J1: de Charleville-Mézières à Haybes, 54 km
La Voie Verte en suivant la Meuse
Café-terrasse avalé place Ducale, je pars sous un beau soleil automnal. Le musée Rimbaud dans le dos, la voie verte me tend les bras et je file sans attendre sur les bords de Meuse. C'est le charme des villes moyennes de province : quelques tours de roues suffisent à se retrouver à la campagne. À Montcy-Notre-Dame, le fleuve placide a déjà oublié la ville et longe des prairies de fauche, entre des versants boisés. Un héron attend sa proie dans un pré, à côté d'une ferme où la cheminée fumante anticipe l'hiver à venir. Deux pépés à casquette sont assis sur des fauteuils pliants, leurs cannes à pêche trempées dans l'eau. Sur le bitume impeccable de la voie de halage, le rythme est régulier, l'effort, mesuré. Plaisir de pédaler en liberté…
Au fil des hameaux et d'une vallée enclavée

En cet après-midi de fin d'été, je longe des hameaux riverains aux maisons alignées, précédées de petits jardins. Au sol, des feuilles mortes, craquantes sous les roues, annoncent déjà l'automne. Rive droite, rive gauche, des villages figés scandent l'itinéraire. Nouzonville, Joigny-sur-Meuse, Bogny-sur-Meuse… se signalent par leurs églises à clocher pointu. Certains ont aménagé leurs berges, comme Braux, où des mamans promènent leur progéniture. France familiale où le temps s'écoule sans exigence particulière... Monthermé éveille un peu les sens. Un claquement régulier résonne dans la vallée. Il provient de l'entreprise Forgex Raguet, héritière des forges qui jalonnaient autrefois les rives de la Meuse. De cette vigueur industrielle, il ne reste que de rares vestiges, un atelier de métallurgie, deux à trois autres forges… Je croise un retraité, sur un banc. « Des trains entiers d'ouvriers montaient chaque matin de Charleville pour desservir les usines de Nouzonville, Monthermé, Fumay… C'est fini, désormais. La vallée est trop enclavée et les entreprises ne viennent pas, à cause des accès logistiques difficiles », me dit-il.
La boucle de Monthermé

Monthermé garde belle allure, pourtant. De grosses bâtisses en pierre se reflètent dans l'eau. L'ancienne abbaye de Laval-Dieu lui ajoute une touche patrimoniale, au confluent de la Meuse et de la Semois. L'encaissement de la vallée donne ici des envies d'ascension. C'est une façon d'échapper à l'enfermement du corridor. Je grimpe au-dessus de Monthermé jusqu'à la roche à Sept-Heures. Béni soit le VAE qui vainc la côte avec une facilité déconcertante. Il faut toutefois surveiller la jauge de batterie. Plus cela monte, plus vite elle se décharge. Après un final à pied en sous-bois, le panorama s'ouvre sur la boucle parfaite de la Meuse, traçant son chemin entre les collines dodues, entièrement couvertes de forêts. Et toujours ce bruit mat de la forge qui résonne…
En pédalant rive droite

