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Ces trésors cachés de Versailles que les visiteurs ne voient jamais

Le Pavillon français Louis XV commande à Ange-Jacques Gabriel un bâtiment d’agrément, placé au milieu des nouveaux parterres et conçu pour être en étroite liaison avec eux., dont les larges fenêtres ouvrent la perspective sur les jardins du domaine de Trianon, a été édifié sous le règne de Louis XV. Le Pavillon français Louis XV : un bâtiment d’agrément, placé au milieu des nouveaux parterres et conçu pour être en étroite liaison avec eux, dont les larges fenêtres ouvrent la perspective sur les jardins du domaine de Tria - © Bertrand Rieger / Détours en France

Publié le par Catherine Delvaux

Avec ses sept millions de visiteurs par an, le château de Versailles a été étudié dans des centaines d’ouvrages. Pour autant, il n’a pas livré tous ses mystères. En effet, plus de 200 pièces restent inaccessibles. Non restaurées, trop exiguës, voire trop fragiles, elles abritent nombre de récits enfouis. Certains de ces lieux s’ouvrent cependant au public. Pénétrez dans les dédales oubliés de Versailles où vous trouverez, là un escalier cheminant dans l’épaisseur des murs, ici la machine électrique de Louis XVI, et bien d’autres découvertes...

Le Pavillon français

Pavillon français de Versailles
© Bertrand Rieger / Détours en France

À la fin de l’année 1744, Louis XV, sujet à des épisodes de dépression, revient séjourner au palais de Trianon, délaissé depuis plusieurs décennies,mais dont il conserve un souvenir agréable de son enfance. Trois ans plus tard, il lance un ambitieux chantier de rénovation. La marquise de Pompadour soutient ce projet : elle veut distraire son royal amant de sa mélancolie. Un nouveau jardin à la française voit le jour, une ménagerie d’animaux de la ferme et une laiterie sont installées. Dans l’axe du Petit Trianon, un minuscule pavillon permet de s’immerger au centre
de ce nouveau jardin : le Pavillon français, alors appelé « pavillon de la Nouvelle Ménagerie ». Cette fabrique octogonale flanquée de quatre petits cabinets carrés disposés en croix est destinée « au jeu, à la collation, à la conversation ou au concert ». Il semble que Louis XV y ait passé des moments heureux en compagnie de ses proches. À la belle saison, tous goûtent aux produits des potagers, des vergers et de la laiterie, accompagnés de champagne dont raffole la marquise, et de café, dont Louis XV était amateur. L’un des cabinets est en effet un réchauffoir, une petite cuisine où l’on tient les plats au chaud, accessible par l’extérieur. Marie-Antoinette y donnera par la suite des fêtes. Transformé en café à la Révolution, il redevient avec l’Empire un lieu de fêtes, avant de tomber dans l’oubli et de se dégrader. Maladroitement restauré à la fin du XIXe siècle, il retrouve toute sa splendeur lors des travaux entrepris en 2008. 

La garde-robe de Louis XVI

Le Cabinet de Garde-Robe de Louis XVI à Versailles fait partie de ces petites pièces d’exception rarement ouvertes aux visiteurs.
Le Cabinet de Garde-Robe de Louis XVI à Versailles fait partie de ces petites pièces d’exception rarement ouvertes aux visiteurs. © Château de Versailles / Thomas Garnier

Le cabinet de travail de Louis XVI, aussi appelé « garde‐robe », est l’une des pièces les plus intimes et les plus somptueuses du château. On y entre par une porte sous tenture presque invisible. Louis XIV y a accrochésacollectiondetableaux;LouisXV,dépressif,le fait transformer en un appartement d’habitation à l’écart de la cour. C’est de sa fenêtre qu’éploré, il assistera, en 1764, au passage du convoi funéraire de Madame de Pompadour. Louis XVI, en 1788, en fait un chef-d’œuvre de l’art décoratif français du XVIIIe siècle. On s’émerveille devant les meubles fastueux, comme le secrétaire à cylindre ou les toilettes privées, munies d’une chasse d’eau, probablement les premières en France. Mais le plus étonnant n’est pas le plus visible. Si on observe les bas-reliefs dorés des boiseries, expressément voulus par Louis XVI, on distingue les armes de France, les trois fleurs de lis, avec la main de justice et le sceptre. On repère aussi les allégories de la marine, du commerce, de l’agriculture et des sciences, l’une des passions de Louis XVI. L’un des bas-reliefs représente une machine... électrique, découlant de la découverte par le physicien Charles-Augustin Coulomb du principe de l’électrostatique (1785). Plus loin, c’est un graphomètre à pinnules utilisé par les arpenteurs pour mesurer des angles, une pompe à vide, une grue. Preuve que Louis XVI, à certains égards, était un roi très moderne.

