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Sur les pas de Rimbaud et Verlaine dans les Ardennes

Sculpture en métal d'Eric Sléziak à côté de la ferme familiale d'Arthur Rimbaud, poète français, 1854-91, Roche, Chuffilly-Roche, Ardennes, Grand Est, France. La ferme se situe sur la Route Rimbaud Verlaine Sculpture en métal d'Eric Sléziak à côté de la ferme familiale d'Arthur Rimbaud. - © Manuel Cohen/Détours en France

Publié le par Philippe Bourget

Couple le plus orageux de l'histoire de la poésie française, l'Ardennais Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ont marqué la région de leur empreinte. À travers plusieurs sites, cette route évoque leurs vies chaotiques et s'avère un parfait alibi pour découvrir les paysages des crêtes pré-ardennaises, territoire de traditions et de mémoire méconnu. Cap sur les ombres et lumières du massif.

Rimbaud-Verlaine ; Verlaine-Rimbaud. S'il est un couple qui défraya la chronique au XIXe siècle, c'est celui-là. De la fascination réciproque à la rupture finale, en passant par une relation amoureuse éruptive, une partie de leur vie s'est jouée dans les Ardennes. Pour Rimbaud, rien de plus logique : le poète est né à Charleville-Mézières et a grandi à Chuffilly-Roche, dans la maison familiale, en campagne ardennaise.  Pour Verlaine, son arrivée dans la région en 1877 actera une relation chaotique avec le territoire, documentée au passionnant musée Verlaine de Juniville.

© Manuel Cohen/Détours en France

Ces lieux ont été reliés entre eux pour former la route Rimbaud-Verlaine. Elle s'étend jusqu'en Belgique, où le couple vivra au préalable des épisodes violents: Verlaine tirera sur Rimbaud en 1873 et sera condamné à deux ans de prison. La partie française est suffisamment intéressante pour justifier l'itinéraire, en dépit d'une mise en valeur peu digne de la mémoire des deux auteurs.

Avec Rimbaud, cap au sud, vers Voncq

© Manuel Cohen/Détours en France

Au sud de Charleville-Mézières, débutent les crêtes préardennaises. C'est un paysage de forêts touffues et de prés gras, de maisons en pierres, briques ou colombages. On y croise des troupeaux de vaches et des champs de maïs, des clairières forestières et des amas de bois, empilés au bord de routes sinueuses. Boutancourt et son calcaire couleur café au lait, Attigny et son « Dôme de Charlemagne », un porche Renaissance bâti à la place d'un ancien site carolingien, constituent le meilleur de ce petit patrimoine local, dont tous les territoires de France se prévalent. Voilà grosso modo le décor ni gai ni triste dans lequel Rimbaud grandit. À hauteur de l'Aisne et de ses prairies de crues, Voncq est la première étape du souvenir rimbaldien. C'est ici, à plusieurs reprises, que le jeune poète montera dans le train pour Paris, où sa prose inédite et enflammée suscita admiration et critiques. Le site de la gare est exsangue, totalement dépourvu d’informations. Seule une sculpture de malle en métal, surmontée du nom des villes où le poète voyagea – la seconde vie de Rimbaud, après qu’il eut arrêté définitivement la poésie à 21 ans –, évoque sa mémoire.

Une ferme familiale détruite

Maison construite sur les fondations de la ferme familiale d'origine d'Arthur Rimbaud, poète français, 1854-91, Roche, Chuffilly-Roche, Ardennes, Grand Est, France, achetée pour le Musée Rimbaud par Patti Smith. La maison est sur la Route Rimbaud Verlaine
© Manuel Cohen/Détours en France

C’est à Chuffilly-Roche, au hameau de Roche, que s’incarne le mieux la filiation ardennaise de Rimbaud. De la ferme familiale, il ne reste qu’un pan de mur. À la place de la bâtisse où le poète écrivit à 21 ans, au grenier, ce que les puristes considèrent comme son plus grand chef-d’œuvre, Une saison en enfer, se dresse une maisonnette, acquise en 2017 par la chanteuse américaine Patti Smith. Une rimbaldienne inconditionnelle, comme d’autres ne jurent que par Verlaine. « Sur ces lieux, Rimbaud a espéré, désespéré et souffert », est-il écrit sur l’un des trop rares panneaux didactiques jalonnant la route. À deux pas se tient le lavoir de Roche, un lieu romantique qui inspira Rimbaud.

Vouziers, en souvenir des violences de Verlaine

© Manuel Cohen/Détours en France

Quelques kilomètres au sud, voici Vouziers. C'est dans cette cité qu'en 1885 Paul Verlaine fut condamné à un mois de prison, pour violences à l'encontre de sa mère. Illustration de l'âme tourmentée et duplice - aujourd'hui, on dirait bipolaire - de celui qui ne se remit jamais vraiment de la mort de son père, quand il avait 20 ans. Un esprit sombre et caractériel, à l'instar de son jeune amant… ébranlement qui les avait pourtant rapprochés quelques années auparavant. Le tribunal à quatre colonnes et façade néoclassique, désormais désaffecté, porte une information rapportant les faits de cette condamnation.

