Château-Gaillard, la fille chérie de Richard Cœur de Lion
Cette forteresse aux allures de krak des Chevaliers a permis à Philippe Auguste de s’emparer de la Normandie. Elle fut le témoin d’un siège implacable et peut-être de l’assassinat d’une reine.
Des ruines, mais quelles ruines ! À 100 mètres au-dessus de la Seine, elles impressionnent toujours le visiteur, neuf cents ans après. Tours balafrées mais fières, trois murailles, donjon massif : Château-Gaillard a un air de krak des chevaliers égaré en Normandie…
L'histoire du Château
C’est d’ailleurs à son retour de la troisième croisade que Richard Coeur de Lion la fit bâtir en 1196, en s’inspirant des châteaux syriens, reconnaissables à leurs nombreuses tours et à leur triple enceinte. Il fallut juste un an mais six mille ouvriers pour bâtir cette forteresse qui, dans la tête de Richard Coeur de Lion, devait contrer les ambitions du roi de France sur la Normandie. L’Histoire lui apporta un sanglant démenti.
Le siège du fort
En parcourant les ruines qui épousent l’éperon rocheux, il faut imaginer comment se déroula le siège décidé par Philippe Auguste en 1203.
Jean sans Terre a pris le relais de son frère Richard, tombé à châlus, et c’est le sieur Roger de Lacy qui est à la tête des assiégés. Après sept mois de siège, ils résistent toujours, encerclés par le réseau de tours en bois édifié par les Français. Philippe Auguste décide de lancer l’assaut.
L’offensive a commencé par la prise du bastion, ouvrage avancé de forme triangulaire qui était défendu par cinq tours et un large fossé. Aujourd’hui, il ne reste qu’une des tours, la plus haute. Les Français réussirent à faire un trou dans la muraille en allumant un feu dans une brèche et en faisant éclater les pierres. De là, ils poursuivirent les assiégés repliés à l’intérieur de la première enceinte, qui avait un talon d’achille : une fenêtre mal défendue.
Les historiens affirment qu’il s’agirait d’une fenêtre de la chapelle, édifiée par Jean sans Terre, en dépit des règles de sécurité. Mais violer un lieu de culte était mal vu à l’époque : les Français affirmèrent être rentrés par les latrines !
Ne restait plus à faire tomber que la deuxième enceinte : les armées de Philippe Auguste s’y attaquèrent à coup de catapulte et finirent par tailler une brèche. Les assiégés n’eurent pas le temps de se réfugier dans le donjon et durent enfin se rendre.
Architecture du lieu
La forteresse n’a guère été épargnée par l’Histoire : Henri IV ordonna de la démanteler et autorisa un ordre de religieux des Andelys à se servir des pierres. Pourtant, Château-Gaillard reste impressionnant. Le donjon circulaire a encore fère allure et le rempart, ou chemise, qui le protège est surprenant avec ses murs festonnés : dix-neuf pans de mur arrondis qui se succèdent et donnaient moins de prise aux projectiles.
Percés de meurtrières, les murs permettaient aussi de tirer de biais sans le moindre angle mort. Ce dispositif était très original à l’époque. On peut encore voir des restes du logis du gouverneur, attenant au donjon. Tout comme une autre prouesse des bâtisseurs de Château-Gaillard : un puits creusé dans la roche jusqu’à la nappe phréatique cent mètres plus bas. Un exploit si on songe aux pauvres moyens dont on disposait alors !
Le mystère de Marguerite de Bourgogne
En déambulant dans les ruines, on songe aussi à Marguerite de Bourgogne, l’épouse de Louis X le Hutin, qui fut enfermée ici après la découverte de son adultère. Dans l’une des tours ? Dans un souterrain au pied du donjon ? Dans le donjon lui-même ? Quoi qu’il en soit, sa réclusion dans un château guerrier, qui n’avait rien de résidentiel, a dû être cruelle.
Maurice Druon, dans Les Rois maudits, raconte qu’elle a été étranglée ici, sur ordre de son royal époux, soucieux de contracter une nouvelle union. La chose n’a jamais été vérifiée : on n’a jamais retrouvé la sépulture de Marguerite, que ce soit sur le site du château ou au couvent des Cordeliers de Vernon, lieu auquel son statut de reine, même répudiée, lui donnait accès.
Alors, Marguerite plutôt morte dans son château de Couches en Bourgogne ? Là non plus, pas de trace de sépulture… Le mystère de la reine étranglée reste entier. Mais on raconte ici que certaines nuits, on peut apercevoir une silhouette errer dans les ruines et entendre un cri d’agonie…
Les bouches inutiles

Pendant le siège de 1203, Roger de Lacy, soucieux d’économiser les vivres de la forteresse pour ses soldats, chasse les habitants des Andelys venus s’y réfugier : les malheureux vont errer entre les deux camps qui les repoussent et la plupart vont mourir de faim et de froid. On signale même des cas de cannibalisme. Philippe Auguste finira par être clément. Mais un millier de personnes ont ainsi péri dans l’épisode tragique des « bouches inutiles ».
Il est illustré par un tableau signé Francis Tattegrain, visible à l’hôtel de ville des Andelys.