Dans l'intimité du Mont-Saint-Michel
Quand le flot des touristes repart, le Mont-Saint-Michel retrouve sa sérénité. Une nouvelle tranche de vie commence alors sur la Merveille, rendue à sa vocation méditative et monastique. Le temps d’une soirée d’automne et de grande marée, le père André Fournier, recteur du sanctuaire, et sœur Claire-Annaël, prieure de l’abbaye, nous ont accueillis.
Les ruelles-escaliers se sont vidées. L’église Saint-Pierre est close et la plupart des restaurants ont déjà tiré le rideau. Dans la pénombre, la mer silencieuse est presque invisible. Au loin, le phare de la Grande Île de l’archipel de Chausey envoie son éclat lancinant. Il est 23 heures, le retour à la sérénité contraste avec l’effervescence de la journée.
Certes, « il faut une vraie vocation pour vivre ici, avec ce brouhaha », concède le père André Fournier, recteur du sanctuaire, « mais on ne peut pas faire abstraction de la foule. La destinée du Mont a toujours été d’accueillir les pèlerins et de les nourrir », précise-t-il. Sœur Claire-Annaël, bretonne de Guingamp, désormais prieure de la fraternité monastique de Jérusalem, à l’abbaye, partage cet avis. Elle est membre d’une congrégation qui a fait vœu d’installer la vie monastique dans les villes, « pour montrer que Dieu est là au cœur du monde ».
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Un lieu naturellement spirituel
Plus tôt dans la soirée, sœur Claire-Annaël nous a reçus à l’abbaye, après la fermeture au public. « Vous voyez le mascaret ? », s’enquiert-elle, tout sourire, en ce jour de marée d’équinoxe. Oui, nous le voyons, et depuis la terrasse ouest de l’abbaye, le spectacle est encore plus fascinant. La mer avance vite et sans bruit, les vagues repeignent le tapis de sable et encerclent le rocher, dans des tourbillons d’écume blanche. « Pour moi, le mascaret, c’est comme la rencontre avec Dieu, on est saisi par sa puissance et sa beauté », dit-elle.
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Une clé passe-partout à la main, sœur Claire-Annaël nous entraîne dans le cloître. « Quand on arrive ici, on est surpris et interrogatif. Si la forme monastique est à l’évidence diférente d’ailleurs, le Mont donne sur le fond plus d’assise et de profondeur à la vocation. » Elle reconnaît qu’il faut du temps pour s’adapter, pour « que le corps s’endurcisse au lieu. Quand il y a du très grand vent, on a l’impression d’être au cœur d’un navire. C’est rude mais autant exigeant que comblant », assure-t-elle. Après ce temps d’échange privilégié, nous quittons sœur Claire-Annaël.
Une vie sur la Merveille
À l’abbaye, le lundi est un jour de prière et de solitude pour les communautés, sans offices, mais nous aurons toutefois droit à une visite du réfectoire des sœurs, situé juste au-dessus de la digue et de la marée touristique. Dans cette salle, dotée d’une cheminée et chichement décorée de deux grosses armoires normandes, flotte une bonne odeur de bœuf bourguignon.
Nous sommes désormais guidés par le père André Fournier. À côtoyer les pèlerins, il connaît bien leurs états d’âme. Cela fait trente-sept ans qu’il vit sur la Merveille, dont vingt-cinq ans comme moine à l’abbaye à monter jusqu’à 2 000 marches par jour. « Résultat, j’ai de l’arthrose dans les genoux. Le Mont est un lieu difficile », précise-t-il. Et depuis douze ans, il est le curé de la paroisse de Pontorson et veille sur ses « 16 clochers ».
La baie, indissociable du Mont
Sur le Mont, une messe est célébrée tous les jours, à l’abbaye (sauf lundi), mais aussi à l’église Saint-Pierre, église paroissiale du Mont depuis plus de dix siècles. « Parfois, en plein hiver, il m’arrive de la célébrer seul, accompagné des anges et de l’Archange », s’amuse à raconter le père Fournier. Il faut dire que, hormis les touristes et les pèlerins, le Mont-Saint-Michel ne compte qu’une quarantaine d’habitants.
Et n’en déplaise aux Japonais qui adoreraient y convoler, un décret de l’évêque interdit depuis longtemps les mariages. « Mais on y baptise les enfants montois. Je dois, d’ailleurs, bientôt en célébrer un pour une famille d’une ferme des polders », précise le curé. « Après toutes ces années, j’aime le Mont encore plus qu’à mon arrivée. J’ai compris que sa puissance d’évocation n’avait de sens que dans cet écrin de la baie. C’est pour cela que je suis favorable aux travaux d’aménagement. S’il n’y a plus la mer autour, toute la symbolique du Mont sera rompue. » Le père Fournier, revêtu d’un pull gris et portant croix autour du cou, nous accompagne un moment au dehors de l’abbaye. Il nous montre le parvis de la Croix de Jérusalem que le diocèse a fait restaurer, puis s’assoit un instant sur un muret situé sous la grande façade de l’abbaye et qu’il affectionne particulièrement.
« J’aime, lorsqu’au petit matin, l’abbaye flotte au-dessus de l’eau. Quand il y a du brouillard ou une tempête, on se croirait au temps de la Génèse. » Pour les femmes et les hommes de foi, vivre au Mont-Saint-Michel reste une expérience irremplaçable.