Les marais du Cotentin et du Bessin : une Camargue normande
Au carrefour des départements de la Manche et du Calvados, entre terre et mer, s’étend l’une des zones humides les plus secrètes de France : les marais du Cotentin et du Bessin. Cette fascinante Camargue normande est sillonnée par une multitude de rivières, canaux et fossés.
Rencontre avec une amoureuse de la Camargue normande
Yveline, auxiliaire de vie sociale, s'est installée il y a un peu plus de dix ans à Liesville-sur-Douve, un peu au nord de Carentan. Elle ne se voit désormais plus vivre ailleurs. Sa saison préférée ? D'aucuns répondraient le printemps, mais Yveline aime l'hiver sur le marais, lorsqu'on le dit "blanc", lorsque les fleuves, parfois en dessous du niveau de la mer - la Douve, la Taute, la Vire, l'Autre... - débordent et forment un vaste paysage aquatique. Des étendues d’eau à perte de vue masquent les repères habituels : clôtures submergées, arbres presque noyés, routes parfois inondées… Ajoutez à la beauté aquatique du paysage les groupes d’oiseaux par centaines sondant la vase de leur bec pointu, le calme immense, vous comprendrez que le marais séduise en hiver. Les anciens distinguent le « haut pé » du « bas pé » : le haut pays est le bocage « sec » et le bas pays, la partie susceptible d’être recouverte par les crues hivernales, où jadis les paysans se déplaçaient en gabare.
Un paysage entièrement créé par l'homme
Au printemps, les fleuves retrouvent leur lit et ce sont les bovins, après les ancestrales fêtes de la mise au marais, qui investissent les prés libérés de l’eau. L’atmosphère est différente, peut-être un peu moins sauvage, mais tout aussi nature. « Nature oui, naturel, non ! C’est un paysage totalement créé par l’homme, qui a modelé ce territoire marécageux. Aujourd’hui encore, l’agriculture, avec la fauche et le pâturage, est indispensable à son bon équilibre » rappelle un guide du parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin. C’est au XVIIe siècle que l’on commença à vraiment aménager ces vastes et hostiles terres assaillies par la mer. En 1712 furent construites les premières portes à flots, ces portes qui se ferment automatiquement lorsque la marée monte et s’ouvrent quand elle se retire, puis des vannes et tout un réseau de canaux et fossés quadrillant les prairies.
Les maisons en terre crue

Si la régulation du marais est mécaniquement réglée, la nature reprend ses droits chaque hiver pour former un envoûtant paysage de 30 000 hectares de zones humides, paradis pour les oiseaux. C’est à la réserve naturelle de Beauguillot, à deux pas de l’extrémité sud d’Utah Beach, près de la baie des Veys, que vous pourrez le mieux observer les centaines d’espèces sédentaires ou migratrices, parmi lesquelles un nombre impressionnant de canards, d’oies sauvages et d’échassiers. Du port de plaisance de Carentan, une petite route mène jusqu’à cette baie où les fleuves du marais terminent leur course avant de se noyer dans la Manche. Elle s’arrête brutalement le long de la digue, sur les polders de la pointe de Brévands, où peut-être aurez-vous la chance d’apercevoir des veaux marins.
Un bout du monde discret et superbe
À l’extrême limite ouest du parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin, le havre de Lessay est l’un des huit havres échancrant la côte occidentale de la presqu’île du Cotentin. Biotope prospérant entre immersions salées des marées et afflux d’eau douce, le havre est un milieu très sensible où ne peuvent survivre que les végétaux et animaux ayant une grande faculté d’adaptation.
C’est une impression de bout du monde qui se dégage ici, mais un bout du monde qui n’aurait pas le charme immédiat de la pointe du Raz ou du cap de la Hague. Un bout du monde discret, calme, sans remous : à marée basse, la mer est tellement loin – jusqu’à cinq kilomètres – qu’elle en devient à peine perceptible, accentuant ainsi encore la sensation d’infini.