Cargèse, petit village de la côte ouest de Corse
À peine plus de mille habitants vivent à Cargèse en Corse mais son histoire est plus riche et mouvementée que bien des grandes villes ! En bord de mer et perchée sur son belvédère de la côte ouest, Cargèse a su, depuis l'installation d'une colonie grecque à la fin du XVIIe siècle, élaborer une vie communautaire originale tout en préservant ses traditions. Posez votre carte, faites vos valises et prévenez les enfants, Détours en France vous emmène faire un tour à Cargèse. Suivez le guide !
Des migrants venus de Grèce qui demandent à s’installer en Corse ? Des habitants inquiets que cette nouvelle population s’intègre mal et pèse sur le marché du travail ? Il y a trois siècles, les problématiques qui agitent aujourd’hui l’Europe étaient déjà monnaie courante. Dans le cas en question, il s’agissait d’une communauté de Grecs du Péloponnèse, originaires de Vitylo (aujourd’hui Oitylo), dans la péninsule du Magne, qui entendaient se soustraire à la domination ottomane contre laquelle ils s’étaient battus.
Paomia, village fantôme
La Corse étant alors sous domination génoise, l’autorisation fut concédée aux candidats à l’exil de s’y installer à condition qu’ils italianisent leurs noms, qu’ils choisissent de s'installer dans une zone isolée et qu’ils mettent de l’eau dans leur vin orthodoxe en reconnaissant le pape… Une fois ces clauses admises, la colonie arrive à Gênes le 1er janvier 1676. Puis, après un accostage sur une plage corse non identifiée, prend racine sur les hauteurs, à Paomia, le 14 mars 1676.
Depuis Cargèse, en empruntant les lacets d’une petite route de campagne, la D181, on a bien du mal à retrouver cette Paomia, qui était alors divisée en cinq hameaux. Simplement de vieilles pierres mangées par les ronces, des oliviers retournés à l’état sauvage, les ruines d’une abbaye… Village fantôme, Paomia est aujourd’hui déserté et on n’y lit qu’une plaque émouvante sur l’ancienne église : « 1676-1731. Sur cette terre, vécurent dans la fierté, le travail et le respect de leurs traditions, huit cents Maïnotes épris de liberté. » Mais, à Cargèse même, où la colonie s’est acclimatée par la suite, on décèle les étymologies grecques dans les patronymes actuels – Stephanopoli, Capodimacci, Dragacci, Voglimacci et autres Exiga et Frangolacci.
Chassés à Ajaccio
Certains descendants continuent même de parler grec. « On m’appelait Zorba à l’université et je connais ma généalogie sur quatorze générations, explique l’actuel maire de Cargèse, François Garidacci, qui descend d’une famille dont le nom était Garidakis. Nous avons des documents remontant à 1650. Pour aller plus loin, il faudrait se rendre aux archives, à Athènes. Nous avons conservé des liens avec Vitylo, notamment en matière d’échanges culturels. » En 1731, lorsque les Corses se soulèvent contre Gênes, les Grecs de Paomia sont bien embarrassés : doivent-ils aussi se révolter contre leurs hôtes ? Ils n’en font rien et sont chassés à Ajaccio tandis que leur village est brûlé et pillé.
Une confrérie bien vivante
Elio Delfini ne peut cacher son origine grecque, crétoise même. À 87 ans, il est prieur de la confrérie de Saint-Antoine, dont la flamme brûle depuis 1894. « À l’époque, la confrérie se finançait par une taxe modeste qui permettait d’apporter une sorte d’assurance décès à ses membres, couvrant les frais de cercueil, de cierges, etc. Aujourd’hui, la confrérie continue de prendre en charge la messe du défunt. Et elle maintient les traditions, notamment la fête patronale du 17 janvier, quand la statue d’une cinquantaine de kilos est portée en procession à travers le village, dans la tenue d’autrefois (aube blanche et cape bleue). »
Cargèse, une ville de 120 maisons
En 1769, lorsque la Corse devient française, et alors qu’ils envisageaient une nouvelle errance vers l’Espagne, le comte de Marbeuf, gouverneur de la Corse, leur fait construire une ville nouvelle de 120 maisons : Cargèse ! On y voit toujours cet habitat en damier, et c’est dans l’une de ces rues, évidemment dédiée au même Marbeuf, que se trouve l’actuelle mairie ou Casa Cumuna. Les Grecs sont à peine installés qu’une autre tourmente se prépare, la Révolution française. Des Jacobins enflammés les repoussent de nouveau vers Ajaccio. Ce n’est qu’en 1797 que la communauté peut enfin revenir de manière stable à Cargèse. Elle n’en bougera plus.
« Ce n’est pas tout à fait vrai, explique le maire. Les habitants ont toujours conservé ce gène nomade. En 1874, certains d’entre eux se remettent en route et s’installent à Sidi Merouane en Algérie, dans le Constantinois, pour y fonder une Nouvelle Cargèse, y cultiver la vigne et les céréales. En 2003, en pleine période de guerre civile, nous y étions allés avec le président Chirac, quand il avait été décidé de réunir dans l’ossuaire de Chelghoum Laïd (édifié spécialement pour accueillir les restes funéraires des Corses de la région de Mila) les tombes des natifs de Cargèse, ce qui a été réalisé en 2007. »
Des églises solidaires
Aujourd’hui, à Cargèse, les fracas de l’histoire se sont tus. Les deux églises, construites au XIXe siècle, à cinquante ans d’intervalle, se font face. Dans une scénographie théâtrale, sur un promontoire, elles sont bordées de palmiers et d’oliviers. Toutes deux sont le résultat d’une vraie ferveur : c’est une souscription qui lance l’église latine, qui mettra plus d’un quart de siècle à être construite. Quant à l’église grecque, achevée en 1874, ce sont les fidèles eux-mêmes qui y travaillent le dimanche après la messe, jusque dans la nuit.
Autrefois rivales, elles sont aujourd’hui solidaires. On y a même assisté à une situation impensable ailleurs en ces temps de crispation religieuse : jusqu’à sa retraite en 2010, monseigneur Marchiano a assuré l’office dans les deux rites (dont l’un en grec ancien !) Et lors des grandes dates du calendrier – la fête du basilic (14 septembre, rappelant la découverte de la Vraie Croix par Hélène, guidée par l’odeur du basilic), la Saint-Spiridon (12 décembre), la Saint-Antoine-Abbé (17 janvier) ou le lundi de Pâques, c’est tout le village qui participe. De quoi en tirer une belle parabole : quand la religion unit plutôt que divise.
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