Pour se protéger des inondations, les artisans installaient leurs métiers à l’étage, sous des toits pentus percés de chiens- assis pour mieux y faire entrer la lumière. On voit quelques belles demeures de ce style dans l’austère centre-ville. Teinturiers et lissiers occupaient aussi le quartier de la Terrade, charmant avec ses rues pavées, ses maisons de granit. Au XIXe siècle, les manufactures s’implantèrent au bord de la Creuse, où défilent parfois les kayaks. On y pêche même à la mouche, en pleine ville ! Il faut grimper à la tour de l’Horloge pour voir les toits imbriqués et la cohue des jardins en terrasse. Drôle de ville au creux de ses cinq vallées encaissées... et tapissées de verdure.

Felletin la lainière

À 10 kilomètres de là, Felletin tisse une autre toile. La « porte du plateau de Millevaches » est plus rurale et plus militante. On lui trouve un air très guilleret le vendredi matin, jour du marché. Sans conteste le plus animé du département avec ses stands de producteurs, ses artisans, ses musiciens de rue. Les habitués vont à la ressourcerie, à la friperie. Au Grand Café, tout le monde se mélange joyeusement, paysans à moustache et néoruraux à dreadlocks. Le centre a du charme avec ses tourelles nobles taillées dans le granit rustique. Et la tapisserie ? À l’église Sainte-Valérie, les ouvriers lisseurs des manufactures du XVIIIe siècle ont peint à la gouache la chapelle des Lissiers. Le décor de forêts sombres s’inspire des cartons de verdures du XVIIe siècle et des bois épais de la région.
Felletin a compté jusqu’à 18 moulins. L’un d’eux sert encore à la filature Terrade, entreprise familiale située au bord de la rivière. La cinquième génération veille encore sur la machine à carder, long serpent de vingt mètres de long qui fait tourner ses engrenages et ses courroies dans un bruit de tous les diables. Ici se fabriquent des fils de 1 000 à 20 000 mètres, simples ou retors, destinés aux fabricants de tapis et moquettes, aux spécialistes de la bonneterie. Mais on fournit aussi le Mobilier National, Hermès, Vuitton, Dior... À la teinturerie, on croise Manon, fraîchement venue du Bordelais. Avec ses bras tatoués et son parcours d’artiste, elle a trouvé sa place à la filature, comme à Felletin. « C’est une ville accueillante, qui regorge de concerts, de spectacles artistiques, de festivals, même en hiver. C’est un foyer d’art vivant, ici. Allez voir du côté de la gare, vous verrez. »


Ici, les diamants sont éternels

Nous y allons. Le train Guéret-Felletin assure encore le service, mais la gare est surtout devenue un tiers-lieu très actif. On y trouve une cantine, un bar associatif, une ludothèque, une radio, un espace de coworking, un skatepark et un lieu d’expositions. Tout autour, des ateliers font revivre le quartier depuis une quinzaine d’années. Finissons au bord de la Creuse. Près du joli pont Roby, l’ancienne diamanterie ouvre tout juste ses portes au public. De 1906 à 1982, des milliers de diamants ont été taillés dans cette coopérative ouvrière, baptisée « La Felletinoise ». La muséographie inventive et interactive retrace l’histoire étonnante de cette aventure diamantaire, qui faisait vivre plus de cent personnes voilà un siècle. On tailla ici pour la joaillerie, puis pour l’industrie avec la même habileté et la même patience que les lissiers des manufactures. À Felletin comme à Aubusson, on a de l’or au bout des doigts... et parfois des diamants.