Détours en France : Rêver et visiter, apprendre et voyager, se divertir et voir la France autrement

Dans l'intimité du Carmel du Reposoir, à 1 000 mètres d'altitude

Vue aérienne du Carmel du Reposoir © Gilles Lansard / Détours en France

Publié le par Florence Donnarel

Au pied des Aravis, à mille mètres d’altitude, douze sœurs carmélites mènent une vie de prière dans l’ancienne Chartreuse du reposoir. Nous avons poussé les portes du monastère, dont l’église et les cloîtres racontent près de neuf siècles de dévotion.

Les chartreux ont toujours cherché des sites isolés pour se retirer du monde et se donner à Dieu. Au milieu du XIIe siècle, quand le prieur Jean d’Espagne découvre la vallée du Béol encadrée par la chaîne des Aravis et celle du Bargy, il se serait exclamé : « C’est ici mon reposoir. » Il y fonde alors un monastère chartreux sur des terres de chasse offertes par Aymon de Faucigny, dont la famille régnera longtemps sur les vallées proches de l’Arve et du Giffre. Quelques décennies plus tôt, l’ordre cartusien est né dans un « désert » du massif de la Chartreuse, où il a trouvé l’isolement nécessaire à une vie religieuse contemplative semi-érémitique. En 1151, le Reposoir est l’une des premières chartreuses créées en dehors de ce berceau d’origine avec le même besoin de solitude.

Vue aérienne du Carmel du Reposoir
© Gilles Lansard / Détours en France

Le visiteur d’aujourd’hui, qui découvre ce monastère de montagne au pied de la Pointe-Percée, ne manque pas d’éprouver lui aussi un vif sentiment de réclusion. L’hiver, avec son froid mordant et son silence assourdissant, exacerbe la sensation d’éloignement.

Entre un étang gelé et des pentes bardées d’épicéas poudrés de blanc, l’ancienne chartreuse déploie son architecture massive et austère, faite de bâtiments sur deux niveaux couverts d’ardoises. Au sommet du portail monumental en pierre, la statue de la Vierge a vécu l’histoire mouvementée du monastère. En 1901, après la promulgation de la loi sur les associations et les congrégations religieuses, les chartreux sont expulsés après plus de huit siècles de présence. Avant leur départ, ils enterrent la statue près de l’étang. Elle sera retrouvée au début des années 1920 lors de travaux d’endiguement réalisés par les carmélites qui viennent de prendre possession du lieu. « Nous vivons à l’écart. C’est une autre forme de présence au monde à travers une vie de prière qui accueille toutes les intentions et les souffrances », nous explique sœur Marie-Chantal à propos de l’ordre des carmélites. Nous sommes dans le parloir du monastère.

Une soeur carmélite dans le cloître Saint-Michel du Carmel du Reposoir
© Gilles Lansard / Détours en France

Nous avons traversé le cloître Saint-Michel et gravi les marches pour rencontrer, derrière une grille, la sœur supérieure qui mène une vie cloîtrée avec huit autres carmélites. Trois sœurs « externes » participent aussi à la vie de prière, mais vivent à l’extérieur. Leur statut particulier leur permet d’accueillir le public qui peut visiter tous les jours le cloître Saint-Michel et l’église. « La vie carmélite est faite d’oraison, de silence et de solitude, mais aussi de fraternité, avec des repas et des moments de détente partagés, détaille sœur Marie-Chantal. La beauté de la nature environnante nourrit notre prière et notre contemplation. » Et de rappeler que la fondatrice du carmel du Reposoir, Alessandra di Rudini, devenue Mère Marie de Jésus, cherchait un monastère de moyenne montagne propice à la méditation pour établir un nouveau couvent quand l’évêque d’Annecy lui proposa d’investir l’ancienne chartreuse en 1922. Dix ans de travaux furent nécessaires pour y accueillir à nouveau une communauté religieuse.

