La ville de Soulages

Si la cathédrale Notre-Dame a toujours dominé de sa puissante stature l’ancienne capitale du Rouergue et attiré les pèlerins en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle, la notoriété ruthénoise vient d’un célèbre artiste peintre natif de la ville, Pierre Soulages. Une belle aventure que l’on pourrait résumer par une œuvre au noir pour une vie en rose ! « C’est à ma connaissance le seul musée de grande envergure qui fut entièrement consacré à un artiste français de son vivant et qui a continué à peindre jusqu’à sa mort (Ndlr : le 25 octobre 2022) », raconte Benoît Decron, conservateur du musée Soulages. Né à Rodez le 24 décembre 1919, Pierre Soulages décide de faire en 2005 une donation de cinq cents de ses œuvres à la collectivité, à condition qu’un musée soit créé. Ce dernier voit le jour en 2014, en lieu et place du jardin du Foirail à deux pas de la cathédrale. « Tout est conçu ici en adéquation avec les œuvres de l’artiste. Y compris la couleur extérieure du bâtiment. La rouille oxydée de l’acier Corten rappelle tout simplement le brou de noix de Soulages », explique le conservateur. L’étonnant édifice en cube de 5000 m² couvert d’acier roux, réalisé par l’agence catalane RCR Arquitectes, déroule la carrière de l’artiste selon huit thématiques depuis ses premières années jusqu’à sa fameuse période outrenoir en passant par des œuvres sur papier, des gravures, des huiles sur toile, des estampes ainsi que les cartons maquettes des vitraux de l’abbatiale de Conques. « La plus ancienne œuvre date de 1934 et la dernière de 2019. Nous avons là une collection de huit décennies pendant lesquelles Soulages a développé ses recherches. C’est encore une fois exceptionnel qu’un seul musée couvre la carrière d’un artiste sur une période aussi longue. Je crois que c’est unique au monde. » Le parcours muséographique plonge le visiteur dans la matière et la couleur pour une réelle immersion dans l’univers Soulages. « Avec les outrenoirs, c’est une expérience visuelle et physique. Vous avez besoin de vous déplacer devant l’œuvre pour capter la lumière qui glisse sur les lignes noires », commente le conservateur. Tel un moulin qui ne se conçoit pas sans eau ou sans vent, un outrenoir ne se conçoit pas sans lumière. « C’est pourquoi nous avons travaillé sur la lumière en collaborant avec des éclairagistes de théâtre. » En même temps que la cote de Pierre Soulages n’a jamais cessé de grimper (un outrenoir a été adjugé à 9,6 millions d’euros en 2019), la collection s’est enrichie avec les donations successives du peintre, en 2012 et 2020. Depuis son ouverture, le musée a accueilli plus d’un million de visiteurs. « Un exploit pour une ville d’à peine 23 000 habitants ! », s’enthousiasme Benoît Decron.

Une cathédrale hors norme

Du Foirail et du musée, la cathédrale Notre-Dame est toute proche. Monumental, le sanctuaire gothique en grès rouge domine de toute sa masse la place d’armes. Autrefois intégrée aux remparts de la ville, sa façade fortifiée mêle différents styles entre ses meurtrières austères et sa rosace flamboyante en dentelle de pierre. Tout un florilège de sculptures et de gargouilles foisonne sur les murs extérieurs, tandis qu’à l’intérieur le gothique flamboyant s’exprime sur toute sa hauteur entre ombre et lumière. C’est en 1276 que l’évêque Raymond de Calmont fonde la cathédrale sur les vestiges d’une église, volonté affirmée d’asseoir son pouvoir dans la cité épiscopale dont il est le seigneur. Cette volonté expliquerait-elle ses dimensions hors norme ? 102 mètres de long, 37 mètres de large, une clé de voûte juchée à 30 mètres de hauteur : une démesure rare parmi les cathédrales du sud de la France. Pour couronner le tout, un clocher massif culmine à 87 mètres, le plus haut clocher « plat » de France, accessible par ses 400 marches. Trois siècles, du XIIIe au XVIe siècle, furent nécessaires pour construire cet édifice colossal. « Autre particularité de cette cathédrale, c’est qu’elle a des “planètes”, il s’agit d’un toit-terrasse, une énorme surface “plane” située au-dessus des chapelles du chœur », détaille Marion Maury- Palayret, guide-conférencière à l’office de tourisme. Depuis ces « planètes », à travers une forêt d’arcs-boutants et l’ossature de la cathédrale, on peut admirer une vue plongeante sur les toits. Plus haut encore, au sommet du clocher plat, le panorama à 360° sur Rodez et ses environs est tout simplement époustouflant.
L’âge d’or ruthénois