Les combles de la galerie des Glaces

Les combles de la Galerie des Glaces à Versailles
© Bertrand Rieger / Détours en France

En 1668, Louis XIV a 30 ans. Il est sur le trône depuis vingt‐cinq ans, mais ne gouverne vraiment que depuis sept ans. Il doit affirmer sa puissance. À l’automne de cette année-là, il ordonne la pose de majestueuses façades en pierre de taille pour envelopper l’ancien petit château de Louis XIII, côté jardin. Entre les appartements du roi, au nord, et ceux de la reine, au sud, Le Vau suggère au roi de faire construire une immense terrasse soutenue par un long portique à arcades. Séduit, Louis XIV lance les travaux. Très rapidement, le roi est sceptique, puis déçu du résultat. Au cours du premier hiver, l’étanchéité de la terrasse fait défaut : la galerie du dessous est noyée. Colbert en informe le roi: « Le ciment de la terrasse ne vaut rien pour avoir été fait trop tard. L’on travaillera incessamment à le rétablir activement. » Mais les problèmes s’accumulent. En fait, le roi a envie, depuis longtemps, d’une « grande galerie sur la façade ». Il est même si impatient qu’il fait démonter la terrasse dès le printemps de 1678, plusieurs mois avant qu’Hardouin- Mansart ne fournisse les dessins de la future galerie. La galerie des Glaces voit donc le jour, adossée à la magnifique et récente façade, que l’on ne prend pas la peine de démonter. Cette dernière, trois cent cinquante ans plus tard, est toujours cachée de tous, à plus de dix mètres au-dessus du sol de la galerie. On y accède par un escalier dérobé. N’étant restée que dix ans à l’air libre, elle est comme neuve. Les sculptures donnent l’impression d’avoir été faites hier. On y voit encore les traces des coups d’outils.

La cuve monolithe de l’Orangerie

La cuve monolithe de l'Orangerie de Versailles
© Christian Milet / Château de Versailles

Une cuve en marbre de Rance de plusieurs tonnes est l’un des rares vestiges d’un appartement jadis aménagé par Louis XIV pour prendre des bains en compagnie de Madame de Montespan. L’histoire de cette cuve, réalisée en 1672 par trois « marbriers ordinaires des Bâtiments du Roi », est rocambolesque. Après avoir servi à la toilette du Roi-Soleil dans l’ancien cabinet des bains, elle est dissimulée sous une estrade et tombe dans l’oubli. Il a fallu la chute d’un valet à travers les planches usées pour rappeler l’existence du monolithe. Extrait des mémoires du duc de Luynes : « Il a fallu démolir l’estrade faite du temps de Madame de Montespan sur laquelle était une niche où l’on avait mis un lit pour M. le comte de Toulouse. Cette estrade avait été faite du temps de Louis XIV pour couvrir une cuve de marbre mise plus anciennement pour baigner plusieurs personnes ensemble, comme c’était alors l’usage.» Vers 1750, elle est sortie du château. Vingt-deux hommes la poussent sur des rouleaux jusqu’aux jardins de la propriété de l’Ermitage de Madame de Pompadour, où elle devient un bassin. Au tournant du XXe siècle, elle est achetée par Robert de Montesquiou et Gabriel Yturri. Ils la déménagent tour à tour au pavillon des Muses, boulevard Maillot, à Neuilly-sur-Seine, puis au palais Rose, au Vésinet. Après la mort de Robert de Montesquiou, M. Brière, conservateur du château de Versailles, fait rapatrier la vasque, où on peut désormais la voir dans l’Orangerie.

La réserve des sculptures

La réserve des sculptures du château de Versailles
© Château de Versailles / Thomas Garnier

C’est l’un des secrets les mieux gardés de Versailles : dans le parc de Le Nôtre, une partie des statues sont des faux ! Enfin, des copies « authentiques ». Les originaux, endommagés par près de trois siècles d’exposition aux intempéries et à la pollution, sont désormais à l’abri dans
la galerie des Sculptures et Moulages, dans la Petite Écurie. Sous les voûtes de la fin du XVIIe siècle est regroupé un ensemble de statues de plusieurs tonnes à la gloire du Roi-Soleil. Certaines œuvres ont été remplacées dans le parc par des copies en poudre de marbre, moulées directement d’après les originaux. Les moindres détails, au dixième de millimètre près, sont reproduits. Comme le marbre, le temps les patine, et bien malin qui peut les différencier de leurs originaux. Ces œuvres, étonnamment, côtoient dans la galerie une cohorte de plâtres provenant des collections du musée du Louvre, des Beaux-Arts et de la Sorbonne. On croise la Vénus de Milo, l’Aurige de Delphes, les métopes du Parthénon... On doit cette collection de moulages à François Ier, soucieux d’offrir aux artistes travaillant à Fontainebleau un ensemble de modèles antiques à copier. Pour cela, il envoie des émissaires chercher en Italie des copies de sculptures grecques et romaines. Et c’est pour accueillir ces œuvres d’art entreposées au Louvre qu’a été créée la galerie des Sculptures et Moulages, en 1970... dont ont bénéficié par la suite les statues en marbre du parc.