Coulomnes, le passage-éclair de Verlaine

Vers l'est, la traversée du village de Coulommes fait entrer de plain-pied dans le parcours ardennais de Verlaine. Déjà célèbre à 22 ans pour ses poèmes, l'aîné des deux a rompu avec Rimbaud et purgé sa peine lorsqu'en 1877, il prend contact avec Ernest Delahaye, l'un des rares amis du poète ardennais. Il compte récupérer grâce à lui des manuscrits laissés auprès de son ancien compagnon. Sans argent et désœuvré à Paris, il a aussi besoin d'un travail. Delahaye lui propose de devenir professeur d'anglais et de dessin à Rethel. Voilà Verlaine, la trentaine, installé dans les Ardennes. Mais les choses ne se passent pas pour le mieux. En 1878, son contrat n'est pas renouvelé et il trouve refuge chez les parents d'un de ses élèves, Lucien Létinois, à Coulommes. Cette « ferme Verlaine », ou ferme de Malval, se trouve au carrefour avec la D987. On y jettera un œil au passage mais, privée, elle ne se visite pas. 

Juniville, un musée pour Verlaine

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C'est à Juniville que l'on entre mieux dans l'univers de Verlaine. Grâce à l'argent de sa mère, il acquiert une ferme dans ce village. Les Létinois s'y installent tandis que le poète préfère louer une maison voisine. Disparue, elle se trouvait face à l'Auberge du Lion d'Or où, sans surprise, Verlaine a ses habitudes. Il y joue aux cartes, apprend des mots de patois ardennais. « Murs blancs, toit rouge, c'est l'Auberge fraîche au bord du grand chemin poudreux […], l'Auberge gaie avec le bonheur pour enseigne », écrira-t-il.  Cette adresse qu'il fréquenta de 1880 à 1882 est devenue l'Auberge de Verlaine, un musée à sa mémoire. Tout le mobilier date de cette période et il ne faut pas rater la présentation, conduite de main de maître, par l'animateur du lieu, Marc Gaillot, fin connaisseur des deux auteurs.

 

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On apprend que Verlaine écrivit son premier poème à 11 ans, qu'il eut Louise Michel pour témoin de mariage et qu'il fut communard. On apprend aussi que plus jeune, Rimbaud aurait volé Les Fêtes galantes dans une librairie de Charleville, un recueil de poèmes de Verlaine qui lui valait déjà la notoriété. Lorsque l'aîné lut les premiers écrits de Rimbaud, il se serait écrié : « c'est un cristal que je viens de recevoir. » « Au contact de Rimbaud, Verlaine retrouve le goût de l' écriture jusqu'à ce que leurs corps se mêlent », image Marc Gaillot. Las, leur relation ne résistera pas à leurs déséquilibres. Quittant Juniville, Verlaine rentre finalement à Paris, ruiné, en 1882. Il meurt quatorze ans plus tard, à 51 ans. Les Ardennes ont été le théâtre des désirs et des souffrances des deux poètes.

Infos pratiques

© Manuel Cohen/Détours en France

Auberge de Verlaine. 1, rue du Pont-Paquis, 08310 Juniville. Tél. : 09 61 25 97 33. musee-verlaine.fr

Du mardi au dim., de 14 h à 18 h, du 1er avril au 31 oct ; du lundi au vend., de 14 h à 17 h, du 1er nov. au 31 mars. Le matin : sur rendez-vous uniquement. Visite guidée. Plein tarif : 6 €.

Que voir d'inédit dans les Ardennes?

© Manuel Cohen/Détours en France

On a tous en tête ces films d'époque où l'on voit des coches faire étape dans une taverne bruyante, tandis que les chevaux mis au repos sont nourris dans une écurie voisine. Durant des siècles, les relais de poste ont scandé les chemins de nos campagnes. En existe-t-il encore dans leur état d'origine ? Oui, deux : l'un dans la Vienne ; l'autre à Launoy-sur-Vence, dans les Ardennes. Corps de bâtiments en U datant de 1654, il déploie tous les services utiles à sa tenue : les portes charretières ; l'écurie de soins et son atelier de maréchalerie ; le pressoir à cidre ; la halle aux diligences ; le logis du maître de poste ; celui du guetteur, chargé de surveiller les départs de feu ; les greniers à foin ; les stalles des chevaux reposés. .. Le relais était situé sur les axes Paris-Sedan, une route parcourue en cinq jours et demi, et Amsterdam-Marseille. 60 chevaux pouvaient être reçus sur ce site utilisé jusqu'au XIXe siècle et l'arrivée du chemin de fer. Autonome, il possédait une ferme, une laiterie, un fournil, un poulailler… Chaque relais était distant de 7 lieux (28 km). Les postillons étaient identifiables : ils portaient une plaque sur le bras indiquant leur relais d'attachement et, chaussés de bottes, ne se déplaçaient pas sans leur Perpignan (fouet en micocoulier) et leur arme, afin de se protéger des bandits de grand chemin. Un site captivant.

