Les fines rayures du bocage, strié de haies étroites. Les ondulations des prairies où paissent des vaches placides, blanches charolaises promises à l’abattage. Un marché aux bestiaux de gros, justement, l’un des plus importants de France. De grands corps de fermes et quelques châteaux. Des églises romanes en pagaille, totems de villages minuscules aux maisons à toits de tuiles. Voilà à quoi ressemble ce territoire du Brionnais, microrégion de Bourgogne située à l’extrême sud-ouest du département de Saône-et-Loire, entre Briennon au sud et Paray-le-Monial / Digoin au nord, sur la rive droite de la Loire.

Un coin hors des sentiers battus

Si on en parle ici, c’est que nous aimons ces bouts de France placés dans l’angle mort des flux touristiques. Ils offrent en général une illustration condensée de la France des terroirs, avec une géographie, une histoire, des traditions. La géographie, on vient de le dire, est singulière. Elle inclut en prime la saignée de la Loire, qui fend du sud au nord sur sa bordure occidentale ce « pays » vallonné et peu élevé (250 à 550 mètres d’altitude moyenne). Sans surprise, l’histoire est celle d’anciennes seigneuries féodales. L’une a particulièrement brillé à Semur-en-Brionnais, qui demeure la capitale d’un territoire lié depuis toujours à son voisin charolais. Les traditions, elles, sont vives : architecturales, avec les églises romanes bâties sous l’influence clunisienne et les châteaux de plaisance ; agricoles, avec l’élevage bovin pour la viande, chevrier pour le fromage et le paysage verdoyant du bocage.
Semur-en-Brionnais, la capitale
Semur-en-Brionnais est donc le chef-lieu historique du Brionnais. Pour s’y rendre depuis Paray-le-Monial, une vingtaine de kilomètres au nord, la D34 puis la D108 offrent une première plongée dans ce terroir. Après avoir franchi l’Arconce à Saint-Didier-en-Brionnais, arrêt photo à Sarry, devant la très belle ferme fortifiée et son étang. Un symbole de l’architecture paysanne locale. En plusieurs endroits du territoire, le regard est en effet attiré par des corps de bâtiments massifs, isolés au sommet des collines, mi-exploitations agricoles, mi-postes refuges d’observation.

Le château de Semur-en-Brionnais est aussi placé en vigie. Bâtie dès le Xe siècle sur une hauteur dominant la Loire, la forteresse à grande tour carrée a pu prévenir les invasions ennemies, notamment normandes. C’est dans ce beau château fort, l’un des plus anciens de Bourgogne, que naquit en 1024 Hugues de Semur, devenu saint Hugues, grand abbé de Cluny et fondateur de Cluny III, l’une des plus grandes églises de la chrétienté de l’époque. Le reste du village mixe dans un tout petit périmètre vestiges médiévaux et nobles bâtisses, maçonnés de calcaire doré : un grenier à sel ; une poterne du XIIIe siècle ; une tour d’enceinte du XVe siècle ; la splendide maison Beurrier à tourelles (XVIe siècle) ; l’hôtel de ville, installé dans une petite maison bourgeoise ; l’hôtel dit de Percy (XVIIIe siècle), devenu le prieuré Saint-Hugues, siège des Sœurs Apostoliques de Saint-Jean, une congrégation d’une vingtaine de prieurés dans le monde. Et puis, il y a la collégiale Saint-Hilaire. Cette très belle église à clocher octogonal et abside symétrique date du XIIe siècle. L’une des dernières églises romanes bâties en Brionnais mélange style roman clunisien et prémices gothiques. L’ensemble du bourg est entouré d’une enceinte de pierres, parachevant un décor lui valant logiquement d’être membre de l’association Les Plus Beaux Villages de France.
Anzy-le-Duc et sa remarquable église romane

Après un rapide passage à Marcigny, petite place commerçante abritant quelques maisons à pans de bois et le bel ensemble de la « tour du Moulin », ancienne tour de défense du XVe siècle, cap sur Anzy-le-Duc. Là se niche celle qui est sans doute la plus belle église romane du Brionnais. Harmonie des proportions de la nef et du transept, formant la croix latine ; clocher octogonal à haute silhouette et arcatures lombardes d’une rare élégance, visible de loin ; chapiteaux historiés des piliers de la nef et des tympans, d’un grand esthétisme... : l’ouvrage paraît d’autant plus parfait qu’il est accompagné sur un de ses côtés par un ancien prieuré bénédictin, lui-même doté d’un portail sud remarquable. Le village n’a rien d’autre à offrir mais ce cadeau se suffit à lui-même ! Les fans d’art roman suivront en Brionnais le circuit consacré aux édifices religieux : Montceaux-l’Étoile, Baugy, Iguerande, Varenne-l’Arconce... abritent des églises et des chapelles qui témoignent du talent des sculpteurs et des bâtisseurs dans le territoire, foyer d’expansion remarquable de l’art roman bourguignon. Ce n’est donc pas un hasard si l’église de Varenne-l’Arconce a été retenue par la Mission Stéphane Bern en 2022 parmi les sites du département aptes à bénéficier de fonds pour sa restauration, via le fameux Loto du patrimoine.
Oyé, berceau de la race charolaise