La machinerie des Grandes Eaux

Coulisses des fontaines de Versailles
© Bertrand Rieger / Détours en France

Tout au long de son règne, Louis XIV a voulu des jeux d’eau toujours plus nombreux et sophistiqués. Lances, jets, bouillons, cascades, nappes, gouffres devaient montrer sa puissance au monde. Le parc comptait jusqu’à 1600 jets d’eau (quatre fois plus qu’aujourd’hui), consommant 6 300 mètres cubes par heure. La quête de l’eau finissait par relever de l’épopée. En effet, c’était tout le paradoxe du site : une zone marécageuse, mais qui manquait d’eau vive. Et Versailles était situé à 142 mètres au-dessus de la Seine, distante de dix kilomètres. Il fallait donc entreprendre des travaux pharaoniques pour pomper l’eau, l’acheminer et la stocker en hauteur, des travaux qui ne suffisaient jamais. L’étang de Clagny, la Bièvre, les plateaux de Trappes et d’Arcy, différents étangs, et enfin la Seine, avec la machine de Marly, étaient mis à contribution. Les Francine, intendants des fontaines royales de 1623 à 1784, régnaient sur le réseau souterrain du parc. Héritiers de ce métier, les 13 fontainiers de Versailles graissent les 80 vannes, nettoient les bassins, mettent hors gel, restaurent le cuivre et le plomb, ouvrent et ferment les vannes en fonction de la musique. Ils gèrent 35 kilomètres de canalisations (dont 20 d’origine), faisant jaillir 9 000 mètres cubes d’eau dans les 55 bassins, en synchronisation avec la musique. Ils maîtrisaient à la fois les techniques du XVIIe siècle, telles que la soudure à la louche, et les technologies de pointe. Le métier de fontainier, dont le savoir se transmet de génération en génération, est reconnu comme un métier d’art depuis mars 2014.

Le retour du bureau de Limonne

Le bureau de Limonne de Louis XVI à Versailles
© Château de Versailles / RMN / Thomas Garnier

Quand Pierre de Nolhac prend son poste de conservateur du château de Versailles en 1892, le constat est navrant : les appartements sont vides. Pendant trente ans, il va œuvrer pour ramener du mobilier ancien, s’engageant dans une tâche  de longue haleine, riche en polémiques, qui se poursuit de nos jours. C’est ainsi que le bureau de Louis XVI a retrouvé son emplacement d’origine en 2013. Il a fallu le regard perspicace du grand historien du mobilier royal, Pierre Verlet, pour le sortir de l’anonymat où il se trouvait dans la bibliothèque de l’Institut de France. Ses dimensions spectaculaires (3,97 x 1,80 m) et son style si proche d’autres meubles royaux l’ont interpellé. En lisant l’inventaire de Versailles de 1785, il a pu reconnaître sa provenance, soit la petite bibliothèque des combles de Louis XVI. Plus tard, la paternité du meuble a été attribuée à Jean-François Limonne, ébéniste versaillais, installé rue de l’Orangerie. La largeur exceptionnelle du bureau permettait d’accueillir les encyclopédies et les cartes géographiques qui passionnaient Louis XVI, lui qui suivait les voyages du capitaine Cook et qui a lui-même fixé le programme d’exploration scientifique de La Pérouse dans le Pacifique. Le bureau aurait été saisi pendant la Révolution et récupéré par le Comité de salut public qui siégeait dans l’ancien collège des Quatre-Nations (devenu l’Institut de France). Il est ensuite passé au palais Mazarin. En 2013, il a été échangé contre un superbe bureau plat d’André-Charles Boulle qui ornait autrefois le château de Chantilly (propriété de l’Institut de France).

Le chêne de Louis XIV

Chêne du Château de Versailles
© Château de Versailles / Didier Saulnier

Louis XIV aimait les arbres. Le Nôtre, à partir de 1661, en fit venir des milliers à Versailles. Ainsi, quantité d’arbres adultes furent transplantés, « levés en motte », jusque dans les forêts de Normandie. Saint-Simon évoque ces « forêts toutes venues et touffues, faites de grands arbres de Compiègne, et de bien plus loin sans cesse, dont plus des trois quarts mouraient et qu’on remplaçait aussitôt ». Parmi tous ces arbres, l’un a traversé le temps. Il s’agit d’un chêne pédonculé, doyen des arbres de Versailles, situé près du Grand Trianon. Selon les études dendrochronologiques, il aurait germé en 1670 et aurait connu Louis XIV. Nul ne sait s’il a poussé sur place ou s’il a été planté jeune, en provenance d’une forêt française. Curieusement, il n’a laissé aucune trace dans les archives du château. Il mesure 36 mètres de haut, et la circonférence de son tronc est de 5,24 mètres. Il a échappé à l’abattage général de 1776, prélude d’une replantation ordonnée par Louis XVI, ulcéré par le mauvais état du parc. Il a connu la Révolution, les guerres napoléoniennes, la guerre franco-prussienne, la Commune, les deux guerres mondiales et diverses tempêtes tout aussi meurtrières (Saint-Maur en 1678, Lothar en 1999 et Klaus en 2009). Une vie riche de péripéties pour un arbre qui n’en est qu’au tiers de sa vie, puisque le chêne d’Allouville-Bellefosse, au cœur du pays de Caux, aurait, lui, 1 200 ans !

Sources

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