Certains se dressent face à l’océan, d’autres sur les rives de l’estuaire de la Charente. Tous déploient leurs murailles ébréchées, leurs batteries de canon, leurs casernes désertées. Le plus célèbre, le fort Boyard, veille au large de l’île d’Oléron, sur un îlot rocheux qu’on ne peut atteindre qu’en bateau. Été comme hiver, ces forteresses marines classées au titre de monuments historiques accueillent nombre de visiteurs. Toutes appartiennent au réseau de fortifications bâti dès le XVIIe siècle par Vauban et ses pairs pour protéger de l’ennemi anglais l’arsenal de Rochefort, joyau de la Marine royale.
En ce milieu du XVIIe siècle, le roi Louis XIV rêve de surpasser les Anglais sur les mers. Conseillé par son ministre Colbert, il décide de créer sur la côte Atlantique un port capable de construire une flotte de guerre qui rétablira sa puissance maritime et ravitaillera les nouvelles colonies des Amériques. Son choix se porte sur le site de Roca Fortis, le futur Rochefort, à 24 kilomètres de la mer. « Le premier coup de pioche est donné en 1666. Autour de l’arsenal qui sort de terre dès 1670, prend bientôt forme une cité fortifiée : urbanisme en damier ponctué d’hôtels particuliers, ateliers, commerces et casernes. En 1671, ce “Versailles-sur-Mer” compte déjà 20 000 habitants », raconte Christophe Richard, spécialiste du patrimoine de Rochefort Océan. Durant 250 ans, près de 550 navires de guerre vont sortir de ses chantiers navals. Parmi eux, la frégate L’Hermione, qui emmènera La Fayette vers les Amériques en 1780.
L'Arsenal des mers, haut lieu de l'innovation technique
Musée grandeur nature dédié à l’histoire de la marine à voile, l’Arsenal des mers de Rochefort abritait au XVIIIe siècle des chantiers navals, des ateliers, des entrepôts, une école d’officiers de marine et un hôpital militaire formant l’élite des chirurgiens en mer. Son emblème : la Corderie royale, impressionnant bâtiment étiré sur 376 mètres de long au bord de la Charente. On y tressait les cordages en chanvre pour la marine, à la longueur réglementaire d’une encablure, soit 200 mètres d’un seul tenant. Au cœur du site, on admire aussi les collections du musée de la Marine et la double forme de radoub datant de 1725. C’est ici qu’a été construite la frégate L’Hermione de La Fayette, grand artisan de l’indépendance des États-Unis, mais aussi sa réplique, au cours d’un chantier participatif mené de 1994 à 2017. Après la découverte de champignons dans le bois, le navire est actuellement en grand carénage au port d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques). Retour à Rochefort en 2025.
Le royaume de France veille sur Rochefort. Certes, son arsenal est naturellement protégé par un méandre de la Charente, fleuve alors navigable pour les navires de gros tonnage. Mais c’est insuffisant pour parer les attaques des Anglais. Pour verrouiller la baie à la sortie de l’estuaire, Vauban lance la construction d’une formidable série de fortifications. La Rochelle ferme déjà l’accès nord entre Ré et le continent. De 1681 à 1704, d’autres citadelles surgissent sur les îles charentaises : le fort Saint-Martin- de-Ré, le fort de la rade d’Aix et la citadelle du Château-d’Oléron. Sur la côte, les défenses de Fouras sont étoffées. Le fort Louvois barre le coureau d’Oléron. Et deux nouveaux ouvrages s’établissent sur les rives de l’estuaire : le fort Lapointe, au nord, et le fort Lupin, au sud. Un dispositif que Napoléon Bonaparte élargit au début du XIXe siècle, avec le fort Liédot sur l’île d’Aix, et le fort Boyard au large d’Oléron... Ces machines de guerre se complètent, en tenant compte de la portée de tir de l’époque.
Campagnes de restauration

