Culture protestante et adoption des idées du capitalisme anglo-saxon ont été les ferments de l’industrialisation du Pays de Montbéliard. Du début du XIXe siècle à nos jours, la marque Peugeot incarne cette aventure entrepreneuriale qui érige la voiture en passion locale. Quand on grimpe depuis le quartier de Neuveville la rue Émile-Blazer, pour rejoindre le parc des Miches, le doute n’est plus permis. Au-delà des toits de tuile du Vieux Montbéliard, émergent les tours d’habitat populaire et la ligne grise des usines Peugeot de Sochaux. Un décor qui dit beaucoup du paysage social du territoire, voué depuis des lustres à l’industrie automobile et à la marque au Lion. Car Peugeot, aujourd’hui le groupe Stellantis depuis la fusion en 2021 de PSA et Fiat Chrysler, c’est 224 ans d’histoire locale.
Retour aux origines de la marque

L’affaire débute en 1810 quand, dans un moulin d’Hérimoncourt transformé en fonderie, deux frères Peugeot se mettent à fabriquer des lames et des outils. Le lion devient vite leur emblème. Il combine la souplesse (celle des ames !), le mordant (celui des dents de scie) et la rapidité (celle de la coupe). Voilà pour le symbole. Après les outils viendront la coutellerie, les moulins à poivre et à café, les machines à coudre.

À Quingey, près de Besançon, l’usine Peugeot Saveurs, toujours aux mains de la famille, incarne la permanence de la production dans les arts de la table. Mais venons-en à la voiture. Vers 1880, Armand Peugeot, qui a étudié en Angleterre, découvre le vélo et en importe l’idée. Le grand bi est à la mode mais l’homme décide que ce mode de locomotion doit être modernisé et donc motorisé. En 1889, pour l’Exposition universelle de Paris, il présente la Type 1, un tricycle à vapeur, première voiture Peugeot, dotée d’un moteur Serpollet. La saga peut commencer. Type 1, Type 2, Type 3... en 1887, à Audincourt, Peugeot construit sa première usine dédiée à l’automobile. Celle de Sochaux arrivera en 1912. C’est de nos jours l’usine la plus ancienne du groupe encore en acti- vité... mais largement modernisée depuis.
L’aventure automobile droit devant

Dans un immense espace abritant un restaurant-brasserie, le musée de L’Aventure Peugeot raconte toute la saga du groupe, des outils et des cycles jusqu’aux premières voitures, des modèles d’après-guerre (403, 203...) à ceux de série et de compétitions récents (205 Turbo 16, 206 WRC, 208 T16...), en passant par les véhicules utilitaires. Pour compenser l’impossibilité de visiter les ateliers de production, à cause des périodes dites de « confidentialité » (lors de l’assemblage de nouveaux modèles, par exemple), l’association gestionnaire du musée a commencé à ouvrir au public en 2023 l’atelier de restauration de voitures anciennes et le magasin de pièces de rechange. Cela représente 375 000 pièces, stockées sur deux étages. « J’achète des lots anciens et je fais refabriquer des pièces par d’anciens fournisseurs du groupe. On vend tout ça sur le web et ça part dans le monde entier », dit Cyrille Beley, le commercial du magasin.
Dans l’atelier, une antique Lion VC2 de 1909 trône aux côtés d’une 205 T16 EVO 1 qui a fait le rallye safari du Kenya avec Bruno Saby. Une autre EVO 1, gagnante des rallyes d’Argentine et de Nouvelle-Zélande avec le pilote Finlandais Timo Salonen en 1985, côtoie une 302 Darl’Mat qui a couru aux 24 Heures du Mans en 1938 ! « Ici, on entretient les voitures de rallye comme celle des collectionneurs et de M. Tout-le-Monde », résume Benoît Dalval, mécanicien. « Nous sommes l’atelier de maintenance des véhicules du musée. 80 % de la collection est roulante et sort à l’occasion de mariages et d’événements. On fait beaucoup de 504, de 205... Les gens viennent chercher ici un savoir-faire et une marque de confiance », ajoute Éric Barthelat, le chef d’atelier. La preuve avec cette 304, modèle coupé qu’une dame fait entièrement recarrosser en souvenir de son mari, épris du modèle.
En mode vintage

La mode du vintage se prolonge avec la balade en véhicule ancien, une prestation très en vogue ici. Avec Jean-Luc Tissot, président du Club des vieux volants franc-comtois, nous partons en vadrouille autour de Montbéliard, à bord d’une Aronde 1300 de 1957. Une Simca (marque rachetée par Peugeot en 1979) noire, sans ceintures de sécurité, avec starter, levier de vitesses au volant et « la première qui chante, c’est normal pour la marque ! », sourit Jean-Luc Tissot. Dans le doux feulement du moteur, nous grimpons vers le fort du Mont-Bart, dominant la ville et l’industrieuse agglomération. « Au cœur des années 1970, Peugeot employait 43 000 personnes. En 2023, il n’y en plus que 7 000 », souligne le collectionneur. Le modèle a changé, glissant de la production à l’assemblage, avec le recours à de gros sous-trai- tants locaux, telle l’entreprise Faurecia. Reste ce paysage et cette âme ouvrière toujours présente, illustrée par les « portières » Sochaux et Montbéliard – les deux entrées historiques de l’usine – et le stade Bonal de football, enchâssé au cœur du complexe automobile.
