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24 heures dans la vie d'un gardian en Camargue

Par Florence Donnarel

C’est une terre sauvage balayée par le mistral, quadrillée de pâturages, de rizières et de sansouïres, d’étangs et de marais qui s’évanouissent dans la mer. Ici, le regard se pose sur les taureaux et les chevaux blancs en liberté. Dans ce delta rugueux, nous avons rencontré des gardians de manades, mais nous avons aussi arpenté les marais avec ceux qui les protègent et les exploitent.

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Chevaux camarguais
Les chevaux camarguais de la manade de Jacques Mailhan courent en totale liberté dans le sansouïre vers l'étang de Malagroy.

Hommage à Florence Clauzel

Ce reportage a été réalisé en 2017. À cette occasion, nous avions eu le plaisir de rencontrer la manadière Florence Clauzel. Nous avons appris son décès début 2018. Cet article est une façon de lui rendre hommage. 

Quelques codes en Camargue

Le mistral a lavé le ciel. Sans entrave, le soleil répand sa lumière douce et cuivrée sur les rizières, les étangs, les champs de blé coupé ponctués de bottes de foin, les pâturages encore verts. Les oiseaux chantent dans les peupliers frémissants sous l’effet du vent. Il est 8 heures. Dans le sud-ouest du delta du Rhône, à quelques kilomètres des Saintes-Maries-de-la-Mer, Florence Clauzel accueille ses gardians dans la manade Saint-Antoine. Cette belle quadragénaire, rouge aux lèvres et crinière rousse domptée dans une queue-de-cheval, met un point d’honneur à respecter l’élégant code vestimentaire de la Camargue, avec sa chemise à pois et son pantalon de gardian ajustés. « Cela fait partie de nos traditions. Sans cela, on travaillerait en jean et casquette ! » Après avoir passé vingt ans à Paris, elle est revenue sur ses terres il y a douze ans pour élever taureaux et chevaux.

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Gardians camarguais

La manade de Florence Clauzel

« Je suis retournée dans ma vraie vie », confie avec un grand sourire celle qui n’a jamais rompu les attaches avec une Camargue où seuls les amoureux des grands espaces, de la solitude et du bétail sauvage s’enracinent. « Tenir une manade relève du sacerdoce », précise la propriétaire des 300 hectares où paissent plus de 200 bovins. « Nous ne possédons pas les taureaux, ce sont eux qui nous possèdent. » Surveillance des bêtes, entretien des 20 kilomètres de clôtures, maintenance des canaux d’irrigation des pâturages, élevage des chevaux de travail, tri des animaux pour les courses camarguaises... Justement, nous sommes venus ce matin dans la manade pour assister au tri du taureau qui s’élancera cet après-midi dans les arènes d’Arles pour la 85e Cocarde d’Or, une des plus prestigieuses courses camarguaises.

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Chevaux de Camargue

L'aide des cow-boys camarguais

Pour sélectionner ses bêtes, Florence fait appel à des « amateurs » : ces gardians bénévoles, ou « cow-boys » camarguais, aident les manades à rassembler et à trier, à cheval, leur troupeau de taureaux. Chapeau sombre vissé sur la tête, chemise camarguaise de rigueur, Régis Blayrat est l’un d’eux. Tôt ce matin, il a quitté ses vignes du Gard avec sa remorque et son canasson pour donner un coup de main à Florence. « Cela fait quarante ans que je suis lié à la manade de la famille Clauzel », précise-t-il dans un accent chantant, en avalant un café dans le hangar à foin. « C’est moi qui fais les escoussures, ces entailles aux oreilles des veaux qui identifient le troupeau. »

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Gardians et chevaux camarguais

La Camargue, cheval du gardian

On distingue d’abord six taches claires avant d’apercevoir de fringants chevaux musardant dans l’herbe. L’équidé camarguais est une bête rustique adaptée aux brûlures de l’été et aux morsures de l’hiver, au vent, aux insectes et aux marais de la région. Robe gris clair, 1,50 mètre au garrot, le complice des gardians incarne une Camargue sauvage et libre. Alors, quand il vous frôle ou, curieux, pose son museau sur votre épaule, difficile de résister à l’envie de l’étreindre et de le caresser. Florence appelle ses chevaux. Certains s’approchent spontanément, quelques-uns suivent, dociles. Elle amadoue les autres avec son « saqueton », une poche emplie de grains. Bientôt les chevaux trottent vers l’écurie.

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Gardians

Brossés, sellés, bridés, ils sont prêts pour le tri. Dans un nuage de poussière, munis chacun d’un long bâton (le trident est plutôt réservé aux ferrades), Florence et ses gardians s’élancent sur leur monture vers le clos des cocardiers. Dans cette vaste prairie piquée d’arbres où sont rassemblés les treize taureaux de course de la manade, les cavaliers encerclent le troupeau pour le conduire vers l’enclos de tri. C’est là que nous les attendons. Le tintinnabulement des sonnailles et toujours cette poussière soulevée par les sabots et le battement des queues annoncent bientôt l’arrivée des bêtes. Les « simbèus », des taureaux plus dociles dressés pour aider les gardians dans la conduite du bétail, portent des cloches et guident le cortège.