Situé sur les contreforts du Massif central à 634 mètres d’altitude, Rodez connaît un climat tempéré avec des hivers rudes. Cependant, cette situation au carrefour des grands axes de communication a permis, dès le Ier siècle, la naissance d’une cité prospère. Longtemps épiscopal, Rodez s’impose dès le XIe siècle comme une commune bourgeoise et commerçante lorsque les comtes de Rodez s’y installent en fondant une ville marchande. Dès lors, l’agglomération épiscopale et le bourg des comtes doivent cohabiter non sans rivalité, mais le bourg deviendra le cœur économique de Rodez grâce à sa prospérité commerciale exceptionnelle. Des maisons à pans de bois jadis occupés par des commerçants et des artisans entourent encore aujourd’hui la place et il est facile d’imaginer que des grandes foires annuelles se tenaient ici au Moyen Âge. « On venait de Flandre et d’Italie. Cet essor économique autour de la classe marchande atteint son apogée aux XVe et XVIe siècles », précise Marion. Pour témoigner de cet âge d’or, Rodez conserve de magnifiques demeures Renaissance et des hôtels particuliers à l’instar de la maison de l’Annonciation, à l’angle de la place du Bourg. Ayant appartenu à la famille de François Dardenne, un riche commerçant, ce bâtiment construit sur sept niveaux se distingue par ses fenêtres à meneaux sculptés ainsi que par sa tourelle en encorbellement qui porte un bas-relief représentant la scène de l’Annonciation. Quelques pas plus loin, la villa d’Hugues Daulhou, un autre marchand, rebaptisée la « maison d’Armagnac », domine la place de l’Olmet. Un savant mélange des styles gothique et Renaissance caractérise cette demeure, la plus belle de Rodez avec sa façade rehaussée d’un alignement de 32 médaillons à l’antique. En descendant par la rue du Court-Comtal, impossible de manquer la maison Trouillet et son bel encorbellement en bois de châtaigne.
De mystérieuses statues-menhirs

Tout près de la place du Bourg, l’hôtel de Jouéry, autre édifice Renaissance de la ville, fait face à l’hôtel de ville sur la place Eugène-Raynaldy. Il fut acquis en 1913 par Maurice Fenaille, riche mécène et collectionneur d’art. L’hôtel particulier abrite un musée d’histoire, d’archéologie et d’art, connu sous le nom de musée Fenaille qui conserve la plus grande collection de statues-menhirs de France. Dans le décor moderne et épuré d’une salle d’exposition, ces curieux êtres de pierre issus de la préhistoire s’alignent sagement. Ces statues seraient les plus anciennes représentations humaines en grand format connues en Europe occidentale. « La plupart d’entre elles ont été trouvées dans le sud de l’Aveyron, dans la zone des monts de Lacaune, près d’Albi. Ce sont certainement les premières communautés agricoles installées dans cette région, il y a cinq mille ans, qui les ont façonnées », explique Sylvie Chassagne, guide-conférencière. Sur ces stèles hautes d’environ un mètre, cheveux, seins, œil et nez sont sommairement tracés. Armes, vêtements, parures et tatouages se combinent d’une manière schématisée permettant ainsi une lecture rapide, simplifiée mais précise. « Cette simplicité apparente aurait frappé l’adolescent ruthénois Pierre Soulages qui trouvera dans ces statues-menhirs son inspiration », précise Sylvie. Un œil expert décèlera dans les lignes des ceintures et des colliers, où alternent les creux et les pleins, les outrenoirs Soulages dont les stries creusées oscillent entre ombre et lumière. « Lorsque, pour la première fois, j’ai vu les stèles gravées du musée Fenaille, ce fut un choc. (...) C’est peut-être à cause des émotions que j’ai vécues devant ces objets que j’ai été amené à regarder ailleurs », dira plus tard le peintre. En témoignage de cette influence artistique, la statue-menhir de la Verrière, la préférée du peintre, est présentée au musée Soulages depuis 2021.