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On a testé pour vous : le cap de la Hague en van

La Hague se découvre en van avec ci-contre le port Racine, à 2 km d'Omonville-la-Petite . La Hague se découvre en van. Ci-contre, le port Racine à 2 km d'Omonville-la-Petite . - © Jérôme Houyvet / Détours en France

Publié le par Dominique Roger et Stéphanie Grésille

Entre sauvagerie des éléments naturels et poésie des décors, le cap de la Hague est un petit paysà lui tout seul. C’est à bord du van de Magalie et Rémi que nous avons vagabondé au gré de ses chemins au charme hypnotique...

Une cinquantaine de kilomètres comme un long ruban d’asphalte sous le signe du plaisir. Cette route entre Cherbourg et la Hague, Rémi et Magali la parcourent, encore et encore, jamais lassés d'arpenter ses multiples recoins. En ce début de matinée, le van quitte Cherboug en suivant la départementale 45, en direction des hauteurs de Landemer. La vue époustouflante sur le Castel-Vendon fait référence au Rocher du Castel (1844), chef-d’œuvre de Jean-François Millet exposé au musée Thomas-Henry de Cherbourg-en-Cotentin. Ici, c’est aussi l’enfance heureuse de Boris Vian qui ressurgit, là même où il situait ses souvenirs d’été : « Les vacances, c’était unique. La vraie Normadie, celle du haut, le Cotentin. Landemer, ça s’appelait. Dixsept habitants. On avait des petites baraques là-bas. [...] Un chouette merveilleux pays ! »

Pointe de bleu

En chemin, nous traverserons la baie de Quervière (ci-contre), anse paradisiaque couverte d’ajoncs et de bruyères, ou encore la mare de Vauville (ci-dessus) et son cordon dunaire sanctuarisé à proximité de Biville.
En chemin, nous traverserons la baie de Quervière, anse paradisiaque couverte d’ajoncs et de bruyères. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Sur ces sites naturels classés, les paysages de la baie de Quervière distinguent une côte sauvage, dessinée par la mer et les vents, couvertes de fougères, de genêts, d’ajoncs et de bruyères, des petits champs verdoyants délimités par des haies basses, des prunelliers, des hêtres et des frênes. En contrebas ou au loin, le bleu de la mer a de quoi inspirer les marchands de couleurs.

Plein bleu sur la baie de Quervière
Plein bleu sur la baie de Quervière. © jérome Houyvet / Détours en Franceboam

Sur la route, Magali et Rémi confient avoir un « petit rituel », faire étape à Gréville-Hague, dans le village natal de Jean-François Millet. Il y vit le jour le 4 octobre 1814 au hameau de Gruchy, maison typique de la Hague devenue musée. Parti vivre à Barbizon en 1849, il ne reviendra qu’en de rares occasions dans son village natal, mais ses toiles témoignent de l’empreinte laissée par la vie à la ferme et les travaux des champs. Néanmoins, pour cette balade, c’est un attrait plus gourmand qui intéresse nos voyageurs : aller saluer Stéphanie et Sébastien, les boulangers et pâtissiers à l’enseigne du Grévillais. Ce gâteau traditionnel à la pâte feuilletée et fourré à la pomme caramélisée a failli disparaître sans l’intervention de ce couple d’artisans passionné, qui le décline désormais à la poire, aux abricots et à la pistache, et même aux fruits rouges.

Du homard à la carte

Après Gréville, direction le manoir du Tourp, ancienne ferme seigneuriale située à Omonville- la-Rogue.
Après Gréville, direction le manoir du Tourp, ancienne ferme seigneuriale située à Omonville- la-Rogue. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Les papilles encore frétillantes, le véhicule s’engage au fil d’une magnifique route étroite jusqu’au manoir du Tourp. La bâtisse du XVIe siècle a été totalement restaurée et aménagée en un lieu de référence pour la découverte du patrimoine local. Tourp vient du scandinave « Thorp » désignant en Normandie les établissements ruraux situés hors des villages. Propriété du Conservatoire du littoral depuis 1994, l’ancienne ferme seigneuriale se compose d’une cour fermée avec sa tour carrée, d’un pigeonnier, d’une boulangerie et d’une chapelle. L’ensemble est géré par la commune de La Hague, candidate au label « Géoparc mondial Unesco » en 2024. Cette appellation distingue les territoires géologiques d’exception et les travaux de valorisation des patrimoines (paysager, naturel, bâti, archéologique, associé à des légendes, à des savoir-faire...).

Le manoir du Tourp dans la Hague est un établissement culturel qui propose des expositions permanentes et temporaires liées au territoire.Exposition en plein air de photos en noir et blanc dans un parc.
Expositions permanentes et temporaires liées au territoire sont proposées par le manoir du Tourp. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Après cette pause cultuérelle, nous nous dirigeons vers Omonville-la-Rogue et son port du Hâble, écrin discret prisé des pêcheurs de homard bleu, une activité soumise à des autorisations et une réglementation drastiques. À l’évocation de ce crustacé à la chair fine et goûteuse (la pêcherie est certifiée « pêche durable MSC ») arrive la sensation d’une petite faim, et l’anse Saint-Martin − située sur les communes de Digulleville, Omonville-la-Petite et Saint-Germain-des-Vaux, à l’ouest de la pointe de Jardeheu − apparaît comme le spot idéal pour une pause déjeuner au grand air.

