Le Fenouillèdes, territoire méconnu des Pyrénées-Orientales
Un pied en pays catalan, un pied en Occitanie, le Fenouillèdes est étrangement méconnu. On y trouve pourtant un relief atypique, des vestiges archéologiques de premier plan, un beau vignoble et des châteaux racontant l’épopée cathare ou aragonaise… Et pour visiter tout cela, un joli petit train rouge !
Le petit train rouge du pays Cathare
Le voyage commence en gare de Rivesaltes à bord d’un joli train rouge. À la belle saison, le train du pays cathare et du Fenouillèdes traverse la région d’est en ouest. Terminus : Axat (Aude). Que sait-on du Fenouillèdes, ce territoire coincé entre le massif des Corbières et la vallée de la Tête ? Disons-le franchement, pas grand-chose. Quelle n’est donc pas notre surprise en voyant défiler un paysage riant de vignes (celles de Maury, qui donnent un vin doux naturel réputé), de cyprès et de pins, au-dessous des falaises rocheuses des Corbières. Le château de Quéribus, l'un des plus impressionants châteaux cathares, se détache de sa crête… « C’est encore plus spectaculaire après Saint-Paul-de-Fenouillet », nous promet le conducteur du train.
Les gorges de Galamus à vélo
Mais c'est justement là que nous nous arrêtons pour sauter sur un vélo à assistance électrique. Objectif : découvrir les gorges de Galamus. La route serpente sur quelques kilomètres jusqu’à l’entrée de cet impressionnant défilé rocheux de près de 500 mètres de hauteur. L’Agly se faufile entre les parois de calcaire blanc, si étroites qu’elles paraissent presque se toucher. Sur 2,5 kilomètres, la route de la corniche surplombe des coins paradisiaques. Le vélo est le moyen de locomotion idéal pour découvrir les plus belles marmites et les biefs (des piscines naturelles) couleur émeraude.
L’ermitage Saint-Antoine
Les isards et les vautours fauves tenaient autrefois compagnie aux moines de l’ermitage Saint-Antoine, incrusté dans la falaise au-dessus des gorges. Les religieux sont partis à la Révolution, mais quelques ermites fantasques occupaient encore les lieux dans les années 1930. Aujourd’hui, le sanctuaire fait l’objet d’un pèlerinage à Pâques et à la Pentecôte. Au XVIIIe siècle, une épidémie de suette (maladie infectieuse mortelle) avait ravagé le Fenouillèdes, mais on raconte que les habitants de Saint-Paul-de-Fenouillet qui avaient invoqué Saint-Antoine avaient été épargnés. En contrebas, l'Agly coule au creux des gorges.
Le pic de Bugarach
Le fleuve (qui n'est encore que rivière) prend sa source au nord du pic de Bugarach (1 231 m), le point culminant des Corbières, qui doit son surnom – la « montagne inversée » – à un phénomène géologique rare : lors du rapprochement des plaques ibérique et européenne, à l’origine de la chaîne des Pyrénées, les roches sédimentaires se sont plissées puis cassées, faisant passer les couches plus anciennes des calcaires du jurassique (200 millions d’années) au-dessus des couches plus jeunes du crétacé (100 millions d’années).
La forteresse de Salses
Un piège à Français… C’est ainsi que fut conçue l’étonnante forteresse de Salses. Semi-enterrée à 8 mètres de profondeur, elle donne l’impression d’être tapie en embuscade, dans l’étroit passage reliant la France à l’Espagne, les deux royaumes ennemis. Construit à la fin du XVe siècle par Ferdinand II d’Aragon à l’extrême nord de son territoire, l’édifice se voulait un verrou espagnol, capable de résister à l’artillerie moderne. Avec une garnison de 1 500 hommes et 150 chevaux la forteresse tiendra pleinement son rôle. En 1503, les Français s’y cassent les dents. En 1639, il leur faut deux assauts et un siège de 40 jours pour la prendre. Ils la rendront pourtant, affamés après quatre mois de siège espagnol, pour la reconquérir définitivement en 1642. Mais la forteresse perdra son intérêt stratégique avec le traité des Pyrénées signé en 1659.
