
« Les paysans les trouvent dans leurs champs, les habitants dans leur jardin, c’est d’une telle banalité qu’ils ne comprennent pas pourquoi on fait tant d’histoire autour de ça », explique Pierre Lavina, géologue et ancien directeur de la maison de l’Améthyste. « Ici, c’est un agriculteur qui nous a signalé leur présence dans son champ il y a un mois », poursuit-il en indiquant les quartz violets qui parsèment un terrain creusé en surface. Nous nous trouvons à Vernet-la-Varenne en Auvergne et, sous nos pieds, dans un espace de 30 kilomètres de diamètre, se cachent les précieux filons d’améthyste, le plus grand gisement d’Europe. « Les améthystes d’Auvergne sont uniques au monde par leur forme géométrique quasi parfaite et par leur couleur “rubis”, même si cette qualité “gemme” ne représente que 2 % du gisement. Par sa rareté, elle était considérée comme une pierre précieuse », continue le géologue. Si toutes les améthystes du monde se forment grâce aux activités volcaniques, celles d’Auvergne ont la particularité de se trouver uniquement dans des filons, et non dans des géodes. « Elles se façonnent à partir du magma qui s’est cristallisé dans le sol sous forme de granit. La décharge d’énergie du granit va influer sur la couleur du cristal en intensifiant sa teinte violette. C’est un procédé chimique que les améthystes en forme de géode – présentes par exemple en Amérique latine – n’ont pas. Ce qui explique sa rareté », explique Pierre Lavina. Les améthystes d’Auvergne étaient certainement utilisées depuis l’époque gallo-romaine mais les premières traces écrites de leur extraction datent seulement de la Renaissance. Selon certains textes, la reine Margot, emprisonnée dans la forteresse d’Usson par Henri IV, aimait se parer des pierres pourpres qui venaient de la mine de Pégut, à proximité de Vernet-la-Varenne. Deux siècles plus tard, c’est Louis- Guillaume Le Monnier, médecin de Louis XV, qui découvre officiellement l’améthyste d’Auvergne lors d’une mission scientifique avec le cartographe Cassini de Thury. Il écrit avoir trouvé les plus belles carrières d’améthyste à Pégut et avoir fait tailler un morceau de cristal à Murat par un lapidaire pour le mettre dans le cabinet du jardin du roi. « Au fur et à mesure, l’améthyste d’Auvergne gagne une réputation de pierre précieuse, et ce sont les Catalans qui ont mis sa couleur en valeur pour la première fois. C’était du rubis à moindre coût. Ils venaient ainsi s’approvisionner ici en améthystes, qui atterrissaient ensuite chez les lapidaires et les bijoutiers de Barcelone pour l’ornementation des bagues. »
Filière courte et écologique

Mais il a fallu attendre le début du XXe siècle pour qu’une véritable activité minière et une industrie de joaillerie se développent en Auvergne grâce à Joseph Demarty, géologue et minéralogiste, qui crée la Société anonyme des pierres précieuses d’Auvergne et fonde la Taillerie de Royat, le plus grand atelier d’améthyste de France. « Il va développer un procédé de polissage au sein de son atelier qui va lancer une véritable industrie de la joaillerie. Les améthystes d’Auvergne sont d’ores et déjà apprêtées sur place en ornement de divers objets tels des manchons de parapluie, des porte-plume, des cendriers... les plus beaux cristaux exempts de défauts étaient taillés en facettes et sertis sur des bagues ou montés en colliers », explique Éliette Ballot-Fleury, l’arrière-petite-fille d’Honoré Fleury, un grand bijoutier qui a racheté la Taillerie de Royat en 1943. Une douzaine de gisements alimentaient la taillerie qui devient une véritable institution et acquiert une renommée dans toute la France ainsi qu’à l’étranger. « Cette activité s’estompe avec l’arrivée en grande quantité des améthystes du Brésil dans les années 1970. L’améthyste perdra son critère de rareté et deviendra une pierre semi-précieuse ou une pierre fine. La taillerie fermera ses portes en 2004 », continue Éliette qui a appris toutes les étapes de fabrication, de la taille des pierres jusqu’au sertissage et au montage en collier au sein de l’établissement familial. Aujourd’hui, derrière les vitrines de sa bijouterie Aux Pierres fines, située dans la ville thermale de Royat, on peut encore admirer des pièces uniques comme le collier Napoléon III, réalisé au début du XXe siècle. En fière descendante d’une grande dynastie de bijoutiers, Éliette poursuit la tradition familiale dans son atelier situé au dessus de sa boutique et perpétue le savoir-faire de ces aïeux en créant des bijoux d’exception avec les améthystes d’Auvergne. « Tous les maillons de la chaîne de l’industrie de joaillerie, de l’exploitation à la vente, se déroulaient sur place et nous continuons cette même démarche. Il est prouvé aujourd’hui que lorsque nous vivons d’une ressource qui est géographiquement proche de nous, nous l’exploitons raisonnablement. Nous ne voulons pas compromettre tout notre écosystème et nos outils de travail », explique la jeune femme.
Les mines de Poux

Filière courte et souci écologique animent également Nicolas Léger et Mathieu Moulin, deux quadragénaires auvergnats. En créant leur start-up la Compagnie des minéraux d’Auvergne, en mars 2018, ils relèvent le défi de relancer l’extraction et la transformation de l’améthyste sur le territoire français. Depuis leur création d’entreprise, ils exploitent les mines de Poux sur les anciens filons découverts il y a un siècle. « Contrairement à ce qui se faisait sur les exploitations il y a un siècle, nous prévoyons d’utiliser 100 % des améthystes extraites. On est sur du zéro déchet. Avant, il y avait 80 % de rebut. Les pierres de moindre qualité seront utilisées en gravillons et en aménagement paysager, pour des allées ou des sols... En acceptant d’exploiter moins mais mieux, on renoue avec notre philosophie de préserver l’environnement. C’est cohérent », explique Mathieu Moulin. Outre cette carrière, les deux associés prévoient, tout comme un certain Joseph Demarty il y a un siècle, d’ouvrir un atelier de transformation avec des procédés de taille et de polissage plus modernes et de maîtriser toutes les étapes de l’exploitation de la pierre violette sur place. « Joseph Demarty a créé la première filière d’améthyste d’Auvergne. Cent ans après, nous marchons sur ses pas pour relancer cette activité locale avec un savoir-faire unique », ajoute fièrement l’entrepreneur.
Que visiter ?
La maison de l’Améthyste
Château de Montfort, chemin de Montfort, 63580 Le Vernet-Chaméane. 0473713132. amethyste-geosite-auvergne.com Fondée au cœur du plus grand gisement européen de l’améthyste par le géologue et volcanologue Pierre Lavina, cette Maison propose des sorties « Découverte des filons », des ateliers sur la géologie, ainsi que des stages d’apprentissage des gestes et des outils du lapidaire (polisseuse, facetteuse, cabochonneuse, scie à gemme, etc.). Tarifs: 9 € la visite commentée du musée, 11 € la balade Découverte des filons, 150 € le stage d’une demi-journée.
