À la découverte d'une Avignon méconnue
Campée au bord du Rhône, Avignon, la préfecture du Vaucluse n’a pas son pareil pour exciter les imaginations. Celle des comédiens lors du festival de théâtre, celle des passionnés d’histoire à l’intérieur du palais des Papes, celle des enfants qui chantent encore le pont écroulé… C’est pourtant à la découverte d’une Avignon méconnue que nous vous convions. Une ville où l’art contemporain se cache dans des hôtels particuliers, où le palais des Papes résonne encore de complots et où le théâtre se vit toute l’année…
Murs des remparts, églises, vieux hôtels secrets, cours intérieures, jardins derrière de hauts murs, lâchant une branche verte… » En flânant dans les rues d’Avignon comme Elsa Triolet, grande amoureuse de la cité des Papes, on oublie vite les hordes touristiques qui, aux beaux jours, prennent la vieille ville d’assaut. On tombe par hasard sur la jolie calade de la rue des Teinturiers, bordée d’un petit canal où l’on fabriquait les indiennes. Ou sur la livrée Ceccano, véritable petit palais de cardinal aux murs crénelés, désormais transformée en médiathèque : on y lit sous les superbes plafonds d’origine, peints à la provençale. Rue du Roi-René, les bourgeois enrichis dans le textile, la soie ou l’imprimerie se sont offert de superbes hôtels particuliers. Dans le quartier chic de la rue Joseph-Vernet, l’un d’eux – sans doute le plus élégant, abrite le musée Calvet. Non loin, l’hôtel Caumont et, depuis peu, l’hôtel de Montfaucon, tous deux du XVIIIe siècle, abritent la collection d’art contemporain d’Yvon Lambert. On y admire des oeuvres de Basquiat, Cy Twombly, Nan Goldin et autres figures de l’art d’avant-garde.
Le palais des Papes, un château fort
Tôt ou tard, on finit par se planter devant la masse blanche du palais des Papes… qui évoque davantage un château fort qu’un palais. Tout ou presque a déjà été dit sur cet édifice du XIVe siècle, siège de la papauté de 1309 à 1418. Il fut bâti presque entièrement en dix-sept ans par deux papes, Benoît XII et son successeur Clément VI. Le premier, un ancien moine cistercien, bâtit le Palais Vieux dans un style austère et dépouillé. Le second fit édifier le Palais Neuf dans un style radicalement différent, fastueux et ostentatoire.
La légende noire du palais des Papes
Est-ce tout ? Une visite guidée hors des sentiers battus nous en apprend bien davantage. Les tours de défense, les murs à créneaux et les mâchicoulis n’étaient là que pour impressionner le visiteur. Chef de l’Église catholique romaine, le pape était alors le dignitaire le plus important de l’Occident chrétien. Et l’un des plus riches. La construction du palais a coûté 400 000 livres. Six fois plus que ce que déboursa Clément VI lorsqu’il racheta la ville d’Avignon à la reine Jeanne de Naples en 1348 ! Passons la cour d’honneur, où le pape bénissait la foule, et rendons-nous au cloître, que surmonte un clocheton. « Autrefois une cloche d’argent sonnait l’heure des repas. C’était le signe qu’il fallait évacuer le palais. Le pape devait y manger seul pour éviter les tentatives d’empoisonnement. On a retrouvé des figurines de cire cachées dans du pain sur la table de Jean XXII. La tentative d’envoûtement provenait de l’évêque de Cahors ! », raconte notre guide.
Sous la Révolution, le palais a été transformé en prison. Le cloître servait de préau pour les détenus « ennemis de la Révolution ». Une soixantaine de « suspects » furent jetés du haut de la tour des Latrines, entretenant la légende noire du palais. Passons à la cuisine haute, qui jouxte le tinel (salle des banquets). Les rôtisseurs s’activaient sous la cheminée de 20 mètres de hauteur. « Charles Dickens, qui visita le palais en 1844, a relaté le récit d’une guide appelée Farfadet qui évoquait des tortures inquisitoriales dans cette cuisine. La cheminée avait prétendument la forme d’un entonnoir pour étouffer les cris des suppliciés ! Sauf qu’on n’a jamais trouvé trace d’Inquisition au palais… »
Dans la Chapelle Saint-Martial
Occupé par les armées au XIXe siècle, le palais a subi les dégradations irréparables du génie militaire. La plupart des salles du palais sont coupées en deux par des planchers, comme on le voit dans la chambre de parement. La superbe chapelle Saint-Martial s’en sort bien. Ses fresques, signées du maître italien Matteo Giovannetti, ont pourtant été dégradées. Parmi les graffitis laissés par les visiteurs, on découvre celui de Prosper Mérimée, qui s’offusquait pourtant du saccage des peintures murales. La feuille d’or a aussi été limée par les militaires : l’ancienne chapelle du pape leur servait de fonderie de plomb ! Un remarquable travail de restauration a permis de retrouver le bleu outremer, fait en lapis-lazuli, des fresques d’origine. Il faut « lire » ce chef-d’oeuvre sur la vie de saint Martial de haut en bas, en suivant un mouvement de spirale depuis la voûte.
Dans le dressing de Clément VI
La chambre du Pape et la chambre du Cerf, aux superbes décors de rinceaux et de scènes de chasse, sont les merveilles du palais. Paradoxalement, on doit leur bon état de conservation aux militaires, car en les badigeonnant de chaux, ils ont contribué à les préserver de toute dégradation. Un escalier caché nous emmène, un étage plus bas, dans l’une des deux salles où Clément VI avait sa garde-robe d’habits liturgiques. Une tour entière pour se vêtir ! Plus loin, une porte dérobée nous dévoile un autre espace : le grand promenoir, sorte de jardin d’hiver où l’on déambulait entre quatre murs, puis l’étonnante galerie du Conclave, vertigineuse succession de voûtes sur croisées d’ogive. Derrière le tinel, des rangées de fauteuils se font face dans une immense salle en long : il ne s’agit plus du conclave, mais d’une salle de réunion du centre des Congrès ! Nous terminons au sommet du palais. Vue splendide sur la ville et ses environs. Sur la rive d’en face : « Villeneuve-lès-Avignon, commente notre guide. Les cardinaux en faisaient leur lieu de résidence privilégiée, fuyant la puanteur et la foule d’Avignon : banquiers, changeurs, juristes, mendiants… Au temps des papes, la ville a décuplé sa population en un demi-siècle ! »