Le blockhaus à Sainte-Marguerite-sur-Mer

Composées essentiellement de craie, les falaises du pays de Caux sont d’une extrême fragilité. Au gré des événements météorologiques, le littoral évolue en permanence, grignoté par l’érosion. Comme les Napolitains qui vivent dans l’ombre du Vésuve, les Cauchois s’accommodent du risque et assistent, impuissants, au glissement des falaises vers la mer. Les conséquences peuvent être spectaculaires. À Pourville-sur-Mer, la route côtière n’est plus praticable. À Criel-sur-Mer, des jardins, puis des maisons, ont disparu du paysage. Mais le témoin le plus surprenant du recul des falaises trône sur la plage de Sainte-Marguerite-sur-Mer. Un énorme blockhaus du mur de l’Atlantique joue les équilibristes, planté sur la plage. La côte recule, certes, mais pour se retrouver dans cette position improbable, il lui a fallu un peu d’aide. En 1995, à la demande de la municipalité, les pompiers sont intervenus pour écarter le risque d’une chute imminente. À défaut de pouvoir utiliser des explosifs, ils se sont servis de leurs lances à eau pour saper le pied de la falaise. À force de persévérance, le mastodonte de 1 650 tonnes a vacillé. Mais au lieu de glisser lentement, il s’est fiché la tête la première dans les galets. Le bunker aurait pu s’affaisser sous son propre poids, mais il demeure là, vulnérable et pourtant indestructible, comme un étrange monument commémoratif.
Le manoir d’Ango à Varengeville-sur-Mer

Sous François Ier, Dieppe est le premier port de France et compte 40 000 habitants dans ses plus belles années (moins de 30 000 aujourd’hui). Son essor repose sur les grandes explorations maritimes du XVIe siècle et sur un homme fort, Jean Ango (1480-1551), nommé gouverneur de la ville pour services rendus au royaume. En effet, Jean Ango est le plus puissant des armateurs dieppois. Il fait fortune en pratiquant la guerre de course et en organisant des expéditions. L’une d’elles porte le navigateur florentin Verrazano vers les côtes américaines, où il découvre la baie de New York en 1524. Sa fortune faite, l’armateur fait appel à des architectes italiens pour lui construire une résidence d’été à Varengeville. Avec son élégant pigeonnier, le manoir d’Ango est l’une des plus belles demeures Renaissance en Normandie. Ce qui lui valut d’être, dès 1862, l’un des premiers monuments historiques classés.
Le jardin Shamrock à Varengeville-sur-Mer

Situé à Varengeville, ce jardin consacré à la conservation des hortensias et des hydrangeas s’adresse aux passionnés. Attendez-vous à subir un choc visuel. Robert Mallet évoque le cas d’un visiteur qui n’aimait pas trop les fleurs mais qui fut obligé de s’asseoir pour reprendre ses esprits: « Trop d’émotions visuelles en même temps, le cerveau ne suit plus et l’on ressent une sorte d’ébriété. » Cette collection a débuté en 1984 à partir d’une seule bouture. « Le drame, c’est que la bouture a pris racine et ma femme, pour vérifier si c’était vrai, en a fait un second... », raconte Robert Mallet. À force de recherches, Corinne Mallet est devenue une référence reconnue de tous les obtenteurs et pépiniéristes. Dotée d’un esprit scientifique, elle a multiplié les voyages au Japon pour constituer sa collection et approfondir ses connaissances. Cette collection a pris une telle ampleur qu’il a fallu trouver un terrain plus grand pour la présenter au public. Le site parfait a été trouvé en 2001, à Varengeville, sur une surface cinq fois plus importante, ce qui a permis d’organiser un circuit de visite par régions du monde et nationalités des obtenteurs. Dans un petit bois situé dans la partie haute du jardin, le sol drainant s’est révélé idéal pour les plants de montagne (Hydrangea serrata). Des plants récoltés sur les monts Amagi et le Fuji. Avec ses 1 500 plants, le jardin Shamrock est devenu un incontournable en Normandie. Le Conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS) lui a même décerné le titre de « collection nationale » !
Le jardin Agapanthe à Grigneuseville

