La France des marais se limite souvent dans l’esprit de nos compatriotes à la Camargue, au Poitou et à la Brière, voire à Amiens, avec ses fameux hortillonnages. Mais qui connaît le marais audomarois, la plus grande zone humide au nord de Paris ? C’est pourtant l’un des derniers à être exploité pour le maraîchage, une activité réputée ici pour ses choux-fleurs et endives, carottes de Tilques et poireaux Leblond, ou encore ses artichauts. Rassurez-vous, ce n’est pas un stage agricole que nous proposons ici mais une plongée intimiste en bateau et à pied dans les replis de ce territoire collé à Saint-Omer. Pour rappel, ce marais audomarois remonte au IXe siècle, quand les moines ont asséché une partie de cette zone humide pour la rendre cultivable. Au XVe siècle, un réseau dense de canaux est créé, afin de desservir les parcelles et faciliter la circulation... en bateau. Aujourd’hui, sur 3 700 ha, environ 400 ha restent cultivés par une trentaine de familles de maraîchers. S’y ajoutent une activité d’élevage ainsi que de la grande culture.
Visiter la vie "hors sol" des canaux

C’est donc en bateau qu’il faut pénétrer le polder. Cent soixante-dix kilomètres de canaux et fossés (les wateringues et les watergangs) desservent plus de 13 000 parcelles. À bord d’une bacôve, une grande barque de 9,60 m de long utilisée jadis pour transporter les récoltes – aujourd’hui, les maraîchers accèdent à leurs parcelles en véhicule –, on sillonne ce dédale à la rencontre d’une vie humaine et animale insolite. Maisons basses et longues, typiques de l’Audomarois, passerelles sur canaux, portes à crémones pour réguler les écoulements, treuils de mise à l’eau, champs étroits et longs (les lègres) rendus aux saules et aux roseaux, jardins de terre organique, casiers (ensemble de parcelles) supportant des habitations... le paysage est déroutant, silencieux, presque « hors sol ». Une poignée de résidents vit en permanence dans ce labyrinthe. Certains utilisent toujours leur bacôve (ou une escute, une embarcation plus petite) pour rejoindre un bout de jardin ou un champ. Aux dernières nouvelles, une factrice livre encore le courrier de ces résidents en barque, c’est la dernière en France ! Pour acheter des produits maraîchers, il suffit de se rendre chez des producteurs (Sylvain Dewalle au GAEC de la Petite Meer, à Saint-Omer ; la ferme La Tilquoise, à Serques...). On les trouve aussi au marché du samedi, à Saint-Omer, et lors des marchés estivaux au bord de l’eau.
Intégré au parc naturel régional des caps et marais d’Opale, le marais audomarois est également un sanctuaire de nature. La balade en bateau le prouve. Au fil des canaux, nous traversons l’Aa canalisé, voyons s’envoler des canards, faisons fuir un héron. Grenouilles vertes, aigrettes, foulques, colverts... sont ici chez eux. Dans la réserve du Romelaëre, accessible à pied depuis le village de Clairmarais, il est possible d’observer le rare blongios (petit héron), Graal des ornithologues. Retour vers Saint-Omer. Au loin, se dresse le clocher de la cathédrale. Le marais, équilibre délicat entre agriculture, tourisme et nature, mérite une visite.
