Souvent, un parfum de bout du monde émane des fonds de vallée. Encaissé entre les massifs du Beaufortain et du Mont-Blanc, le val Montjoie ne déroge pas à la règle. À l’est, sur le massif du Mont-Blanc, les cimes de plus de 3 000 mètres, dômes de Miage, Tré-la-Tête, aiguille de la Bérangère ou mont Tondu, flanquées d’imposants glaciers, ajoutent un sentiment d’isolement. Au sud, le col du Bonhomme apparaît comme l’échappatoire la plus évidente pour les randonneurs. À l’écart de l’agitation du monde, ce milieu naturel a fait l’objet d’un programme de protection qui s’est concrétisé en 1979 par la création d’un sanctuaire unique. Ainsi, la réserve naturelle des Contamines-Montjoie est la plus élevée de France en termes d’altitude et la seule réserve du massif du Mont-Blanc. Quelle plus belle destination pour une randonnée hivernale à ski ?
Itinéraire de randonnée

Notre itinéraire débute au parking du Pontet où nous empruntons les télécabines de la Gorge et du Signal, puis le télésiège de la Bûche Croisée. Ce dernier nous dépose sur les crêtes du côté Beaufortin, à près de 2 100 mètres d’altitude. En face de nous, la vue sur le mont Blanc et les sommets précédemment cités suffit à notre ravissement. « Tournez la tête dans la direction opposée, insiste notre guide. À l’ouest, au loin, vous pouvez distinguer la chaîne des Aravis. Sous la mer de nuages se cache le lac d’Annecy. Seul le sommet du Semnoz, qui le borde, dépasse. » Et de conclure sur l’intérêt évident du secteur pour la randonnée à ski assortie de somptueux panoramas sur les deux Savoie.
Il faut toutefois se détourner du décor pour écouter les explications techniques. Thibault Sibille, membre de la Compagnie des guides de Saint-Gervais-les-Bains et des Contamines, nous demande de tester le bon fonctionnement de notre Arva (appareil de recherche des victimes d’avalanche). Il nous montre également comment dérouler soigneusement les peaux de phoque sur la semelle de nos skis. Enfin, après quelques exercices sur la réalisation des conversions (les demi-tours à ski pour grimper sur des pentes raides), nous prenons la direction de l’alpage du Bolchu, au sud.
Éloge de la lenteur

Très vite, le bruit des remontées mécaniques s’estompe. Seul le feulement de nos skis dans la poudreuse emplit l’air. La cadence nous installe dans une bulle, une sorte de tête-à-tête avec la matière soyeuse de la neige. L’aiguille de Roselette puis la tête de la Cicle fendent le ciel au-dessus de nous. Si elle masque désormais la vue sur le massif du Mont-Blanc, cette barre rocheuse offre au regard de délicates ondulations de pierre. Nous allons la suivre en direction du sud, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse dans la neige. Là, nous pourrons la contourner pour rejoindre le col de la Cicle et plonger dans le val Montjoie.
Le soleil fait scintiller le champ de neige où quelques skieurs ont déjà inscrit leur trace. Plus loin, un couloir blanc apparaît sur la tête de la Cicle. Petites taches sombres, des randonneurs, skis sur le dos sur les derniers mètres, empruntent cette brèche qui offre un raccourci vers le col de la Cicle. « Un passage un peu technique qui va vous permettre de mettre en pratique l’art des conversions », annonce notre guide. Il a jugé le niveau du groupe suffisant pour se permettre une variante plus sportive, avec 250 mètres de dénivelé, alors que le contournement de la tête de la Cicle n’offre aucune difficulté majeure. Il nous faut moins d’une heure pour nous hisser sur la brèche. Quand la pente est devenue trop escarpée, nous avons cessé les conversions, déchaussé, attaché les skis à nos sacs et taillé des marches d’un vigoureux coup de pied, lesté par les chaussures.
Un sentiment d’accomplissement marque l’arrivée. Alors que l’on retrouve notre souffle, notre regard découvre au loin les massifs de la Vanoise et des Écrins. Plus près et en face de nous, filant vers le sud, les aiguilles de la Pennaz forment d’immenses écailles couvertes de neige. À l’amorce de cette barre, à 50 mètres, le col de la Cicle dessine un parfait croissant blanc, suspendu entre les arêtes rocheuses. C’est là, à 2 377 mètres, que nous effectuons une halte pour déjeuner aux côtés d’autres randonneurs. Des niverolles alpines, passereaux d’altitude au plumage gris, blanc et noir, virevoltent près de nous, attirées par les miettes de pique-nique.
Lumières crépusculaires

