Filitosa, préhistoire et archéologie en Corse
La Corse possède la plus haute concentration européenne de menhirs sculptés et armés. C'est la patrie des mégalithes et leur capitale est Filitosa, dans la haute vallée du Taravo. C'est ici à Filitosa qu'une découverte exceptionnelle, en 1946, a été suivie de longues campagnes de fouilles. Aujourd'hui, treize statues de granit, qui remontent à l'âge de bronze, montent la garde... Découverte de Filitosa, site préhistorique de Corse.
"Je n’ai jamais mis de corde au cou d’un homme, ce n’est pas maintenant que je vais commencer ! " s’exclame Charles-Antoine Cesari au printemps 1946. Lors des opérations de démaquisage sur ses terres, à Filitosa, près de Sollacaro dans la vallée du Taravo, des ouvriers ont mis au jour une drôle de pierre : allongée, avec une apparence quasi humaine, on lui voit même un rictus… Pourquoi ne pas s’en servir pour renforcer la clôture ? Charles-Antoine n’est pas archéologue mais pressent que la trouvaille n’est pas anodine. « Il faut que ce lieu demeure comme il est » sera son leitmotiv pendant des décennies, à mesure qu’il déterre, au fil des ans, de nouveaux menhirs sculptés. Aujourd’hui, la propriété appartient toujours aux Cesari mais les temps ont changé.
Des paladins du Néolithique
« Nous recevons environ 60 000 visiteurs par an. Et nous avons inauguré au printemps 2016 un tout nouveau musée », expliquent les deux Daniel, fils et petit-fils, qui sont aujourd’hui responsables du site. Pourquoi un tel engouement ? « Venez à midi ! nous avaient-ils prévenus, vous verrez, c’est la meilleure heure. » Pour ceux qui font le déplacement au solstice d’été, c’est effectivement étonnant : le soleil qui tombe à pic lèche les colosses de pierre et fait ressortir les traits juste esquissés, une bouche, un nez, voire une omoplate, ou des attributs guerriers, épée, poignard ou baudrier… Ces paladins du Néolithique, à peine déterrés, exercèrent une telle fascination sur la journaliste anglaise Dorothy Carrington qu’ils la décidèrent à faire le voyage de Corse à l’été 1948. Elle y restera des mois, y retournera pendant des années, y décédera en 2002 à 91 ans et en tirera l’un des plus beaux récits de voyage sur l’île, Granite Island.
On dirait Carnac...
La région de Sartène compte près de 800 menhirs : une concentration impressionnante qui évoque Carnac. Les alignements de Palaggiu, qui remontent au IIe millénaire av. J.-C., furent étudiés dans les années 1960 par Roger Grosjean. Ils comptent quelque 260 menhirs, disposés en sept files aux orientations précises (nord-sud ou est-ouest). À quelques kilomètres, se trouve le site de Cauria, mentionné à son époque par Mérimée, qui possède les alignements de Stantari (les « pétrifiés ») et l’impressionnant dolmen de Fontanaccia. Indications d’accès sur www.corse.fr/musees-corse
Un parcours classé monument historique
En parcourant la propriété – plus exactement la « station », classée monument historique en 1980 – on ne perçoit pas la lutte pour sa reconnaissance ! Une allée clairement dessinée sous les oliviers, l’entrée de l’enceinte cyclopéenne bien dégagée, qui enserre la torre (une construction en pierre sèche mesurant 6 à 8 mètres de haut), puis des vestiges de cabanes de l’âge du bronze, et un alignement de statues-menhirs. Au lendemain de la guerre, tout cela n’était qu’à l’état virtuel… En 1949, seul le directeur des Archives départementales de la Corse, Pierre Lamotte, manifeste un intérêt pour la découverte. « 1954 sera une date décisive, explique Daniel Cesari fils. Un jeune archéologue, Roger Grosjean, est envoyé en Corse sous les auspices de l’abbé Breuil. C’est avec lui que commenceront véritablement les fouilles, qu’il poursuivra assidûment jusqu’à sa mort en 1975. »
Qui étaient ces hommes ?
Daniel Cesari indique l’olivier millénaire en bas de la pente et les menhirs dressés en file : c’est à partir de 1956 qu’ils ont pu être ainsi dressés et rassemblés. Dès 1960, le site est ouvert au public. D’autres archéologues, dont l’Italien Enrico Azteni, ont travaillé sur les objets du quotidien : céramiques, pendeloques en os, pointes de flèche en obsidienne, quelques torques et bijoux en bronze. « Mais nous avons peu de témoignages métalliques, précise Daniel Cesari en indiquant les vitrines. Nous sommes ici sur une terre granitique, aux sols acides, qui fait disparaître ces pièces. » Surtout après trois millénaires… La question fondamentale n’a pas encore été pleinement résolue : quelles étaient les populations qui vivaient ici et pourquoi ont-elles sculpté ces étranges effigies ? Représentations de chefs ? Totems d’ennemis vaincus ? Symboles phalliques ? Dans une île particulièrement riche en monuments mégalithiques, les dernières théories sont follement romanesques : les Shardanes, parmi les fameux « peuples de la mer », qui furent corsaires au service du roi de Byblos et qui défièrent les pharaons au IIe millénaire av. J.-C., seraient peut-être ces mystérieux bâtisseurs et sculpteurs.