Détours en France : Rêver et visiter, apprendre et voyager, se divertir et voir la France autrement

Marseille : ces calanques que fréquentent moins les touristes

Calanque de l'Erevine, crique et îlot de galets, vue du sentier des Douaniers sur la Côte Bleue © Manuel Cohen / Détours en France

Publié le par Vincent Noyoux

Et si on oubliait les calanques de Marseille, spectaculaires mais surfréquentées ? Entre l’Estaque et Martigues, la côte Bleue se creuse de criques secrètes, qui abritent des ports grands comme la poche.

La Côte Bleue de Marseille

Le train de la côte Bleue, ici en gare de Niolon, traverse viaducs, calanques et somptueux décors sur plus de 30 km le long du littoral.
© Manuel Cohen / Détours en France

C’est à l’Estaque que démarre notre promenade sur la côte Bleue. Ce quartier populaire de Marseille a été abondamment filmé par Robert Guédiguian. Impossible de ne pas songer à Marius et Jeannette (1997) en se baladant dans les traverses pentues. Du linge pend aux fenêtres, et on ne serait pas surpris d’apercevoir la silhouette d’Ariane Ascaride au détour d’une ruelle. Seules quelques demeures cossues se poussent du col ici et là, telle la villa la Palestine, au style néomauresque. Au siècle dernier, l’Estaque a séduit les plus grands peintres. Cézanne y a posé son chevalet, Derain et Dufy aussi. Braque y aurait même inventé le cubisme avec Maisons et arbre, toile de 1908. Un chemin des peintres de l’Estaque guide les promeneurs à travers le quartier en escalier. Le parvis de l’église offre une belle vue sur les îles du Frioul et la « planète Marseille ». Ici commence la chaîne de la Nerthe, qui étire son relief jusqu’à Martigues. En 1915, l’ouverture d’une ligne de chemin de fer Marseille-Miramas par la côte permet de désenclaver les villages du littoral. Le train de la côte Bleue roule toujours, et ce serait un tort de ne pas en profiter ! De la gare Marseille-Saint-Charles à Martigues, il longe les falaises, saute par-dessus les ravins, s’enfonce dans des tunnels, surplombe les criques encaissées. Les larges baies vitrées permettent de profiter d’un des plus beaux panoramas ferroviaires de Méditerranée. Autre avantage du train, il permet de rejoindre sans stress chacun des villages côtiers, certains interdisant l’accès aux voitures en été.

 

La calanque de la Redonne

La crique de la pointe de Figuerolles offre un tableau méditerranéen tout aussi enchanteur.
© Manuel Cohen / Détours en France

Par un petit matin, nous arrivons en gare de Niolon, en compagnie de quelques randonneurs − ils seront plus nombreux au fil des heures. Le sentier des Douaniers (GR51), qui nous emmène en trois heures jusqu’à la Redonne (7 km), passe en revue les plus jolies calanques de la côte. Voici d’abord l’anse Jonquier, plage secrète à l’ombre du viaduc. Le sentier suit le chemin de fer, s’en éloigne jusqu’à l’Érevine, merveille de crique rocheuse bordée d’eau turquoise. On s’y baigne au son des galets roulés par la mer, sous l’œil de la tour sarrasine et du petit îlot très Île fantastique. Au loin, Marseille, les îles du Frioul et le phare du Planier qui garde la rade. Les cigales nous accompagnent sur le sentier en balcon au-dessus de la mer. Défiant l’azur, le cap Méjean n’a rien à envier aux calanques de Cassis ! Ce coin de côte (entre l’Estaque et Méjean) a été sauvé de la « bétonite » au début des années 1980, lorsque le Conservatoire du littoral a racheté 3 500 hectares d’espaces natu- rels pour empêcher deux opérations immobilières. L’anse Méjean arrive bientôt, avec son port incrusté dans la roche, au-dessous du viaduc. Les cinéphiles reconnaîtront le décor du film La Villa (2017), de Robert Guédiguian. Le GR longe encore la côte jusqu’à la Redonne, aux vieilles maisons de pêcheurs posées sur les rochers ocre. « Je n’ai jamais été aussi heureux qu’à la Redonne », écrivait Blaise Cendrars, un adepte de la belle vie des calanques... Le kayak est un autre moyen de goûter au charme de la côte. Du port de Niolon, on rejoint en quelques coups de pagaie l’anse Jonquier puis, sans trop forcer, le paradis turquoise de l’anse de l’Érevine. C’est sur l’eau que l’on apprécie le mieux la prouesse des bâtisseurs de la ligne ferroviaire, qui durent percer la roche, l’enjamber grâce aux arches de viaducs aériens, la contourner intelligemment. Le kayak offre aussi le recul nécessaire pour admirer les falaises habillées de garrigue et de pins. Après la Redonne, la côte Bleue perd de son charme. Les promoteurs ont eu l’appétit vorace en construisant les stations balnéaires de Carry-le-Rouet, Sausset-les-Pins, La Couronne.

