Les secrets du Mont-Saint-Michel
Fréquenté par près de trois millions de visiteurs, le Mont ne livre pas ses secrets au premier touriste venu. Dans le village ou l’abbaye, comme sur les rives du Couesnon, il fourmille de lieux insolites et d’anecdotes à découvrir en solo ou grâce à des visites-conférences passionnantes. Immersion dans une destination culte qui préserve encore sa part de mystère…
Un village pas comme les autres
Il vaut mieux éviter la très haute saison pour arpenter les rues du Mont-Saint-Michel. Outre le parcours moutonnier de tout homo touristicus, il devient alors possible de s’y égarer jusqu’à s’y sentir, presque, marcheur solitaire, à l’affût des anecdotes qui font le sel de tous les villages. Parlons-en du village. Avec 34 habitants permanents, la population de la commune (soit le Rocher, plus quelques hameaux épars) est inversement proportionnelle à sa fréquentation. Parmi ces résidents, on n’en compte qu’une poignée vivant sur l’île : les douze frères et sœurs de l’abbaye, le maire Jacques Bono et son épouse, trois ou quatre autres « irréductibles » et de rares fonctionnaires. Parmi eux, des gendarmes.
Un lieu sacré entaillé
Une dizaine de jours par an, le parvis est submergé par les grandes marées. L’eau inonde même la première cour intérieure, située après la porte de l’Avancée, l’entrée par où s’engouffrent tous les visiteurs. Il a donc été ouvert une entrée cachée, incisée dans le rocher à gauche de la porte, dans une partie toujours hors d’eau. Elle est prolongée par une passerelle. La Grande-Rue nous tend les bras mais bifurquez plutôt à droite, juste après la porte du Roy, pour prendre l’escalier qui grimpe à la mairie. Celle-ci occupe l’ancien logis où séjournait un corps de soldats que le royaume entretenait au Mont pour marquer sa présence. Un passage couvert, au-dessus de la porte du Roy, mène à une curiosité : l’escalier du Monteux. Assez peu emprunté, car situé hors du parcours principal, cet escalier raide et en courbes dévoile l’arrière des maisons de la Grande-Rue et leurs jardinets. En haut, il rejoint le chemin du logis Sainte-Catherine, d’où un magnifique belvédère s’ouvre, plein sud, sur le paysage agricole de la baie. On y voit le Couesnon et ses deux bras, séparés par l’île aux Moustiques. Des imprudents s’y font parfois surprendre par la marée.
Par une sortie dérobée…
Plaqué au rocher sous la haute façade sud de l’abbaye, le logis Sainte-Catherine est une bâtisse noble peu connue qui abritera en 2024 un restaurant gastronomique. Passant au-dessus du logis, celui-ci dévoile l’ancien monte-charge de l’abbaye, plan incliné construit sur le glacis rocheux. Aménagé au début du XIXème siècle quand l’abbaye abritait une prison, il était mû par une grande roue en bois actionné par des détenus. Cette roue est toujours visible. Plus loin, sur le chemin dominant les toits d’ardoises, une porte en bois grise et cloutée s’encadre dans un mur de granit. C’est la sortie dérobée de l’abbaye. Par là, au bas des jardins terrasses du monument, les frères et sœurs des Fraternités monastiques de Jérusalem peuvent s’échapper incognito dans le bourg… Se rappelle-t-on que le Mont-Saint-Michel abrita jadis une école ? C’était du temps où le bourg comptait encore une centaine d’habitants. Fermée depuis 1972, la bâtisse en granit, située après le Musée historique, ouvre lors d’expositions. Au bout de l’allée, on accède au chemin des Remparts. À gauche, les escaliers conduisent à l’entrée de l’abbaye et longent une parcelle sombre et boisée. C’est la forêt de Scissy, ou bois du Nord, un espace de nature laissé en friche. Les moines se promenaient jadis dans ce bois de feuillus aujourd’hui inextricable. La légende veut que ce pan végétal soit l’ultime rescapé d’une vaste forêt qui couvrait la baie et qu’un terrible raz-de-marée aurait emportée au début du VIIIème siècle. Il n’aurait laissé comme reliques que le mont Tombelaine, le mont Dol et le mont… Tombe, ancien nom du Mont-Saint-Michel.
Un étonnant cimetière médiéval exhumé
Tout en haut de la Grande-Rue, la dernière maison est celle du Pèlerin. Les randonneurs peuvent y loger une nuit. Quel plaisir alors, lorsque les touristes sont partis, de pouvoir profiter du site en toute liberté, la vue grande ouverte depuis sa chambre spartiate mais confortable sur la baie ! Plus bas, juste au droit de l’église Saint-Pierre, les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont fait, entre 2015 et 2018, d’étonnantes découvertes. À l’occasion de travaux sur les réseaux enterrés, ils ont exhumé une fortification du XIIIème siècle, l’ancienne porte du village et le cimetière paroissial médiéval. Une quarantaine de sépultures a été découverte. Cela a conduit à penser que le village s’était resserré autour de son noyau, après une attaque des Bretons en 1204, alliés du roi Philippe Auguste pour la reconquête du duché de Normandie alors anglais.
Logis pour retraitants
Du cimetière médiéval à l’actuel, il n’y a que quelques marches. Elles conduisent à une tombe devant laquelle chacun pourra méditer. Annette et Victor Poulard, « Bons époux, bons hôteliers », est-il écrit. Annette fut la célèbre Mère Poulard, celle qui, en 1888, exploita l’une des auberges du Mont pour les pèlerins et « inventa » la célèbre omelette, devenue légendaire… et hors de prix, dans le restaurant toujours à son enseigne. Entre le cimetière et l’hôtel L’Ermitage se tient une maison d’angle fréquentée par des pèlerins d’un autre genre. C’est le logis Saint-Abraham, petite hôtellerie de cinq chambres réservée aux retraitants, accueillis par les sœurs. Une autre manière de profiter du silence du Mont, quand la foule s’en est allée…
Une fontaine d’eau douce ?
Une visite au Mont conduit parfois à vouloir faire le tour du Rocher à pied, à marée basse. Ainsi, derrière le bâtiment réservé à la gendarmerie, la tour Gabriel (XVIè), la seule tournée à l’ouest, ne fut pas toujours un bastion de défense. Au XVIIème siècle, sa plateforme supportait… un moulin à vent puis, au XIXè, un sémaphore. Le CMN envisage de l’aménager en un lieu privatisable pour des événements d’entreprises. Au-dessous, le port. Ce modeste quai vit accoster au Moyen-Âge de barges chargées de granite des îles Chausey, qui servit à l’édification de la Merveille au XIIIème siècle C’est à cette époque que fut bâtie la chapelle Saint-Aubert, côté nord-ouest. La légende prétend qu’elle a été édifiée sur un rocher qui se serait détaché lors de la construction de l’abbaye. Le tour du Mont vers l’est passe devant une intrigante bâtisse carrée en pierre, portant au-dessus de la porte l’inscription « 1757 ». C’est la fontaine Saint-Aubert, connue dès le VIIème siècle. Elle aurait alimenté le monastère jusqu’au VXème siècle grâce à un escalier dont les vestiges se perdent dans la mystérieuse forêt de Scissy…