Si l’on passe par Varenne, il faut pousser jusqu’à Briant, situé à 6 kilomètres. Ce village de poche, lui aussi symbolisé par un beau clocher roman, incarne « l’équilibre » brionnais typique, avec son bâti groupé dominant le bocage collinaire et la petite vallée de la Belaine. Juste à côté, le village d’Oyé est posé à l’inverse dans un creux. On s’y arrêtera pour jeter un coup d’œil au musée La Mémoire d’Oyé (intéressants clichés « paysans » du début du XXe siècle) et surtout pour apprendre que c’est ici que l’élevage de la race charolaise pour la viande aurait démarré. Alors utilisée comme force de travail, cette race bovine est détournée de sa fonction par un négociant local qui décide, au milieu du XVIIIe siècle, de convoyer des vaches à Paris pour la boucherie. Il fera école et ses descendants développeront cette activité en Brionnais-Charolais tout au long des XIXe et XXe siècles.

À ceux qui n’auraient pas la chance de découvrir le marché de gros de Saint-Christophe-en-Brionnais, où les secrets de l’élevage local sont révélés (hormis quelques astuces de maquignons retors...), il convient de dire qu’historiquement, le territoire brionnais a toujours été coupé en deux : au nord, le pays naisseur des veaux charolais ; au sud, le terroir d’embouche, c’est-à-dire celui de l’engraissement des bêtes à l’herbe. À chaque secteur son métier ! Et si le sud livre tant de maisons de caractère, comme à Oyé, c’est que l’embouche peut être lucrative pour les éleveurs. Des maisons de caractère aux châteaux, il n’y a qu’un pas. Autre richesse du Brionnais, ces logis prestigieux souvent édifiés sur des ruines de châteaux forts parsèment le territoire. Toujours à Oyé, village décidément bien loti, se trouve le château de Chaumont. Cette ancienne propriété agricole ayant appartenu à l’abbaye de Cluny a été agrandie au XVIIIe siècle par une famille ayant fait fortune dans le commerce de bétail charolais. En partie remaniée dans un style néogothique durant la première moitié du XXe siècle, elle dispose d’un jardin à la française et d’un parc de 4 hectares. Ce dernier ainsi que la grande salle et la chapelle se visitent notamment lors des Journées du patrimoine.
Les châteaux à découvrir dans le Brionnais

Autre château à découvrir : Drée, surnommé « le petit Versailles du Brionnais ». Sur la commune de Curbigny, cette vaste demeure des XVIIe et XVIIIe siècles témoigne de l’art de vivre à la française à cette époque. Construit à l’emplacement d’une maison forte par un ancien gouverneur du Dauphiné, c’est le premier véritable château de plaisance bâti en Brionnais. Propriété de princes belges jusqu’à la fin du XXe siècle, il a été entièrement restauré depuis et offre sa belle façade classique, ses pièces et son « jardin remarquable » à la visite. La liste des demeures à voir est encore longue. Il y a le château de Chauffailles, beau corps de logis encadré de deux tours médiévales, initié au début du XVe siècle.

Et aussi le château de La Clayette, dans la commune du même nom, située dans le Sud Brionnais. Celui-ci mérite un arrêt prolongé. Pour sa taille, immense au regard de celle de la petite ville qui l’abrite. Pour son environnement inédit, au bord d’un lac, qui lui donne un cachet « impérial ». Pour son histoire, enfin, celle d’un château issu d’une puissante seigneurie, édifié en 1380 à partir d’une maison forte du début du XIVe siècle, et appartenant à la même famille depuis trois siècles. La découverte du site conduit le public dans le parc, dans la cour d’honneur, révèle la tour de Paray (ronde, les pieds dans l’eau), l’orangerie et jusqu’aux cuisines médiévales. C’est le coup de cœur architectural du Brionnais ! Puisque le territoire est avant tout un « paysage », il reste à l’immortaliser une dernière fois, en rejoignant le belvédère et l’un des panoramas les plus exhaustifs : la Croix Mommessin. Ce site assez peu fréquenté domine de ses 402 mètres, sur la commune de Prizy, tout le « pays » brionnais et au-delà : au sud et à l’ouest, la vallée de la Loire ; à l’est et au sud-est, le Mâconnais et le Beaujolais ; au nord, le Charolais. Et partout, au premier plan, apparaît ce maillage bocager à minces haies arbustives, un vert piqué de blanc comme le sont toutes les prairies herbeuses à vaches charolaises de ce coin caché et authentique de la Bourgogne méridionale. Tellement authentique, d’ailleurs, qu’il a candidaté pour être inscrit en 2027 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. La présentation du dossier par la France doit avoir lieu en 2025, après que le territoire a élaboré le plan de gestion du périmètre retenu, celui du fameux pays de l’embouche. Affaire à suivre...