Entre Dieppe et Rouen, Alexandre Thomas a créé l’un des jardins les plus enthousiasmants de Normandie. Certes, le climat cauchois favorise la croissance des végétaux, mais l’architecte paysagiste n’est pas homme de patience. En quelques années, il a façonné cet univers foisonnant à partir d’un terrain nu. Et tristement plat. Comme il le fait pour ses clients, il n’a pas hésité à planter des arbres adultes pour accélérer le temps. Autour de ces pins et de ces grands magnolias qui structurent l’espace, Alexandre Thomas a engagé un travail de titan pour bouleverser le terrain. En creusant des dépressions, en élevant des talus, en multipliant les escaliers, un réseau de chemins sablonneux s’est dessiné pour mener le marcheur de surprise en surprise. L’eau est omniprésente dans les fontaines, bassins et même dans cette allée sublime où elle cascade entre les pierres plates. Au détour d’une volée de marches, on s’élève de nouveau pour mieux découvrir des percées dans le panorama et dominer les masses de végétation qui ne sont jamais étouffantes. Pour contenir cette exubérance, Alexandre Thomas maîtrise à merveille la taille en transparence des végétaux, une taille qui laisse filtrer la lumière et met en valeur la structure des arbres sans les mutiler. Agapanthe est un jardin en perpétuel mouvement. Il se recompose sur lui-même, intégrant les dernières idées de son créateur, proposant de nouvelles ambiances. Parfois, il se transfigure. C’est le cas durant l’été, quand le jardin s’illumine pour des visites nocturnes. Alexandre Thomas a fait appel au créateur de lumière Jean-Philippe Weimer, dont les luminaires design se fondent dans le paysage. Durant ces nocturnes, une poésie étrange enveloppe le jardin qui semble émettre sa propre lumière. Bluffant !
Le cimetière des vertus à Hautot-sur-mer

Depuis quatre-vingts ans, Dieppe entretient avec le Canada une amitié sincère, teintée de reconnaissance. De Sainte-Marguerite à Saint- Martin-en-Campagne, les monuments commémoratifs sont nombreux, mais c’est le cimetière militaire des Vertus, à Hautot-sur-Mer, qui symbolise avec le plus de force l’échec sanglant du débarquement de Dieppe. Celui-ci survient le 19 août 1942. Près de 5 000 soldats canadiens, un millier de Britanniques et quelques Américains et Polonais lancent un raid pour prendre le port de Dieppe. L’opération Jubilee n’est pas programmée dans le but de renverser les forces allemandes car elle doit durer dix heures tout au plus. L’offensive est une manière d’éprouver l’ennemi et de donner des gages diplomatiques aux Russes qui sont les seuls à affronter la Wehrmacht sur le front de l’Est. Le raid est un échec dramatique. Incapables de remonter la plage de galets, les chars n’apportent aucun soutien aux troupes débarquées. La Luftwaffe domine le ciel sans partage et met hors d’usage 106 avions de la RAF. Avec ce succès, Hitler se persuade que le mur de l’Atlantique est infranchissable. Les pertes sont énormes avec 1 050 tués, 1 600 blessés et 2 000 prisonniers. L’opération Jubilee est un désastre humain, mais elle n’a pas été vaine. Les informations recueillies par les Alliés seront exploitées pour définir la stratégie du Débarquement du 6 juin 1944. Il ne sera plus question de prendre possession d’un port, indispensable pour le soutien logistique, mais d’en construire deux de toutes pièces, apportés d’Angleterre. Ce seront les fameux ports artificiels de Saint-Laurent et d’Arromanches. Depuis ces jours sombres, 955 soldats sont inhumés dans le cimetière des Vertus, surtout du Commonwealth, dont 707 Canadiens.
Le château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques

Animé avec passion par Nathalie et Jean-Christophe Romatet, le domaine de Miromesnil a plus d’un argument pour séduire. Les lecteurs de Maupassant le connaissent comme la première demeure de l’écrivain. C’est dans ce château loué par ses parents que le jeune Guy est venu au monde en 1850. Pour leur part, les férus d’architecture apprécient le château pour son originalité et ses deux façades contrastées. Côté sud, l’œil est flatté par les lignes épurées du corps principal flanqué de deux grosses tours rondes. Côté nord, la façade se montre plus grandiloquente avec ses huit pots à feu qui éclairaient la cour d’honneur les soirs de réception. Miromesnil sait aussi satisfaire les amateurs de jardins avec son étonnant potager. Un potager clos qui ne se contente pas d’aligner les rangs de poireaux et de carottes, car des plates-bandes fleuries se mêlent aux légumes pour créer de jolis tableaux colorés. Cette bordure mixte, vivrière et parfumée se découvre avec gourmandise avant de déboucher sur l’immense pelouse du parc. Tondue avec art pour faire apparaître des formes géométriques, elle se prolonge au-delà d’un cèdre du Liban bicentenaire, puis déroule son tapis vert sur plus d’un kilomètre, encadrée par une futaie de 3 500 hêtres. Pour profiter de ce beau spectacle, vous pouvez vous glisser dans la peau du châtelain pour une nuit. Le château propose quelques chambres d’hôtes et deux gîtes dans le parc.