Relais de la Poste aux chevaux. 25, av. Roger-Ponsart, 08430 Launois-sur-Vence. Tél. : 03 24 35 02 69. posteauxchevaux.com. Visites audioguidées.

Un prestataire, Les Sabots du Relais, organise aussi des balades attelées, nature, patrimoniales et gourmandes, autour de Launois-sur-Vence, à partir du Relais de la Poste. Tél. : 06 52 65 12 70. facebook.com/lessabotsdurelais08430

Quel office de tourisme pour se renseigner?

Ardennes Tourisme. ardennes.com

Office de tourisme des Crêtes préardennaises. 1, rue Cécilia-Gazanière, 08430 Launois-sur-Vence. Tél. : 03 24 35 02 69.

cretespreardennaises.fr/loffice-de-tourisme

Office de tourisme du Pays Rethélois. 3, quai d'Orfeuil, 08300 Rethel. Tél. : 03 24 38 54 56.

Quelles traces reste-t-il des conflits mondiaux dans les Ardennes?

© Manuel Cohen/Détours en France

1870 ; 1914-1918 ; 1939-1945. Les Ardennes ont connu les trois conflits, soldés par des combats meurtriers, des destructions, une douleur commune. Sur 4 000 m² d'exposition, ce grand musée à l'architecture audacieuse met en perspective le contexte de chaque conflit, raconte la vie sous l'occupation, s'intéresse à l'industrie de la guerre. Mieux qu'un cours magistral, les frises chronologiques, les audiovisuels des batailles, la scénographie des tranchées… plongent dans l'Histoire contemporaine de la France, au fil d'une muséographie repensée en 2018.

Musée Guerre & Paix en Ardennes. Impasse du Musée. 08270 Novion-Porcien. Tél. : 03 24 72 69 50. guerreetpaix.fr
Ouvert toute l’année, tous les jours de 10 h à 19 h, du 1er juil. au 31 août et du mardi au dim. de 10 h à 17 h, du 1er sept. au 30 juin. Plein tarif : 8 €.

C'est quoi la route historique Rimbaud-Verlaine?

Route franco-belge de 300 km, avec 8 étapes. La partie française court de Juniville (musée Verlaine), située au sud de Rethel, à Charleville-Mézières (ville de Rimbaud), sur 60 km visitardenne.com/fr/les-routes-touristiques/la-route-rimbaud-verlaine

Que voir dans les Ardennes en dehors de Rimbaud-Verlaine?

Un fond de vallée humide. Une fabrique marquée par le temps. Des chariots emplis de terre, de la poussière, des fours, des manomètres… voilà le cadre du Moulin d'Écordal, « le dernier fabricant de terres colorantes en France », assure Emmanuel Poix, son propriétaire. Depuis 1866, on y sèche (à 200 °C), calcine (à 700 °C) et broie de la « terre de Sienne » des Ardennes et des argiles venues d'ailleurs, pour fabriquer des poudres colorantes naturelles ultrafines. Usage : la peinture, pour les artistes et les entreprises du bâtiment ou de restauration du patrimoine. Les colorants synthétiques n'ont pas tout à fait tué ce métier qui vaut à l'atelier d'être classé « Entreprise du patrimoine vivant » et d'avoir participé, par exemple, à la rénovation du château de Sedan. 45 coloris de poudre sont proposés, du jaune au brun. Marchand de couleurs, marchand de bonheur… Au hameau de Belle Fontaine, Emmanuel Poix, directeur du Moulin à couleurs d'Écordal, a fait sienne une terre de Sienne fabriquée artisanalement, ce depuis 1866, dans les Ardennes. Chaque année, il extrait, broie, mélange 500 tonnes de terre afin d'obtenir des pigments naturels d'une incroyable finesse (30 à 40 microns, soit plus fin que la farine).

Moulin à Couleurs. 4, hameau Bonne Fontaine, 08130 Écordal. Tél. : 03 24 71 22 75. moulincouleurs.fr

Magasin ouvert du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 17 h (16 h 30 le vendredi).

Où dormir sur la route Rimbaud-Verlaine ?

Hôtel-restaurant Le Moderne. 2, place Victor-Hugo, 08300 Rethel.

Tél. : 03 24 38 44 54. hotel-lemoderne.fr

Face à la gare, une adresse bien tenue avec une cuisine de qualité. Chambre à partir de 74 €.

Formule-étape midi et soir pour les résidents à 16,50 € et 21,50 €. Menus à 29 et 39 €, servis dans une salle plus cossue.

Que rapporter des Ardennes?

Charcuterie Demoizet

1, rue Hyppolite-Taine, 08300 Rethel.

Tél. : 03 24 38 42 05. demoizet.fr

La référence « absolue » en matière de « boudin blanc de Rethel », produit bénéficiant d'un IGP.

 

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