En contrebas, sur le versant est du val Montjoie, le long bâtiment en bois que l’on aperçoit abrite le refuge des Prés où nous passerons la nuit. Nous rangeons les peaux de phoque et glissons vers cet ancien chalet d’alpage au sein de la réserve naturelle des Contamines-Montjoie. « Nous avons participé à la création du refuge, ouvert en 2021. C’est rare d’être présent dès l’origine, d’être impliqué dans le choix des équipements. Ici, nous sommes autonomes en électricité grâce aux panneaux solaires et disposons d’une source, non gelée, toute l’année », s’enthousiasment Adeline Métral et Céline Mila, deux jeunes gardiennes qui ont œuvré dans d’autres abris du massif du Mont-Blanc. Le gîte est écologique et gourmand, avec au menu des plats aux subtiles saveurs. Celles qui font vivre ce lieu confortable ne se lassent pas de voir le soleil matinal éclairer le mont Blanc. Un spectacle qui nous est aussi offert avant notre départ vers la combe de la Balme, aux confins de la vallée.
L’itinéraire en balcon, avec une neige dure et glissante, impose d’équiper les skis de couteaux pour une meilleure accroche sur la pente. Notre attention peut alors se porter sur le ruisseau en contrebas. Presque camouflé par la neige, il laisse encore entendre sa petite musique. On l’enjambe par un petit pont pour remonter vers les lacs Jovet dont il est le modeste exutoire. Notre objectif ? La pointe sud des monts Jovet qui dominent les plans d’eau, invisibles sous la neige, mais qui se devinent par la platitude extrême du fond du vallon. L’ascension nous emmène sur une épaule rocheuse capitonnée de neige et ponctuée de blocs erratiques. À 2 368 mètres, la pointe sud des monts Jovet offre un belvédère privilégié sur quelques sommets occidentaux du massif du Mont-Blanc. En portant le regard vers le nord, notre guide égrène les noms, mont Tondu, aiguille de la Bérangère, dômes de Miage, mont Blanc. Plus au nord encore, la chaîne des Fiz et la Pointe-Percée, point culminant des Aravis...
Un refuge pour le tétras-lyre

Il nous reste à savourer la descente, avant de rejoindre le refuge de la Balme. Nous y retrouvons Geoffrey Garcel, garde au sein de la réserve naturelle, venu effectuer un contrôle dans le secteur. « Nous sommes dans une combe orientée au nord avec une zone de quiétude pour le tétras-lyre, indique-t-il. Ce coq de bruyère affectionne particulièrement ce type de versant où il construit des sortes d’igloos en hiver. C’est une espèce qu’il faut protéger du dérangement. Près de 60 % du territoire de la réserve est situé au-delà des 2 000 mètres d’altitude. C’est un bastion pour le lagopède alpin et d’autres espèces reliques glaciaires comme le tétras-lyre ou la chouette de Tengmalm », se réjouit le naturaliste.
Nous poursuivons notre randonnée dans le fond de la vallée, en direction du nord, au lieu-dit du replat de la Rollaz. Entre les pentes bardées d’épicéas, nous traversons une clairière fleurie de coquets chalets en pierre et en bois avant de nous enfoncer dans la forêt. En été, le sentier du tour du Mont-Blanc emprunte cet itinéraire. Quelques kilomètres plus loin, le Bon Nant, torrent né aux confins du val Montjoie, se manifeste. Au niveau du pont de la Téna, plus connu sous le nom de « pont romain », le cours d’eau a imprimé une ambiance hivernale. Cascade de glace aux arêtes tranchantes, épaisses couches de neige sur les arbres...
Empruntant une ancienne voie romaine, l’itinéraire longe le Bon Nant qui prend ses aises à mesure qu’il descend le val et se gonfle des torrents dévalant les pentes. Le clocher à bulbe de la chapelle Notre-Dame-de-la-Gorge annonce la fin prochaine de la randonnée. Il nous faut traverser le cours d’eau engourdi par la neige et la glace pour rejoindre cette église baroque avec un auvent décoré de peintures. « Il y a peut-être neuf cents ans, un ermite se serait installé dans ce fond de vallée pour y accueillir les voyageurs. Le sanctuaire aurait été destiné à leur “réfection spirituelle” », précise un document à l’entrée. Aujourd’hui, la chapelle dissimulée dans l’épaisse forêt, au retable richement décoré, récompense les randonneurs à ski de son insolente beauté.
GUIDE PRATIQUE
Durée : 10 h sur 2 jours. Distance : 15 km environ, boucle depuis le parking du Pontet. Niveau de difficulté : moyen, avec près de 1 000 mètres de dénivelé sur 2 jours. Carte IGN : Top 25 n° 3531 eT « Saint-Gervais-les-bains – massif du mont-blanc ». À savoir : pour des raisons de sécurité, prévoir un accompagnement par un guide.
Accompagnateurs : la compagnie des guides de Saint-Gervais propose les services de guides de haute montagne. 04 50 47 10 08. guides-mont-blanc.com Tarif : à partir de 342 € par personne pour 2 jours de ski au val montjoie avec 1 nuit au refuge des Prés et repas, pour un groupe de 4 personnes maximum.
Le refuge des Prés est l’un des rares de Haute-Savoie à être ouvert en hiver. Très confortable, il est équipé de sanitaires communs avec eau chaude, de dortoirs pour 4 personnes (+ un pour 2 personnes) et propose une cuisine de grande qualité. Tarif d’une nuit en demi-pension : 70 €. Déjeuner : plat du jour entre 10 et 20 €. en haute saison, réservation indispensable. 06 61 86 50 43. lerefugedespres.com