Mais chaque forteresse a ses spécificités et son histoire. Clé de ce vaste système défensif, la citadelle du Château-d’Oléron succède ainsi à l’ancien château fort des ducs d’Aquitaine, qui accueillait la duchesse Aliénor, reine d’Angleterre, au XIIe siècle. Bâtie sur le promontoire rocheux qui domine le coureau d’Oléron par l’ingénieur militaire Pierre d’Argencourt en 1660, puis modernisée par Vauban, la place forte évoque de nos jours un véritable décor de jeu de vidéo : porte royale précédée d’une enfilade en zigzag de ponts, passerelles rétractables, escaliers à vis, portes et douves, et un système d’écluses facilitant autrefois un remplissage en eau de mer. « Côté village, ses bastions avancés permettaient aussi de garder un œil sur les Oléronnais, restés fidèles à l’Angleterre jusqu’au XV e siècle », précise Léa Vergez, historienne et guide-conférencière.
Ironie de l’histoire, si la citadelle a servi à regrouper les soldats en partance pour la Nouvelle-France, elle ne fut jamais attaquée par les Anglais. En revanche, en 1945, les échanges de bombardements entre les Allemands, établis à la citadelle d’Oléron, et les FFI, les résistants des forces françaises, basés à fort Louvois, l’ont fortement endommagée. Pour découvrir cet insolent voisin, posé sur un îlot immergé à marée haute, il faut embarquer sur un bateau-navette depuis le port ostréicole de Bourcefranc-le-Chapus. Après une longue campagne de restauration, la forteresse conçue par Vauban a été remise sur pied en belles pierres blanches de calcaire, et c’est désormais une association qui gère les lieux en y proposant des parcours ludiques.
Un peu plus au nord, le fort de l’île Madame, reliée à Port-des-Barques par une chaussée submersible, se dresse au milieu des herbes folles. Restaurée par le Conservatoire national du littoral, sa grande redoute de 1703, un carré de 36 mètres de côté accessible par un pont-levis, coiffe le sommet de l’île en vis-à-vis du fort Vauban, à Fouras-les-Bains, et offre un incroyable belvédère à 360° sur l’estuaire de la Charente et la mer des Pertuis.

À ses pieds, un parc de 4 hectares. À 8 kilomètres à vélo, le fort Lupin se poste, lui, sur la rive sud de l’estuaire de la Charente. Batteries en demi-cercle côté fleuve, remparts en étoile et douves en eau côté terre, ce petit bijou a été restauré par la famille Descubes, qui l’a racheté dans les années 1960 et ne se visite que sur réservation auprès de l’office de tourisme de Rochefort Océan.

Fabuleux vestiges militaires

La station balnéaire de Fouras, encore plus au nord, a poussé autour du fort Vauban, bâti en lieu et place d’un château qui, au Moyen Âge, faisait payer un péage à l’entrée de l’estuaire de la Charente. De 1689 à 1693, François Ferry, l’autre grand ingénieur de Louis XIV, a transformé l’ancienne demeure féodale en un redoutable « fort à la mer », muraille et donjon de 36 mètres de haut, trois étages de feu sur l’estuaire. À la pointe de la Fumée, toute proche, on embarque dans le bateau-navette pour l’île d’Aix, qui a abrité les derniers jours de Napoléon Bonaparte sur le sol français. Sitôt débarqués, les visiteurs découvrent l’impressionnant fort de la rade, entouré de douves et flanqué de cinq bastions. L’édifice originel, où mouillait l’escadre de Rochefort, a été rasé par une attaque de la flotte anglaise, en 1797. L’ouvrage doit donc sa physionomie aux grands travaux napoléoniens du XVIIIe siècle. En poursuivant à vélo au nord de l’île, on déniche d’autres vestiges militaires de la même époque, comme le confidentiel fort Liédot, caché au milieu de la forêt. Après la Révolution, comme la plupart de ses consœurs, la citadelle fut convertie en geôle pour des prisonniers militaires et politiques. Le dernier d’entre eux étant Ahmed Ben Bella, chef historique de la résistance algérienne, détenu de 1959 à 1961.
Dès 1926, l’envasement de la Charente a entraîné la fermeture de l’arsenal de Rochefort. En s’éteignant, le rêve de grand chantier naval du Roi Soleil et de son ministre Colbert a rendu inutiles ses gardes rapprochées. Ces forteresses de l’Atlantique font aujourd’hui la joie des oiseaux marins et des touristes