L'heure a tourné et il faut avancer. Rive droite, je pédale dans une vallée plus resserrée et sauvage. Le soleil a disparu derrière les mamelons ardennais et une fraîcheur soudaine accompagne l'ombre grandissante. Je hume des senteurs de fruits rouges. La Meuse s'encaisse dans le méandre de Laifour, le plus beau de l'itinéraire avec son amphithéâtre de verdure. Je double Anchamps, rive gauche, micro-village déjà endormi. Seul sur la piste, je pédale jusqu'à Revin que je traverse avant le crépuscule. Ex-petite cité industrielle, elle a vibré jusqu'aux années 1970 grâce à des entreprises comme Arthur Martin, Porcher, Faure. Fin d'époque pour Revin, enrichie au préalable par l'industrie du fer et le commerce fluvial. Quelques bâtisses à pans de bois, dont la « maison espagnole », témoignent de ce dynamisme ancien. Il reste 13 kilomètres pour rejoindre Haybes, où se trouve mon hôtel. Un tournage de film dans le tunnel de Fumay me fait perdre 30 minutes. Tant pis pour la ville, j'y reviendrai demain. La journée s'achève à la nuit, dans le silence et la fraîcheur de la vallée endormie. Et sans mal aux jambes…
J2: De Haybes à Dinant, 53 km
Près de la frontière belge
Légèrement à l'écart de l'itinéraire, à 3 kilomètres de Vireux-Molhain, ce village frontalier mérite un détour. Un château mi-médiéval, mi-Renaissance en partie ruiné, au sommet d'un tertre ; des vestiges de tours en briques ; de solides maisons en pierre couvertes d'ardoises, étirées au pied du château dans une longue rue ; une placette touristique avec deux « tavernes » attirantes : voilà pour le décor de cette ex-baronnie, liée jadis au prince de Liège et au célèbre duc de Bouillon. L'occasion d'une escapade campagnarde hors la vallée, entre champs de maïs et collines boisées.
Le solide dîner et petit déjeuner de l'hôtel Le Saint-Hubert m'a requinqué. Je discute avec la serveuse. Chaque matin, elle vient travailler à trottinette depuis un village voisin, en empruntant la voie verte. « Quand il commence à faire nuit, je dois faire attention aux ratons laveurs et aux oies. Parfois même aux cerfs, en période de brame ! », dit-elle. Justement, nous y sommes… Elle opine quand je lui dis qu'on est dans une vallée cachée et peu accessible. « On est cerné par la Belgique. La frontière est juste au-dessus, de part et d'autre de la vallée. »
L'église néogothique de Fumay
Je rebrousse chemin jusqu'à Fumay pour sillonner la ville. L'une des plus grandes églises des Ardennes s'y trouve, vaste édifice néogothique en pierre de Dom pouvant accueillir 1 200 fidèles. Le château des Comtes-de-Bryas (XVIIe siècle) donne un peu de couleur à cette cité où beaucoup de maisons en briques sont à vendre et de nombreux commerces, fermés. Sur les quais, je croise la baraque de la friterie et me rappelle l’odeur typique d’huile chaude sentie la veille… Les batteries du vélo (et du cycliste !) chargées au maximum, j'ose une nouvelle ascension, depuis Haybes, vers le point de vue de la Platale. Surprise, je me retrouve au-dessus… de Fumay, aux maisons étalées dans une boucle du fleuve.
La Meuse: un fleuve sans bateaux

Sentiment de « surplace » étrange, dû aux méandres qui perturbent les sens et l'avancée. Un vent frisquet, de face, marque ce premier jour d'automne. Je reprends ma marche en aval, dans une vallée toujours verte mais moins resserrée. Je l'ai noté la veille mais le second jour le confirme : il n'y a aucun bateau sur la Meuse. L'explication, lapidaire, m'a déjà été donnée par un couple d'anciens bateliers, vivant au bord du fleuve : le trafic de marchandises n'existe plus. Tout juste ont-ils vu passer en 2021 deux bateaux de transport, « ce n' était pas arrivé depuis deux ans », m'a dit l'homme. Il est loin le temps où la Meuse était une voie de circulation et de commerce entre la Champagne et l'Europe du Nord. Dès le Moyen Âge, sel, vins, ardoises, charbon, pierres, bois… ont sillonné ce fleuve, canalisé en 1875 pour répondre aux besoins de transport en gros chalands. L'activité s'est arrêtée dans les années 1970, avec l'effondrement de l'industrie ardennaise. Les écluses croisées en chemin ne servent plus guère qu'à faire passer des bateaux de plaisance en saison estivale. Seuls le TER et les véhicules empruntent de nos jours la vallée.
Double village sur les rives : Vireux-Molhain (gauche) / Vireux-Wallerand (droite)

Alors que je profite d'une légère descente pour pousser le VAE dans ses retranchements, un vol de cormorans vient me surveiller, après Montigny-sur-Meuse. Si les bateaux ont disparu, la faune est présente et profite, peut-être, de ce retour à l'état de nature. En chemin, j'entendrai un pic frapper un tronc, verrai deux arbres rongés à la base (des castors ?), croiserai de nombreux canards. Grèbes huppés, martins-pêcheurs, râles et poules d'eau, foulques et gravelots composent aussi le bestiaire de ce Val-de-Meuse. L'arrivée à Vireux-Molhain (rive gauche) / Vireux-Wallerand (rive droite) me réserve une belle surprise. Voilà un vrai double village ardennais à l'âme ouvrière, typique avec sa brique du Nord dressée en étendard et sa collégiale posée dans le creux d'une vallée secondaire. Vélo au repos, assis à la friterie La Viroquoise, je mesure le sens de l'accueil de ces gens simples qui gardent dans un coin de leur cœur l'époque où les usines tournaient à plein. « Autrefois, avec les hauts-fourneaux de la Chiers, il y avait de la vie ici », témoigne une cliente. Je laisse cette nostalgie couver pour filer au beau village d'Hierges avant de rebrousser chemin et de reprendre la Trans-Ardennes.
Givet: pointe française enfoncée dans les Ardennes belges