Le cloître ouvert au public du Carmel du Reposoir
© Gilles Lansard / Détours en France

Anne-France Binder nous attend dans le cloître Saint-Michel, scandé sur trois côtés d’arches de granit, et dont les murs sont ornés de cadrans solaires. « Un art très développé dans les monastères. Ils comportent des textes, ici des extraits de l’Évangile selon Matthieu, ce qui leur donne une fonction d’enseignement », explique la guide-conférencière. La restauration de 2015 a redonné vie aux peintures baroques autour du cadran du mur nord. On peut désormais y admirer un feuillage et une partie de l’emblème des chartreux composé d’un globe surmonté d’une croix et de sept étoiles. « Le monastère a conservé le plan type des chartreuses avec trois cloîtres. Le plus grand est inaccessible au public. Il dessert les anciennes cellules des moines, chacune avec jardin, qui sont au nombre de dix. Enfin, il y a un petit cloître, lieu de méditation et de silence. C’est lui que je vais vous montrer », précise-t-elle en déverrouillant une lourde porte en bois. Au cœur de l’hiver, dans ce cloître intimiste, les stalactites de glace dialoguent avec les motifs trilobés. « Admirez le style gothique flamboyant. Certes du flamboyant de montagne, modeste, mais c’est plutôt exceptionnel dans une chartreuse. Réalisé au XVe siècle, ce cloître reflète peut-être la puissance de la maison de Savoie qui règne alors sur la région », s’enthousiasme la guide. Sur les 16 clés de voûte que compte cet espace, une seule s’émancipe du spirituel. Elle représente une croix de Savoie.

Vue aérienne du Carmel du Reposoir, en Haute-Savoie
© Gilles Lansard / Détours en France

L’église Saint-Michel est ouverte au public, en particulier pour l’office quotidien de 8h30. Elle frappe le visiteur avec son chevet plat et un sentiment de modernité. « Au cours du XXe siècle, les carmélites font intervenir des artistes dans le monastère, de manière directe ou indirecte », précise notre guide. Ainsi, Louis Barillet, connu pour avoir repensé l’art du vitrail à l’époque de l’Art déco (on lui doit la verrière rose de la villa Noailles, à Hyères) a réalisé la grande œuvre en verre de la tribune. Les amateurs d’emblèmes y reconnaîtront celui des chartreux et celui des carmélites, caractérisé par une croix avec trois étoiles et une couronne entourée de douze étoiles.

Une des sœurs avait même réalisé sur les murs un chemin de croix à partir d’un modèle du peintre nabi Maurice Denis. Des peintures invisibles aujourd’hui. Faute de budget pour les restaurer, elles ont été recouvertes d’un film de protection plastique et soustrait au regard par un enduit. Les Treyve, une dynastie bourbonnaise de paysagistes connus pour avoir façonné de nombreux espaces verts dans des châteaux, furent également sollicités pour concevoir le grand jardin du monastère (fermé au public). L’environnement exceptionnel de cet ermitage de montagne lui offrit une destinée particulière avant l’arrivée des carmélites. Au début des années 1910, l’ancienne chartreuse accueillit entre ses murs un hôtel de luxe !

Ruines de la porte d'Age du Carmel du Reposoir, dans la vallée du Foron
© Gilles Lansard / Détours en France

La porte d'Âge, curieux patrimoine

Au Moyen Âge, les chartreux possédaient de nombreuses forêts au Reposoir. Afin d’éviter leur pillage, ils firent bâtir une maison forte sur la voie d’accès depuis la vallée de l’Arve. Une ferme adossée au rocher, percée d’un passage, permettait de percevoir un droit de coupe du bois et d’empêcher l’entrée des contrevenants. De cette porte d’Âge mentionnée depuis le XIVe siècle, il subsiste un émouvant vestige datant du XVIIe siècle dissimulé entre les frênes, à quelques centaines de mètres de la route entre Cluses et Le Reposoir.

Sources

Sujets associés