 

Martigues, un Orient provençal

Le quai Brescon, Miroir aux Oiseaux, une zone autour du canal Saint-Sébastien à Martigues.
© Manuel Cohen / Détours en France

On préférera descendre en gare de Martigues. La « Venise provençale » a l’étang de Berre pour lagune, et le canal Galliffet pour grand canal. Si on était Marseillais, on dirait que le Miroir aux oiseaux n’a rien à envier au Rialto : sur le canal Saint-Sébastien, quelques pointus colorés sont amarrés en éventail devant des façades couleur safran, vert amande, cassis. Martigues tient sa carte postale. « Martigues est à Venise ce qu’est une charmante paysanne à une grande dame ; mais il n’eut fallu qu’un caprice de roi pour faire de la villageoise une reine », a écrit Alexandre Dumas. Au milieu du XIXe siècle, le petit port de pêche tape dans l’œil d’un autre artiste, Félix Ziem. Ce peintre orientaliste, connu pour ses vues de Venise, trouve dans la lumière du Midi de quoi enrichir sa palette. À Martigues, il peint la Rentrée des tartanes (1865) et se fait édifier une villa, avec une mosquée factice au fond de son jardin pour imiter les paysages de Turquie et d’Égypte. Au musée qui lui est consacré, on admire son bleu lumineux dont Van Gogh enviait l’intensité. On découvre aussi les œuvres d’autres artistes venus explorer Martigues à sa suite : Picabia, Dufy, Vlaminck, Signac et Renoir. De l’Estaque à Martigues, les plus grands peintres se sont ainsi succédé sur la côte Bleue, jetant les bases de l’art moderne du XXe siècle. Bien sûr, les tartanes ont disparu et les filets de pêche ne sèchent plus sur les quais. Mais l’âme de l’ancien port de pêche flotte encore. Pour s’en convaincre, il faut pousser la porte de la Maison des arts et de la photo, l’antre de Gérald Delarte, sur l’île de Martigues. Cheveux en bataille et faconde méridionale, ce « Martégaou » pur jus vend des affiches, des cartes postales anciennes et fait volontiers déguster la poutargue (la spécialité martégale). Surtout, il vous dit tout sur l’histoire de la ville et notamment le tournage ici même de La Cuisine au beurre (1963), de Gilles Grangier. « Toute la ville a participé à ce vaudeville sauce provençale. Mais Fernandel et Bourvil ne s’entendaient pas. Saviez-vous que... » Le plus étonnant est sa description du Martigues de son enfance, les maisons de pêcheurs presque insalubres, la pêche au loup dans le canal. Assis sur un tabouret, René, chemise ouverte et mocassins impeccables, opine ou ajoute son grain de sel. Gérald propose aussi des visites commentées sur le thème du cinéma. Car des Tuche à Downton Abbey et The Walking Dead, la « Venise provençale » attire encore les caméras du monde entier. Pas de clap de fin pour la côte Bleue...

Cafés en plein air le long de la côte de l'étang de Berre, un lagon à Martigues, près de Marseille.
© Manuel Cohen / Détours en France

Sujets associés