Il me reste 10 kilomètres pour gagner Givet. La piste cyclable passe en face d'Aubrives et son clocher-pic, couvert d'ardoises. Moins boisés, les versants laissent apparaître désormais des dalles de schiste. En vue de Chooz, la voie évite le méandre de la centrale nucléaire pour gagner Givet, dont j'aperçois déjà le pont. Givet est la dernière pointe de la France enfoncée dans les Ardennes belges. Au-delà, c'est la frontière. Avant de la franchir, je passe d'une rive à l'autre de la Meuse pour explorer la ville. Fortifiée par Charles Quint puis par Vauban, cette cité-verrou est dominée par les forts de Charlemont et du Mont d'Haurs.

Rive droite, un ruisseau coulant entre deux rangées de maisons m'interpelle. Je vais l'apprendre : ici était le Petit Givet ouvrier, celui des tanneries et des fabriques de chaux. Rive gauche était le Grand Givet, celui des notables. La Tour Victoire en bord de fleuve (ancien donjon du château), l'hôtel de ville à clocheton, l'église Saint-Hilaire au grand toit brillant d'ardoises ainsi que de belles maisons bourgeoises en briques, place Mehul, le prouvent.
Incursion en Belgique
Elle a beau s'appeler EuroVelo 19, la connexion avec la Belgique ne tombe pas sous le sens. Au bout du pont sur la Meuse, rive gauche, il faut suivre les panneaux « RAVeL », acronyme de « Réseau autonome des voies lentes », nom en vigueur en Belgique. Quelques coups de pédale électrique, avec la remorque toujours bien accrochée, et je me connecte avec cette voie verte belge, après avoir fait diversion dans la cité ouvrière de la Soie. S'y trouvent près de 300 maisonnettes bâties en bandes dans des rues au cordeau aux noms d'oiseaux - le coron de Givet. La frontière ? Deux plots en béton et pas âme qui vive. J'aurais aimé un passage plus marquant mais qu'importent les symboles, je pédale désormais dans un monde nouveau. Nouveau, car la Belgique a beau être dans l'U.E., de petits signes trahissent une différence. La signalisation routière, d'abord. Une urbanisation plus dense, aussi. Et un je-ne-sais-quoi de cossu dans les maisons de briques, plus contemporaines et plus grandes.
En quittant la vallée de la Meuse
J'attaque à gauche la montée vers l'ancienne gare d'Agimont, quittant pour la première fois la vallée de la Meuse : le raidillon me coupe les jambes. La batterie du VAE ferait-elle grève ? Je trouve la récompense de mon effort en récupérant à droite la RAVel L156, nom de code d'une adorable piste cyclable qui, en pente douce et entre des haies d'arbres, rejoint le fleuve à Hermeton-sur-Meuse. Sur 6 kilomètres, elle emprunte le tracé d'une ancienne voie ferrée. La pénombre tombe mais Dinant n'est plus très loin. Après Hastière-Lavaux, j'accélère la cadence pour rallier l'écluse de Waulsort. Je sais que la fin de parcours sera moins tranquille. La piste cyclable s'arrête et il faut alors emprunter la route, étroite et bordée d'une glissière de sécurité qui laisse peu de place à une échappatoire.
Un parcours routier, mais peu de voitures

