Belcastel, un village sauvé par l’architecture et l’art

Rénové par Fernand Pouillon dans les années 1980, le château médiéval de Belcastel poursuit sa mue grâce à l’art et à la culture. La place forte millénaire est aujourd’hui un lieu où les artistes contemporains s’expriment et où les visiteurs découvrent histoire et architecture sous la houlette de sa châtelaine Heidi Leigh. « J’ai vu pour la première fois le château de Belcastel en 2005. Lorsque j’ai visité l’ancienne prison, je me suis dit: “Merveilleux, cela fera un excellent lieu pour une galerie.” Ce qui s’appelle un coup de foudre », raconte Heidi Leigh, propriétaire du château de Belcastel qui couronne l’un des Plus Beaux Villages de France. Dès son acquisition, l’Américaine ouvre le château au public en même temps qu’elle y fait entrer l’art. « Chaque année, une exposition d’art contemporain anime l’extérieur et l’intérieur de l’édifice médiéval. Musique, concert, stages et diverses attractions ont lieu ici. L’art, l’histoire et l’architecture cohabitent. Artistes, visiteurs et familles viennent nombreux. Le château vit. C’était mon souhait. » Un château vivant est un atout pour le village, et la châtelaine affirme avoir assisté à une sorte de « renaissance » du village de Belcastel qui attire de plus en plus de touristes et de voyageurs. « J’ai vendu mes galeries et ma maison à New York, et j’ai décidé de vivre ici, dans un pays dont je ne parle pas la langue. L’amour peut parfois rendre fou! », éclate de rire celle qui a été décorée chevalier de l’ordre des arts et des lettres en 2007, pour avoir fait renaître ce lieu historique et y avoir apporté une vraie vie culturelle.
Restauration complète

Trente ans avant Heidi Leigh, le célèbre architecte Fernand Pouillon (1912-1986) était tombé amoureux du même château. Se consacrant à un véritable travail de bénédictin, il s’échine huit années durant à redonner vie au château défensif bâti il y a plus de mille ans par les seigneurs de Belcastel. « Devenu une carrière de pierre au XIXe siècle, le château était à moitié en ruine et envahi par la végétation. Mais dès que Fernand Pouillon l’a vu en 1974, il a su que ce serait sa dernière résidence. Il l’a littéralement ressuscité en le rebâtissant pierre par pierre. Il y a vécu ses douze dernières années. Sans lui, nous ne serions pas là », affirme Heidi Leigh. L’immense travail de Fernand Pouillon ne s’arrête pas à la résurrection du château mais aussi à celle du village. L’architecte disciple d’Auguste Perret acquit en même temps que le château les maisons anciennes lovées en contrebas de l’édifice, relançant la restauration complète de Belcastel. Plus de quinze ans seront nécessaires à redonner vie au four banal, au pont à arcades du XVe siècle, aux calades, à des sites emblématiques comme les chaises du Seigneur, le roc d’Anglars et son fort, le site de la Vierge du Lourdou, l’église Sainte-Madeleine (XVe siècle) abritant le gisant du seigneur du village, Alzias de Saunhac. Un chantier colossal qui sera couronné en 1990 par le label très envié des « Plus Beaux Villages de France ». « À Belcastel, l’aventure continue. Mon compagnon, Luc Devaux, a réalisé d’énormes recherches archéologiques sur l’origine de cette forteresse médiévale dont l’aventure a débuté au VIIIIe siècle, avec une modeste chapelle ; il a découvert les traces de la toute première occupation des lieux par les Carolingiens. »
Villefranche-de-Rouergue, une ville tirée au cordeau

Avec ses ruelles qui se croisent à angle droit, sa place centrale vouée aux foires et marchés, la bastide de Villefranche échappe aux plans labyrinthiques des bourgs médiévaux. Construite de toutes pièces au XIIIe siècle selon un urbanisme avant-gardiste, la ville devient le nouveau centre du pouvoir royal dans le Rouergue. Au grand dam des seigneurs et des cathares, qui tentent d’y semer le trouble. À Villefranche-de-Rouergue, le visiteur ne tourne jamais en rond ! Cette bastide fondée en 1252 par Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX et comte de Toulouse, comme toutes celles qui sortiront de terre dans le Sud-Ouest, obéit à un urbanisme nouveau, spécifique et très normé. Autour de la place centrale, deux axes nord-sud et est-ouest la traversent constituant un réseau de rues parallèles et perpendiculaires, se coupant à angle droit. Sur ce damier grandeur nature s’installaient des familles auxquelles on donnait un lot à bâtir (l’ayral) et un lopin de terre cultivable (l’ortus), situé en lisière de la ville nouvelle, sur les rives de l’Aveyron. Chaque famille disposait d’un délai de deux ans pour construire dans l’un des quatre quartiers de la ville sa maison, qui sera soumise au « fouage » (taxe proportionnelle à la surface bâtie). Commerçants, paysans, artisans des campagnes environnantes, attirés par certaines libertés et l’attrait d’avantages fiscaux (franchises et coutumes), se pressaient pour venir la peupler. Les marchands et les notables s’établissaient sous le couvert de la place du marché le long des rues charretières.
Une ambitieuse politique d’urbanisation