Les orgues d'Ille-sur-Têt
Le Fenouillèdes n’est pas avare en curiosités géologiques. Impossible de ne pas évoquer les orgues d’Ille-sur-Têt, à la limite sud du territoire (l'un de ces lieux en France qui ont un goût d'ailleurs). Ces spectaculaires cheminées de fées émergent dans un maquis de chênes et de pins. L’érosion a sculpté les colonnes de roche sableuse en aiguilles blanches et ocre, en pinacles exubérants, en crêtes étranges. C’est une petite Cappadoce au pied du Canigou.
Le synclinal du Fenouillèdes
Le synclinal du Fenouillèdes, lui, s’apparente à un « coup de serpe » morphologique, une échine calcaire très fortement marquée. Quelques beaux promontoires le dominent. La via ferrata sportive dite « La Panoramique » offre une vue grand angle spectaculaire sur Saint-Paul-de- Fenouillet et la clue de la Fou, brèche taillée par les eaux de l'Agly dans les calcaires du synclinal. Il faut jouer du biceps dans les passages en devers, et ne pas craindre le vertige sur les ponts de singe. Mais en haut, quelle vue ! Voici le pic de Bugarach, le Canigou et, par temps dégagé, la Méditerranée.
Le château vicomtal de Fenouillet
Le château vicomtal de Fenouillet, désormais en ruine, est lui aussi haut perché sur l’un de ces pitons rocheux qu’affectionnaient les cathares. Éduqué dans cette foi, le vicomte Pierre de Fenouillet soutiendra les « bons hommes » et les accueillera dans son enceinte. Coupable attitude. Après la reddition des cathares en 1255, on brûlera ses ossements afin de l’excommunier. Sur le piton voisin, les ruines de Sabarda sont tout ce qu’il reste de la garnison militaire édifiée après la croisade des Albigeois.
Le pont-aqueduc d'Ansignan
À 20 kilomètres de là, le pont-aqueduc d’Ansignan nous ramène à l’époque romaine. Si un pont franchissait déjà l’Agly au IIIe siècle, il fut transformé six siècles plus tard en un ouvrage étonnant : 29 arches supportent un aqueduc, dont une partie abrite un couloir voûté réservé aux piétons et aux charrettes attelées. Ingénieux et utile puisque l’aqueduc est toujours en service, permettant l’irrigation sur 4 kilomètres environ.
L'homme de Tautavel
Mais si on veut vraiment remonter le temps, c’est à Tautavel qu’il faut se rendre. Ou plus exactement à l’entrée des jolies gorges du Gouleyrous. Perchée à 80 mètres au-dessus du bassin d’eau où les gamins du coin s’amusent, la caune de l’Arago nous ramène aux temps préhistoriques. C’est ici que fut découvert, en 1971, le crâne de l’homme de Tautavel, le plus vieil Européen trouvé en France (daté de - 450 000 ans). « Cette grotte est surtout le seul site en Europe attestant de 700 000 ans de présence humaine. On a retrouvé 55 campements préhistoriques superposés », précise Cyril Calvet, médiateur scientifique au musée de Tautavel. Parmi les fossiles mis au jour, 150 restes humains ont été découverts, mais aussi des dents humaines datées de - 560 000 ans, et de nombreux débris osseux : bois de renne, os de boeuf musqué, de rhinocéros laineux…
Le village abandonné de Périllos
Les archéologues du futur s’intéresseront peut-être un jour au village abandonné de Périllos. Nous voici en pleine garrigue, à une dizaine de kilomètres d’Opoul-Périllos. Situé à la frontière des royaumes d’Aragon et de France, qui étaient en conflit perpétuel, Périllos ne put jamais vraiment se développer. Le phylloxéra et les guerres mondiales le dépeuplèrent. Aujourd’hui, c’est un hameau enveloppé de silence, où flotte une poésie hors d’âge. En été, des chantiers bénévoles permettent de relever les vieilles maisons de pierre et font peu à peu renaître le village.