Il n'empêche, je mesure ma chance. Dans le jour déclinant et une solitude quasi totale - les voitures semblent être toutes rentrées au bercail -, je longe les rochers et le château de Freÿr, avant d'entendre la vallée résonner d'un cri d'outre-tombe : le brame du cerf ! Un frisson me parcourt l'échine. Et si l'un d'eux venait à traverser la route ? J'accélère, et à la lumière de mon faible éclairage, je gagne Anseremme et son long quai bordé de platanes, sous lesquels stationnent des bateaux de plaisance. Pas le temps ni l'envie de m'arrêter. Un seul objectif m'anime : l'hôtel. Me voilà enfin à l'entrée de Dinant, long village-port étiré de part et d'autre de la Meuse. Je jette un œil fatigué à l'aiguille du Rocher Bayard et gagne enfin l'hébergement posé en bord de fleuve, lumineux et bien chauffé ! J'ai parcouru 53 kilomètres.
J3: De Dinant à Givet, 21 km
Le souvenir de Charles de Gaulle à Dinant

Le lendemain, c'est l'automne. Une lourde brume a envahi les quais de la Meuse et Dinant, ville du créateur du saxophone Adolphe Sax, est noyée dans la ouate. Avec mon drôle d'engin au milieu des voitures, je croise des enfants sacs à dos qui vont à l'école en rasant les murs. Je n'ai pas vraiment le temps de découvrir cette ville cossue, mon loueur de vélo m'attend à Givet. Mais j'en profite pour longer le fleuve et franchir l'unique pont routier. Son nom m'intrigue : Charles de Gaulle. Celui qui n'était pas encore général fut blessé ici le 15 août 1914. Une statue lui rend hommage. Il est nécessaire de découvrir cette cité, dominée elle aussi par une citadelle. On se rappellera qu'elle a donné son nom à la dinanderie, cet art de travailler le laiton, qui fit sa fortune dès le XIIe siècle. Forteresse accessible en funiculaire, collégiale gothique Notre-Dame et abbaye Notre-Dame de Leffe, dont la célèbre bière a pris le nom, sont les trois visites à effectuer si l'on veut mieux comprendre la ville.

Quant à moi, j'ai rendez-vous à 10 heures à Givet. Batteries chargées à bloc, vitesse en position « speed » et curseur de motivation au plus haut, je prends le pari d'être à l'heure. Et ce n'est pas un écureuil traversant la Trans-Ardennes entre deux versants forestiers de la Meuse qui m'en empêchera…
Infos pratiques
Offices de tourisme
Agence de développement touristique des Ardennes. ardennes.com
Office de tourisme de Charleville Sedan en Ardennes. charleville-sedan-tourisme.fr
Office de tourisme Vallées et Plateau d'Ardenne - Monthermé. tourisme-valleesetplateaudardenne.com
Office de tourisme Val d'Ardenne - Vireux-Wallerand et Givet. valdardennetourisme.com
Maison du tourisme de Dinant. exploremeuse.be
Vos questions les plus fréquentes
Où louer un vélo sur la Trans-Ardennes?
Ardennes roues libres. 2, rue des Jardins. 08310 Cauroy. Tél. : 07 71 60 09 94. ardennesroueslibres.com
Location de tous types de vélos, VTT, V TC, vélos de ville et vélos à assistance électrique (VAE). Sièges enfant, remorques, triporteur électrique… Excellent matériel et bons conseils de Jean-François Lequeux, le propriétaire. Livraison des vélos sur place. VAE à partir de 30 € la journée.
Où manger et dormir sur la Trans-Ardennes?
Le Saint-Hubert. 47, rue André-Cunin, 08170 Haybes. Tél. : 03 24 41 11 38. hotelrestaurantsainthubert.com
Joli établissement au cœur du village. Accueil vélo avec possibilité de garage. Très bon service. Chambres doubles à partir de 60 €.
Salades, plats du jour, desserts… copieux et de qualité.
Hôtel Ibis Dinant. Rempart d'Albeau, 16. 5500 Dinant. Tél. : 00 32 82 21 15 00. all.accor.com/hotel/3150 Joliment posé en bord de Meuse, non loin du centre-ville, l'hôtel accueille les cyclistes de l'EuroVelo 19. Local prévu pour les deux-roues. Chambres à partir de 81 €.
Restaurant L'Auberge de la Tour. 6, quai des Fours, 08600 Givet. Tél. : 03 24 40 41 71. aubergedelatour.fr En bord de Meuse, une adresse agréable et tendance pour une cuisine de chef et une belle carte poissons/viandes, complétée par deux menus appétissants, à partir de 24 € (deux plats).