 et 1859, elle est décorée notamment de fresques en grisaille de Jérôme Maglioli.
Des lieux sains
On a compris le potentiel des hivernants anglosaxons et, en empruntant leur terminologie, on s’apprête à construire des pavillons adaptés à leurs exigences de confort. De l’espace, de l’air pur, de la vue : tout cela ne pouvait certes se trouver dans la vieille ville ! Le médecin personnel de Napoléon III, Prosper de Pietra Santa, rédige lui-même en 1864 une notice dithyrambique sur la Corse et la station d’Ajaccio. Une température hivernale de 13 °C en moyenne : plus douce que celle qui règne à Nice, dans cette région concurrente qu’un journaliste inventif va bientôt baptiser la Côte d’Azur. Il ne manque plus que l’homme charismatique qui servira de catalyseur. Ce sera une femme…
Souvenir Napoléonien
Philippe Perfettini connaît tout sur la famille Bonaparte. Responsable du département des peintures corses au musée Fesch, il vient d’être chargé par le maire, Laurent Marcangeli, de diriger un projet napoléonien. « On peut identifier des traces dans plus de cent lieux ! Il y a les maisons mais aussi les statues, comme le groupe de Napoléon et ses frères, conçu par Viollet-le-Duc, place Charles-de-Gaulle (ancienne place du Diamant), des églises et des chapelles, la bibliothèque patrimoniale du palais Fesch, avec son escalier d’honneur. Et d’autres lieux moins connus, comme l’ancienne quarantaine des îles Sanguinaires ou l’hôtel de la Croix de Malte, où séjourna Murat en septembre 1815 avant son dernier combat à Pizzo en Calabre, où il sera capturé et fusillé. Ou encore le château de la Punta, construit avec des pierres provenant du château des Tuileries… »
L'influence de Miss Campbell
En 1859, un médecin établi sur place, le docteur James Henry Bennet, tresse les éloges d’Ajaccio dans le Times de Londres. Deux ans plus tard, l’écrivain Thomas Forester encense l’île dans ses Rambles in the islands of Corsica and Sardinia. C’est dans la lignée de ces prédécesseurs britanniques que s’inscrit Miss Thomasina Campbell. Cette énergique Écossaise, célibataire à la poigne de fer, s’installe en 1867 et produit aussitôt sa propre monographie, Southward Ho ! Elle investit sans compter sa fortune, achetant des terrains pour bâtir sa villa des Paons, en pierres apparentes, et finançant la construction d’une église anglicane. Il fallait bien veiller à la santé religieuse de ses concitoyens ! Les deux édifices sont encore debout, bien qu’ayant changé de propriétaire. Chaque jour, l’église accueille des petites ballerines tandis que s’en échappe une tonique musique de piano : une reconversion réussie ! De grands hôtels de voyageurs ouvrent. Le premier est le Germania, au nom tristement prédestiné : en août 1869, à la veille de la guerre franco-prussienne et de la chute de l’Empire, c’est là que loge l’impératrice Eugénie, venue assister au centenaire de la naissance de Napoléon Ier.
Au Grand Hôtel d'Ajaccio et Continental
Le plus spectaculaire est le Grand Hôtel d’Ajaccio et Continental, construit par l’architecte emblématique Barthélemy Maglioli, inauguré en 1894 et géré par le cousin de César Ritz. Il dispose de cent chambres, d’un orchestre, d’un parc et l’on peut y confier ses enfants aux sévères gouvernantes bernoises. Dans son ouvrage
fouillé sur la période, Ajaccio station d’hiver, l’historien Paul Lucchini a mis la main sur un menu du 27 janvier 1895 : potage aux queues de tortue, chaud-froid de perdrix en belle-vue, asperges violettes au beurre de Briançon, oie de Strasbourg rôtie aux marrons. La diététique était alors une préoccupation secondaire…
La deuxième vie des palaces
Que sont devenus ces marqueurs de la Belle Époque ? Le Grand Hôtel a connu une reconversion éclatante : il accueille désormais l’Assemblée de Corse. Un peu plus loin, cours du Général-Leclerc, l’hôtel Cyrnos a été transformé en appartements, privilégiés par les professions créatives, architectes et designers. Sa cage d’escalier peinte en cieux et nuages invite à la rêverie. Les cottages Baciocchi, objet d’un scandale retentissant à l’époque (Baciocchi avait obtenu les terrains pour une bouchée de pain) plaisent aux sociétés de notaires ou à l’agence du patrimoine. Il reste bien d’autres souvenirs nostalgiques de ce passé révolu comme la Villa des Glycines, ce petit hôtel où séjourna le jeune Matisse (angle de la rue Gabriel-Péri et du boulevard Sylvestre-Marcaggi), et d’où il peignit son beau Mur rose. Ou encore le princier palais Conti. « Ce fut la première demeure construite dans ce quartier d’Ajaccio en 1855, explique notre guide, Philippe Perfettini, responsable des collections napoléoniennes au musée Fesch. Cet homme puissant, ancien receveur-général de Gironde, se fit muter à Ajaccio, où il présida la Société d’agriculture, des sciences et des arts. Son superbe hôtel particulier servit très brièvement de musée napoléonien, pour une exposition entre mai et août 1855. Mais la municipalité n’ayant pas eu les moyens de l’acquérir, sa vocation ne persista pas ! »
Où est passée la couronne d'or ?
En 1899, pour le centenaire du Consulat, alors qu’Ajaccio prospère comme capitale d’un tourisme huppé, une souscription publique permet de financer une couronne de laurier en or massif, d’un poids de 2 kg. Réalisée par la dynastie d’orfèvres Falize, elle est exposée à la maison Bonaparte avant de rejoindre le salon napoléonien de l’hôtel de ville, où elle sera subtilisée en 1996. Probablement fondue par les voleurs, elle a peu de chance d’être retrouvée…
La fin d'une station d'hiver
La fin du siècle marque l’apogée du tourisme aristocratique. En 1890, les gazettes signalent le passage « incognito » de l’impératrice Sissi pendant une semaine. En 1899, on peut se procurer chez Edgardo Cursy la première voiture automobile. Ajaccio s’est décidément imposée sur la carte de l’Europe qui compte. Pourtant, si l’on compte mille hivernants stables en 1901, si George V d’Angleterre amarre encore son yacht Britannia en 1905, les indices de déclin s’accumulent. La concurrence de Nice, Hyères et Monte Carlo devient féroce. La Première Guerre mondiale sonnera le glas définitif d’Ajaccio, station d’hiver. Les nouvelles générations préféreront le tourisme d’été, la plage, les loisirs sportifs. Une page se tourne…