La vallée de la Creuse, muse éternelle

Un soir de juin 1857, George Sand découvre le village de Gargilesse et en tombe aussitôt amoureuse. Nous ne sommes plus dans le plat bocage du Berry, mais dans les proches environs de la vallée de la Creuse, dont les coteaux pentus sont alors couverts de bruyères roses.

Des pionniers du paysagisme se sont déjà essayés à la peinture en plein air du côté d’Argenton-sur-Creuse, la « Venise du Berry ». Mais c’est la dame de Nohant qui va bientôt le mettre sur la carte. Paris sait bientôt tout de Gargilesse et de ses escapades romantiques aux ruines du château de Crozant. L’apparition des tubes de peinture à huile et la mise en service de la ligne de chemin de fer Paris-Limoges feront le reste : les peintres affluent bientôt à Gargilesse pour peindre sur le motif, faisant du village un petit Fontainebleau. Quelques années plus tard arrive une seconde génération plus intéressée par la technique impressionniste, qui se retrouve chez le poète Maurice Rollinat, « filleul littéraire » de George Sand : Monet, Guillaumin, Léon Detroy, les Suédois Allan et Anders Osterlind... jusqu’à Francis Picabia qui viendra en Creuse en 1905. « Ils appréciaient les reliefs marqués de la vallée de la Creuse, y trouvant un caractère presque montagneux », détaille Jean-Paul Thibaudeau, maire d’Éguzon et fin connaisseur de l’histoire des impressionnistes.

Site phare de la vallée, Crozant fascine les Armand Guillaumin, Eugène Alluaud, Anders Osterlind, Alfred Smith... « On pense qu’au moins 500 peintres sont venus travailler ici entre 1860 et 1940. L’école de Crozant fonctionnait comme une colonie d’artistes sans cesse renouvelée. On logeait à l’hôtel Lépinat de Crozant, à l’Hôtel des Artistes de Gargilesse, on discutait et on échangeait sans cesse, on faisait la fête... » Sous les pinceaux des impressionnistes, les paysages se colorent de rose, de mauve, d’orange ardent, de violet audacieux. Du rocher de la Fileuse, la vue est splendide sur les vestiges du château, perchés sur leur piton de granit. La Sédelle et la Creuse s’y unissent toujours, mais la forêt a presque entièrement remplacé la lande à bruyères et à genêts. « Les moutons et les chèvres ne ratissent plus les flancs de la vallée, la végétation basse a disparu », explique Jean-Paul Thibaudeau. 

Non loin de là, à Fresselines, Claude Monet a bataillé pour retranscrire la lumière si particulière qui baigne la confluence de la Petite et de la Grande Creuse. « Arrivé en 1889, il ne devait rester que quelques semaines. Il restera trois mois, et son œuvre est désormais exposée à Boston, Philadelphie et Chicago. » Léon Detroy n’aura pas sa postérité, mais ce peintre immense a peint comme personne la Gargilesse en crue et les moulins de cette vallée dans laquelle il a vécu pendant soixante ans. Et aujourd’hui ? « L’avenir de la vallée est à inventer », répond Carine Stahl, la directrice du formidable musée de la vallée de la Creuse, à Éguzon. « La bruyère ayant disparu ou presque, il serait absurde de continuer à peindre la vallée en mauve et violet. Les artistes contemporains invités en résidence savent s’extraire de la nostalgie », dit-elle en nous présentant les œuvres de Ruben Fuentes, qui peint la Creuse comme une petite Amazone, et de Katarina Axelsson, qui capte l’éternité d’une forêt brumeuse au-dessus d’une rivière noire. A visiter : l’Espace Monet Rollinat, à Fresselines, qui expose et soutient la création contemporaine.

Le temps des colonies de peintres est passé, mais la vallée de la Creuse compte encore quelques artistes solitaires. Le plus surprenant est sans conteste Guy Baudat, à Châteaubrun. Cet ancien potier de Gargilesse, devenu sculpteur, a investi une imposante forteresse de mille ans perchée au-dessus de la vallée. Dans la cour, dans les salles du château, sur les murs de la tour, l’artiste a installé des sculptures de bronze monumentales qui ne laissent personne indifférent. Femme encagée, tapette à souris humaine, couteau évoquant le viol, seringue géante... L’actualité inspire manifestement le sculpteur, mais la vallée aussi. « Je l’appelle la “vallée aux loups”, car on sent que c’était leur refuge. C’est un lieu plein d’une énergie animale. Sans ça, Guillaumin et les autres ne seraient pas venus. » À 15 kilomètres en aval, la Creuse nous mène chez un autre artiste fou, Jorge Carrasco. De 1968 à 1976, cet artiste bolivien entreprend de couvrir les murs et le plafond de l’église du Menoux d’une gigantesque fresque ayant pour thème la création de l’homme et de l’univers. La surprise est de taille lorsqu’on pénètre l’édifice : une explosion de couleurs envahit les 400 mètres carrés de l’église. La Genèse, le feu de la Création semblent se jouer sous les voûtes, transformées en tableau psychédélique. Comme un clin d’œil involontaire à la « sauvagerie terrible » que ressentait Claude Monet en posant son chevalet à Fresselines, plus en amont.

La Creuse est une rivière longue de plus de 200 kilomètres qui coule dans quatre départements français : le département de la Creuse, auquel elle a donné son nom, l'Indre, l'Indre-et-Loire et la Vienne. Ce cours d'eau est un affluent de la Vienne.

Avec la Vézère, la Vienne ou encore la Corrèze, la Creuse est l'une des nombreuses rivières qui prennent leur source sur le plateau de Millevaches, contrefort septentrional du Massif Central. Elle prend plus précisément sa source dans la commune du Mas-d'Artige, dans la Creuse.