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Taureaux de Camargue

Le choix du taureau cocardier

Nous voilà enfin présentés au fameux cocardier : un imposant bovin au pelage sombre, les cornes en forme de lyre, une masse de 250 à 400 kilos pour 1,40 mètre, très habile à la course. « Allez on y va », lance Florence. Les cavaliers se positionnent dans le champ alors que le troupeau s’est replié dans une de ses extrémités. Un des gardians s’avance lentement vers les bêtes. Il a identifié Saint-Vincent, « le » taureau de Régis, et par un jeu subtil de mouvements, il l’oblige à sortir du troupeau.

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Taureaux camarguais

Les autres cavaliers sont prêts à canaliser son déplacement, mais le taureau est plutôt obéissant aujourd’hui. Il se dirige de lui-même vers le couloir formé par des barrières en bois qui mène au « char », un camion spécialement aménagé pour accueillir les bovins. Deux simbèus le rejoignent. Il est dix heures. Le soleil commence à marquer la terre de son sceau de feu. « On ne sait jamais comment va se passer un tri, explique Florence Clauzel. La meilleure façon de procéder, c’est d’éviter les galops, les cris, les déplacements intempestifs. Le maître mot, c’est le calme. »

L'encocardement

« Chut... », intime Alexandre Clauzel lorsque l’on grimpe sur une palissade près du « char ». Allongé sur une des planches en bois fixées au sommet du camion à la place du toit, il dégaine son opinel et tire d’une petite mallette des bobines de ficelles et des pompons. Sous lui, les taureaux meuglent, encordés aux planches par leurs cornes. C’est toujours le frère de Florence qui réalise l’encocardement. D’un geste bref et précis, il attache des attributs sur la tête du taureau qui devront être retirés avec un crochet par les raseteurs (les joueurs) lors de la course. Ce jeu sportif, sans mise à mort, appelé aussi course à la cocarde, fédère des milliers de passionnés, du Gard à l’Hérault en passant par le Vaucluse et bien sûr l’ouest des Bouches-du-Rhône, avec un cœur battant dans le delta.

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Encocardement de taureau

Alexandre déroule sa ficelle, tranche une longueur avec son couteau, puis glisse son bras sous la planche pour entourer la corne et répète son opération, jouant avec des nœuds coulissants et sa lame pour aligner côte à côte une quinzaine de ficelles sur chaque corne. Il attache aussi à leur base deux pompons de laine blanche (les glands) ainsi qu’un ruban rouge, la fameuse cocarde, sur le haut du front. Pour la course d’aujourd’hui, un ultime attribut est requis : une ficelle reliant les deux cornes en arrière du front. Alexandre saute enfin du camion, Saint-Vincent est prêt pour la course.

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Gardians dans les rue d'Arles
Dans les rues d'Arles, capitale de la Camargue, les taureaux sont conduits depuis les pâturages jusqu'ux arènes sous la surveillance des gardians pour une arrivée en fanfare ! Il s'agit de l'abrivado.

La course à la cocarde d’Arles

Changement de décor. Après 25 kilomètres de route, nous retrouvons Saint-Vincent dans le toril des arènes d’Arles foudroyées par le soleil. Il est 12 h 30. En attendant la course, le taureau est placé dans un box dans les entrailles de pierre de cet amphithéâtre romain qui respire les combats de gladiateurs et les jeux de cirque. Quand le cocardier pose enfin ses sabots sur le sable des arènes au son d’une trompette, il est près de 19h30. C’est le dernier taureau à concourir.

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Encocardement

Comme les autres, il a 15 minutes face à 23 raseteurs vêtus de blanc, aidés de « tourneurs » qui attirent l’attention du taureau pour le placer au mieux et faciliter le geste des joueurs. Nous sommes désormais familiers du raset, ce moment où l’on retient son souffle alors qu’un « joueur » frôle les cornes du taureau pour lui enlever ses attributs et emporter la prime associée. Les raseteurs qui s’envolent telle une nuée d’oiseaux et bondissent au-dessus des barrières quand le taureau les menace sont aussi nos héros du jour. Ils ne manquent pas de courage. Ce soir, Saint-Vincent a blessé l’un d’eux. « Cela fait partie du jeu », confie notre voisine de gradin, une arlésienne quinquagénaire qui ne manque jamais une course ici.

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Raseteurs

Une fête traditionnelle

Il faut voir les jeunes se jeter avec fougue et fierté sur les cornes des taureaux qui traversent villes et villages lors des fêtes locales pour saisir le mélange de défi et de respect qui unit ici les hommes aux taureaux. « La course camarguaise est l’héritage des jeux taurins pratiqués autrefois dans les mas de la région pour fêter la fin des récoltes. On nouait alors des foulards autour de leurs cornes », rappelle Florence Clauzel. Ce soir, elle ne pleurera pas comme elle l’avait fait après une course mémorable de l’un de ses taureaux, seule dans le toril près de la bête. « Saint-Vincent a été nonchalant au début de sa course. Il n’a pas été bon aujourd’hui », analyse Régis. Le jeu des taureaux varie, mais leur noblesse demeure, c’est elle qui fait battre le cœur des manadiers. Quand le taureau retrouvera ses pâturages, il sera près de 21 heures.

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Arènes d'Arles
Les arènes classées d'Arles avant la course à la cocarde.

Pour aller plus loin:

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PNR de Camargue
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