Promenade de santé à Montpellier
C’est dans ses rues en pente enserrées par les remparts que naît, au XIIe siècle, l’enseignement de la médecine. À Montpellier, les bâtiments médiévaux de la faculté près de la cathédrale Saint-Pierre, le Conservatoire d’anatomie et le jardin botanique racontent des siècles de transmission. Une belle invitation à découvrir une ville savante, intellectuelle et universitaire.
Ils sont drapés dans leur robe d’apparat rouge, avec un double rang d’hermine. Dans une attitude un peu figée, ils posent sur nous un regard pénétrant. Sur les murs de la salle des Actes de la faculté de médecine de Montpellier, depuis leurs cadres dorés, les professeurs et savants des siècles derniers nous contemplent. Les tableaux impressionnent-ils les étudiants venus prêter serment devant Hippocrate ? Avec ses banquettes en bois grinçantes, ses tentures carmin et sa galerie à l’étage, l’ancienne chapelle privée des évêques offre son prestigieux décor aux soutenances des thèses de médecine. Nous sommes au cœur de Montpellier, dans un bâtiment médiéval ourlé d’une corniche à mâchicoulis, adossé à la cathédrale Saint-Pierre. Au XIVe siècle, le pape Urbain V commanda la construction de cet édifice qui époustoufle le visiteur avec son monumental porche à baldaquin et ses deux tours poivrières de style gothique méridional.
Au carrefour des cultures
Le bâtiment universitaire a connu plusieurs destins : monastère bénédictin (1367-1536), palais épiscopal au XVIe siècle et faculté de médecine en 1795, après la Révolution. Auparavant et pendant trois siècles, l’enseignement était assuré quelques rues plus loin, au Collège royal de médecine devenu le centre d’art contemporain La Panacée. Quand en 1181 un édit de Guilhem VIII, seigneur de Montpellier, proclame la liberté d’enseignement de la médecine et qu’une bulle papale fonde l’université en 1289, l’enseignement, lié à la pratique, ne dispose pas de bâtiments propres. « Les étudiants sont alors formés par des praticiens-enseignants qu’ils suivent pendant la réalisation des actes », explique Michel Mondain, doyen de la faculté de Montpellier-Nîmes. Pourquoi la ville s’est-elle imposée comme centre d’enseignement de la médecine dès le XIIe siècle ? Parce que, estime-t-il : « C’est un carrefour entre les cultures arabe, juive et chrétienne. Une ville de liberté et de tolérance aussi, qui favorise l’émergence d’une intelligence. » À l’opposé de la salle des Actes, dans le hall, une autre pièce patrimoniale ouverte au public nous plonge dans une atmosphère intimiste. Le vestiaire des professeurs, avec ses hauts casiers en bois, collectionne aussi les tableaux de savants de la faculté. Parmi eux : un certain François Rabelais, illustre diplômé montpelliérain et seul médecin portraituré à ne pas avoir enseigné.
Un panthéon de l'anatomie
Notre visite se poursuit dans un bâtiment qui a été ajouté au XIXe siècle pour accueillir les collections du Conservatoire d’anatomie. « Il rassemble des pièces pédagogiques, des cires, des écorchés... C’est un peu la réalité virtuelle du XIXe siècle », s’enthousiasme le doyen Michel Mondain. Dans une galerie rythmée par des piliers en marbre vert, des vitrines renferment les précieux témoins de l’Histoire de l’anatomie : moulages en plâtre, en papier mâché, instruments de chirurgie, squelettes avec des anomalies, grands bocaux avec des fœtus malformés flottant dans le formol... « Certaines pièces peuvent choquer, concède Carole Milliez, guide-conférencière qui accompagne les visiteurs des lieux. Je m’applique à remettre les objets dans leur contexte, celui de la découverte et de la connaissance. » Un écorché, les muscles bandés mimant un mouvement d’effort avec une pelle, capte l’attention au centre de la galerie. Dans les vitrines, les cires du Florentin Felice Fontana, à la croisée de la science et de l’art, décrivent avec talent les organes du corps humain. Ces dernières années, le Conservatoire s’est enrichi de nouveaux objets. Parmi eux, les Vénus anatomiques des anciens musées Delmas-Orfila-Rouvière à Paris : des femmes en cire grandeur réelle, troublantes de réalisme, visage expressif et vrais cheveux, exposent leur corps disséqué.
La médecine, côté jardin
Les fenêtres de ce cabinet d’Histoire du corps humain ouvrent sur... un poumon de verdure ! Le jardin des Plantes montpelliérain trouve aussi son origine dans la recherche de connaissances. « Il est imaginé à la fin du XVIe siècle par Pierre Richer de Belleval, enseignant en botanique et anatomie, pour comprendre les vertus médicinales des plantes et leur toxicité », éclaire Michel Mondain. Un micocoulier géant marque l’entrée du plus vieux jardin botanique de France : plus de 3000 espèces sur 4,5 ha. Quelques marches mènent vers la butte concentrant des essences méditerranéennes : pistachiers lentisques, chênes verts... Nous sommes dans la partie la plus ancienne du jardin. « La montagne de Richer » présentait la flore locale, avec cinq terrasses sur chaque versant. Qu’en reste-t-il de nos jours ? Le tertre et l’imposante présence du plus vieux spécimen du parc, un filaire à feuilles larges quadricentenaire. Le jardin de Richer de Belleval fusionne les influences. Il est botanique avec l’orangerie, les serres et l’arboretum. Il se veut paysager avec le jardin à l’anglaise, le délicat bassin aux lotus et l’allée soignée de cyprès à la toscane. Il est romantique, enfin, avec les statues disséminées dans la verdure, les allées sauvages et leur fouillis d’arbres.
Fonds d'apothicaire
L’Histoire de la médecine surgit aussi au hasard des rues en pente du Vieux Montpellier. Rue de la Monnaie, c’est le monde des apothicaires que l’on retrouve dans la pharmacie-musée de la Miséricorde. Sur les étagères de l’officine du XVIIIe siècle, des pots de monstre, des cruches et des chevrettes en faïence, où le nom des remèdes s’inscrit en couleur : sirop de nymphéa, d’asperge, de fleurs de pêche... Plus loin, l’étonnant hôtel Saint-Côme à forme octogonale n’a pas toujours abrité la Chambre de commerce et d’industrie. Au milieu du XVIIIe siècle, il fait office d’amphithéâtre d’anatomie, grâce au fonds légué par François de Lapeyronie, chirurgien montpelliérain au service de Louis XV. Sur une des façades extérieures, le caducée sculpté serait toutefois plus une référence au commerce qu’à la médecine... Ainsi, Montpellier tire son identité de cité savante de sa faculté de médecine, la plus ancienne en activité au monde. Dans la salle des Actes où a débuté notre visite, l’institution a gravé sur le marbre: « Olim Cous nunc Monspeliensis Hippocrates » (Jadis, Hippocrate était de Cos, maintenant il est de Montpellier).
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