La naissance de ces villes correspond à des objectifs économiques, en créant des ressources financières et en offrant des solutions à l’essor démographique, mais tient surtout à des motifs éminemment politiques. Alphonse de Poitiers, dans le sillage de l’initiateur des bastides Raimond VII (il en fondera une quarantaine), mènera d’ailleurs une active politique d’urbanisation dans une grande partie du Sud-Ouest, expérimentant à chaque fois des méthodes nouvelles. C’est ainsi qu’il met en place le contrat de pariage ; ce dernier stipulant la garantie de son autorité, l’apport de puissants moyens financiers et le soutien de ses associés (moines, évêques, seigneurs locaux), propriétaires des terres. « C’est en effet pour asseoir le pouvoir du roi de France dans cette Haute-Guyenne que l’administration royale crée ex nihilo Villefranche, la bien nommée », explique Ludovic Lemercier, guide-conférencier, spécialiste du Moyen Âge.
Rodez, la rivale battue

Dans une société médiévale où les seigneurs restent tout-puissants, l’organisation sociale de la bastide est aussi nouvelle et originale que celle de son architecture et son urbanisme. On offre même à tous les habitants le droit de vote pour élire les quatre consuls désignés parmi les bourgeois de la ville, garantissant ainsi que le pouvoir demeure aux mains des Villefranchois. Sous le contrôle d’officiers du roi, les consuls jouent alors un rôle prépondérant : ils ont la charge de percevoir les taxes et les impôts ; d’organiser les marchés et les foires ; d’assurer les travaux et l’entretien de la voirie ; de bâtir des équipements urbains tels que les ponts, les fours banaux, la fontaine publique; enfin, ils doivent assurer la défense de la ville. « Le comté de Toulouse venait d’entrer dans le territoire royal à la suite de la croisade des Albigeois. À cette époque, les seigneurs de la région, notamment celui de Najac, se montrent hostiles au roi de France et l’hérésie cathare gagne du terrain. Ériger une grande ville prospère était une manière d’unifier un grand nombre de populations sous l’autorité du roi de France et de contrer le mouvement cathare », précise notre guide. L’évêque de Rodez, Vivian de Boyer, excommunie les habitants et s’empresse de maudire la nouvelle ville. En vain. Le pari du comte est réussi car quelque quatre-vingts ans après sa création, Villefranche est déjà devenue une importante agglomération commerciale forte de plus de 5000 habitants. La collégiale, quant à elle, a rempli le rôle de réaffirmation du catholicisme et, depuis le XVe siècle, son clocher monumental culmine à 58 mètres de hauteur. « Il manque cependant 30 mètres au projet initial. Villefranche voulait absolument ériger un clocher qui dépasse les 87 mètres de la cathédrale de Rodez, sa grande rivale », poursuit Ludovic Lemercier. Par manque d’argent cet objectif ne sera jamais atteint, toutefois Villefranche, parti de zéro, deviendra une ville commerciale à l’économie puissante avec laquelle Rodez ne pourra plus concurrencer. Jusqu’à la Révolution française, il y avait en effet deux fois plus d’habitants à Villefranche qu’à Rodez.
Najac, une bastide sur un nid d’aigle

Les raisons de se rendre à Najac sont nombreuses. D’abord, il fait partie des « Plus Beaux Villages de France », ensuite si vous cherchez l’une des vues les plus impressionnantes sur les gorges de l’Aveyron, vous serez comblé. Bâtie sur un éperon rocheux dans l’un des méandres de la rivière, cette forteresse médiévale domine le canyon du plus haut de son donjon et surveille patiemment la vallée depuis le XIIIe siècle. Si Villefranche-de-Rouergue fut pour Alphonse de Poitiers le pôle économique et administratif du Rouergue, Najac sera sa place forte militaire. Arrimée en surplomb de l’Aveyron à 150 mètres de hauteur, à l’entrée des gorges, cette petite bastide offre une longue rue principale s’étirant, d’est en ouest, tout du long de la crête du massif escarpé. Entre le bourg castral et le quartier de la Pause se dresse fièrement l’église Saint-Jean-l’Évangéliste (XIIIe siècle), sanctuaire fortifié à l’architecture de style gothique languedocien. Édifiée sous l’impulsion d’Alphonse de Poitiers, sa présence témoigne de l’histoire d’une guerre sans merci menée par les troupes catholiques du roi contre les hérétiques cathares. Originalité de l’édifice, sa construction sur un très grand puits, prévu pour servir de refuge à la population et de réserve d’eau en cas où Najac serait assiégé. Avant d’arriver au château, point culminant du village, remarquez quelques architectures remarquables: la maison du Gouverneur (XIII-XVIIIe), la chapelle Saint-Barthélémy (XIVe), la fontaine des Consuls (XIVe), les maisons médiévales sous le couvert de la place du Faubourg.
Un bel arsenal défensif

Véritable point d’orgue de la bastide, la forteresse est l’œuvre d’Alphonse de Poitiers qui, à la suite de Raimond VII, renforce l’invulnérabilité de la bâtisse. Le comte de Toulouse veut affirmer toute l’étendue de son pouvoir. Sur les bases d’un premier château fortifié datant du XIIe siècle, il érige un chef-d’œuvre de l’architecture militaire du XIIIe siècle, doté d’un arsenal d’éléments défensifs pouvant répondre à toutes les exigences de l’art de la guerre de l’époque : hauts remparts, donjon de 40 mètres, meurtrières, courtines à 25 mètres de hauteur inaccessibles aux échelles des assaillants, archères de 6,80 mètres de haut (considérées à l’époque comme étant les plus hautes du monde)… Réputée inexpugnable, la forteresse passera malgré tout plusieurs années aux mains des Anglais lors de la guerre de Cent Ans, avant que la paix et la tranquillité ne reviennent à Najac.