Cézembre, Petit Bé... Les petites îles de Saint-Malo
Les cinq îles Petit Bé, Grand Bé, Harbour, Cézembre et la Conchée, ainsi que le Fort national et les autres bastions, forment un complexe rare témoignant du passé de la ville. Accessibles ou non à marée basse ou en bateau, publiques ou privées, elles sont l’antichambre marine de la puissante ville close.
L’histoire des îles de Saint-Malo est indissociable de son passé guerrier. Qu’est-ce qui pouvait en effet intéresser le plus un architecte militaire que de fortifier ces rochers situés au large, idéalement placés pour défendre la cité ? Lorsqu’en 1688, Louis XIV, las des attaques anglaises et hollandaises répétées sur Saint-Malo, missionne Vauban pour inspecter la ville, celui-ci ne tarde pas à comprendre le parti qu’il peut tirer de ces cailloux. Le grand chantier de fortification est lancé.
Accessibles à marée basse
À deux pas des remparts, le Fort national est le plus visible. Bâti en 1689, l’ancien fort royal dresse ses murailles solides au-dessus des rochers, masquant les façades du corps de logis. Ouvert au public quand le drapeau français y flotte, ce fort privé et restauré, dévoile l’architecture typique de Vauban, avec enceintes, tourelles d’angle et impressionnants souterrains. Le fort est accessible à pied à marée basse, depuis la pointe sableuse de la plage de l’Éventail. Autre îlot à rejoindre à pied, quand l’océan se retire : Grand Bé. Face à la tour Bidouane et à la plage de Bon-Secours, l’île dévoile son petit dôme rocheux et herbeux, hôte de près de 100 espèces végétales et animales, dont les rares chardonnerets élégants et pipits maritimes. Mais son grand intérêt réside dans le tombeau de Chateaubriand, solitaire au nord de l’île, qui répond au vœu du grand écrivain de « reposer ici pour n’y entendre que la mer et le vent ». La sépulture est la raison d’être d’une visite à Grand Bé : une heure suffit pour s’y rendre, faire le tour et revenir. À nos yeux, Petit Bé offre un intérêt plus grand puisque l’île abrite un fort. L’accès n’est pas sorcier. Toujours à marée basse, une chaussée submersible se découvre depuis Grand Bé. Quelques cailloux à grimper, des marches, et voilà l’entrée du repaire. Également bâti sur les ordres de Vauban à partir de 1693 (des copies de plans sont conservées sur place), il a traversé les siècles avec des aléas, jusqu’à atteindre les limites de la ruine. C’est à ce moment-là qu’Alain-Étienne Marcel signe un bail emphytéotique avec la commune. L’homme ne craint pas les défis. Il a déjà œuvré au Fort national et s’attache à rebâtir le fort tel que Vauban l’a conçu. C’est aujourd’hui un magnifique ouvrage, au corps de logis impeccable devancé par une plateforme de défense arrondie qui porta en son temps jusqu’à 19 canons.
Harbour et Cézembre
Pour aller voir Harbour et Cézembre de plus près, pas de marée basse qui tienne, il faut embarquer à bord. En revanche, Harbour ne se visite pas. L’île et son fort sont privés et ont même appartenu un temps à l’acteur Alain Delon. Nous longeons l’îlot sur sa gauche, impressionnés par cet autre bastion Vauban aux allures de forteresse. Cormorans et autres huîtriers pies aux becs orange ont fait des rochers environnants leurs demeures. Rejoindre Cézembre exige de mettre les gaz. Ce que l’on en connaît, même si on n’y a jamais mis les pieds, c’est sa plage. Blonde et accorte, on la voit depuis les remparts de la cité, tournée vers le sud. L’allure d’éden balnéaire ne doit pourtant pas nous tromper. L’île est un gruyère, perforée par des milliers de bombes lâchée par les Américains en 1944, dont certaines au napalm et au phosphore. La balade sur le « sentier découverte » est étrange. La nature a pris le dessus mais le paysage crevassé, émaillé de ferrailles militaires, est anormal. Cela n’empêche pas le conservatoire du Littoral, propriétaire du site, d’y protéger pingouins torda, macareux et guillemots de Troïl… totalement indifférents à ce passé.
La mystérieuse Conchée
Il reste à filer vers la Conchée, roc étroit le plus éloigné. Entre lui et les autres îlots se trouve la fosse aux Normands, une aire de mouillage que les bateaux ennemis ont pris plaisir à occuper pour préparer leurs attaques sur la ville. Manquait donc un fort pour les prendre à revers. Vauban s’y emploie et fait construire sur la Conchée, de 1692 à 1720, ce bastion, son œuvre ! Pour y accoster, il faut une coque solide. Sans ponton ni quai, le bateau de La Compagnie du fort de la Conchée, association qui gère le site et le rénove depuis 1988, débarque ses passagers entre deux vagues. En trente-cinq ans, beaucoup a été fait sur ce fort de 65 mètres de long et 35 de large, agrippé à son rocher comme un mollusque à son caillou. Pièces voûtées au sous-sol, réfectoire, dortoir, esplanade de 1 400 mètres carrés… les ouvriers qui travaillent sous le ressac redonnent vie à une « ceinture de feu » qui fut l’avant-rempart farouche de Saint-Malo.