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Avignon, mystérieuse cité papale

Palais des Papes, palais et forteresse gothique médiévale, abritant la papauté d'Avignon au XIVème siècle à Avignon. © Manuel Cohen / Détours en France

Publié le par Vincent Noyoux

Inscrit depuis vingt-cinq ans au patrimoine mondial de l’UNESCO, le centre historique d’Avignon plonge le promeneur au temps de Pétrarque et des cardinaux. Sans compter que, de nuit, la Cité des papes livre un tout autre visage…

« Au détour d’une petite rue montante, mon regard alla heurter une arche colossale de pierre, jetée en arc-boutant au-dessus de cette ruelle. Je levai les yeux ; j’étais au pied du palais des Papes. » S’il revenait aujourd’hui, Alexandre Dumas ne trouverait pas le vieil Avignon si changé. La rue de la Peyrolerie a conservé son décor digne du Nom de la Rose, roman d’Umberto Eco, avec ses pavés, son tracé sinueux taillé dans le rocher et cet arc-boutant qui prolonge le palais des Papes. De la place de l’Amirande, les hauts murs du site se dressent, comme des falaises calcaires sculptées d’ogive. « C’est le plus grand palais de l’ère gothique du monde », dit Julien Gallon, conservateur adjoint. De 1198 à 1304, les papes ont régné ici, au bord du Rhône, en face du royaume de France. « Chaque pape a apporté sa pierre à l’édifice, à commencer par Clément V, qui est devenu le premier pape d’Avignon un peu malgré lui. » Jean XXII transforme le palais épiscopal en palais pontifical, réorganise l’administration et renfloue les caisses. Benoît XII, bâtisseur cistercien, édifie à sa suite un château à l’esthétique défensive militaire. « Une architecture de propagande, austère mais puissante, pour montrer que le pape est le seigneur le plus puissant du monde », précise Julien Gallon. Érudit et très ambitieux, Clément VI y greffe un autre palais, plus léger et aéré : « Ce mécène des arts a fait d’Avignon une nouvelle Rome. La ville passe en vingt ans de 5 000 à 40 000 personnes : marchands, banquiers, artistes venus de Toscane et d’Ombrie... » C’est à lui que l’on doit la chapelle Saint-Martial, réalisée par Giovannetti. L’artiste du Trecento illustre avec virtuosité la vie du saint. Dans une spirale allant du bas vers le haut, il multiplie les perspectives et les trompe- l’œil. « Cette œuvre annonce la Renaissance. Notez que le bleu lapis-lazuli est d’origine ! », remarque le conservateur.

 

Splendides jardins

Salle du Grand Tinel, ancien réfectoire et salle de banquet, 48 m de long, au Palais des Papes à Avignon.
© Manuel Cohen / Détours en France

Nous traversons le Grand Tinel, où Clément VI et ses invités festoyaient parmi de luxueuses tentures. Ici, chaque salle a son pape et son histoire. Les rinceaux quasi hypnotiques de la chambre de Benoît XII ont été préservés des outrages du temps par le badigeon de chaux dont on couvrit les murs au XIXe siècle, quand le palais fut transformé en caserne... La chambre du Cerf, au plafond d’origine, affiche des scènes de chasse et de pêche qui représentent la Création et le rôle de l’homme domestiquant la nature. « Le cerf symbolisant la réincarnation, Clément VI sera embaumé dans une peau de cervidé », glisse Julien Gallon. Passé la chapelle gothique, au-dessus de la salle de justice, on atteint le portail avec sa loggia dominant l’actuelle cour d’honneur. Le pape se montrait aux fidèles dans une mise en scène théâtrale qui préfigurait sans doute le Festival d’Avignon ! Depuis peu, les jardins pontificaux, notamment le verger voulu par le pape Urbain V, sont ouverts au public. Des acanthes entourent la fontaine, et des plantes médicinales poussent à l’ombre d’une haute pergola. À droite en ressortant sur la place, le Petit Palais déploie sa façade Renaissance, voulue par le futur pape Jules II, mécène de Michel- Ange. Cette ancienne livrée cardinalice devenue palais des archevêques abrite désormais un musée. On y admire la collection du marquis Campana. Parmi ces peintures italiennes du XIIIe au XVIe siècle, la Vénus et trois putti de Botticelli subjugue. On y retrouve les roses, les anges et la figure féminine si typiques du maître florentin. La montée des Canons mène ensuite au jardin des Doms, qui coiffe le rocher éponyme. D’ici, le regard embrasse le Rhône, les remparts de Villeneuve- lès-Avignon, le Ventoux et le Luberon. N’oublions pas la cathédrale Notre-Dame- des-Doms, édifice de style roman provençal, qui abrite la sépulture de Benoît XII et porte haut sur son clocher une Vierge en plomb doré de plus de quatre tonnes. Le chemin de ronde des anciens remparts nous mène jusqu’au fleuve où nous attend le célèbre pont de la chanson. On y danse, on y danse... « La chanson populaire fait référence aux guinguettes de l’île de la Barthelasse. En fait, autrefois on dansait plutôt sous le pont Daladier, mais on a préféré laisser croire que c’était sous le vieux pont ! », raconte le guide Vincent Pasquinelli. Cet Avignonnais pur jus nous a donné rendez- vous à la tombée du jour, au pied des remparts. Son idée : faire découvrir la cité de nuit. « Le soir, l’ambiance est plus intime. On retrouve l’atmosphère médiévale mieux qu’en plein jour. Et la température est plus supportable ! » Le soleil se couche sur les remparts à créneaux d’Innocent VI. « On a arrêté de les détruire en 1860 quand on s’est aperçu qu’ils protégeaient la ville des crues du Rhône ! » Notre cicérone nous conduit dans le quartier de la Balance, très animé à l’époque des papes, hélas mal reconstruit dans les années 1960.

 

Festival populaire

Fresques du plafond, 1344-45, de Matteo Giovannetti, tirée d'une série sur la vie de Saint-Martial, dans la Chapelle Saint-Martial, Tour Saint-Jean, au Palais des Papes à Avignon.
© Manuel Cohen / Détours en France

Grand calme dans les rues : mais où est donc passée la foule ? Nous passons devant la « maison aux Ballons » où a été inventée la montgolfière, et la maison où Bonaparte écrivit son Souper de Beaucaire, un pamphlet politique qu’il chercha à tout prix à détruire. La nuit tombe sur l’église Saint-Agricol, à côté de laquelle une fenêtre en trompe-l’œil représente la Tempête de Shakespeare. « En 2019, le Festival Off d’Avignon a pulvérisé son record avec 1 592 spectacles joués en trois semaines ! », nous apprend Vincent. Et d’évoquer la figure d’Yvonne Zervos, qui fut à l’origine du festival. « En 1947, elle et son mari Christian Zervos avaient organisé une expo d’art contemporain dans le palais des Papes en y invitant un certain Jean Vilar. » On sait ce que le défenseur du théâtre populaire fit de cet événement... Vincent Pasquinelli convoque aussi le souvenir de Pétrarque. L’humaniste, au service d’un cardinal, détestait la ville, « l‘Enfer des vivants, l’égout de la terre, la plus puante des villes ». « On se traîne ainsi une réputation de ville sale depuis Pétrarque ! », ironise notre guide. La visite s’achève devant le palais des Papes, où des comédiens répètent dans la cour d’honneur.