Il est midi passé, les estomacs se creusent... Qu’à cela ne tienne, la pointe de Jardeheu, à Digulleville, où se dresse un sémaphore du xixe transformé en gîtes, est l’endroit rêvé car protégé des vents pour un pique-nique improvisé au soleil.
Il est midi passé, les estomacs se creusent... Qu’à cela ne tienne, la pointe de Jardeheu, à Digulleville, où se dresse un sémaphore du XIXe transformé en gîtes, est l’endroit rêvé car protégé des vents pour un pique-nique improvisé au soleil. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Et comme on en pince pour le homard, c’est chez Guy et Valérie Mauger que nous allons faire nos courses, leur « échoppe vivier » est juste en face de la digue. Lui est marin pêcheur, elle, son épouse, vend homards, araignées, Saint-Jacques... Une belle poignée de bouquets à la carapace rose-oranger, du beurre cru de baratte salé et une miche de pain au levain encore tiède et notre pique-nique a le goût du bonheur...

La poésie qui émane du paysage et de cet instant nous rappelle la présence de Jacques Prévert.

En 1970, son ami Alexandre Trauner, alors décorateur de cinéma, lui fait découvrir le coin. Le poète décide d’y poser définitivement ses bagages, dans une maison authentique du coin. Ouverte à la visite, celle-ci évoque, avec son jardin hommage, les dernières années contemplatives de Prévert. Il est enterré au cimetière attenant à l’église d’Omonville-la-Petite auprès de sa seconde épouse Janine. Nul doute que l’auteur de Paroles, Fatras ou L’Opéra de la lune aimait flâner et rêver sur les quais du minuscule port Racine. Avec ses 800 mètres carrés de superficie totale, il peut légitimement revendiquer le statut de plus petit port de mouillage de France. Il doit son nom au corsaire François-Médard Racine, mort en juin 1817, à bord de la Petite Catherine, en route pour Guernesey qu’il ne verra jamais. Magali et Rémi arrêtent le van face à la mer. Ils passeront la nuit ici ; nous, nous poussons les portes de l’hôtel de l’Erguillère avec terrasse au bord de l’océan. Il y a des bouts du monde qui se méritent !

Une nouvelle journée commence. Le van reprend son bonhomme de chemin via la D901. Seulement sept kilomètres, et c’est un autre petit port insolite qui se dresse devant nous : Goury, à Auderville. Depuis le sentier, ses jetées et ses balises apparaissent derrière un rideau d’arbustes cintrés par les vents d’ouest dominants : on imagine quelles tempêtes peuvent souffler ici en hiver ! Mais le plus étonnant est l’abri du bateau de la Société nationale de sauvetage en mer, de forme octogonale et doté de deux cales de mise à l’eau. Il est ainsi possible de lancer le « canot tous temps » dans les conditions les plus sûres, en fonction de l’état de la marée et celui de la mer.

Vers le phare

Le phare de Goury inspira l'écriture d'un poème de Jacques Prévert.
Le phare de Goury inspira Jacques Prévert pour écrire le&nbsp;poème <em>Le Gardien du phare aime trop les oiseaux.</em> © Jérôme Houyvet / Détours en France

En se laissant happer par la contemplation de la tour du grand phare de la Hague ou de Goury (46 mètres de haut), Prévert fut inspiré pour l’écriture du poème Le Gardien du phare aime trop les oiseaux. Autour du bâtiment érigé en pleine mer entre 1834 et 1837, la Manche est rarement tranquille. D’un côté, il veille sur l’entrée nord du bien nommé passage de la Déroute et, de l’autre, il est une des balises du terrible raz Blanchard. Tel est le nom du passage maritime qu’empruntent les bateaux faisant route au plus court entre le nord du Cotentin et les îles Anglo-Normandes, ce qui les fait donc passer entre le cap de la Hague et l’île d’Aurigny. Par beau temps, on distingue sur l’horizon cette île que les Anglais appellent Alderney. Dans le raz, les courants de marée peuvent atteindre la vitesse de 10 à 12 nœuds (une vingtaine de kilomètres par heure). Aussi, lorsque le vent souffle à l’encontre de ce torrent marin, la mer devient folle comme un chat qu’on caresse à rebrousse-poil. Elle se hérisse de vagues déferlantes, offrant le spectacle d’une mer blanche d’écume. Là réside l’origine du nom donné à ce passage redoutable et redouté que l’on soit plaisancier ou capitaine d’un des innombrables porte-conteneurs sillonnant cette « autoroute maritime ». Le faisceau de la lanterne du phare porte jusqu’à 9 milles nautiques (environ 35 km).

Le road trip se poursuit le long du littoral, sur la D401, vers le nez de Voidries et le fameux nez de Jobourg. Mais bien avant, la baie d’Écalgrain est une tentante invite à descendre sur cette longue grève qui tire son nom des moulins juchés jadis face aux éléments. Si un tel paysage est unique, on pousse souvent la hardiesseà comparer la baie à celle de Slea Head, dans la péninsule de Dingle en Irlande. La lande et quelques pâtures à moutons, quadrillés de murets de pierre sèche, achèvent d’insuffler à Écalgrain cette « touch of Eire » ! La roche défie le flot souvent furieux depuis plus de 2 milliards d’années et les falaises qui hérissent le trait de côte culminent à presque 130 mètres de hauteur.

Après une bifurcation par la D401, nous parcourons la baie d’Écalgrain, lande sauvage à flanc de falaise qui rappelle les beautés d’Irlande.
Après une bifurcation par la D401, nous parcourons la baie d’Écalgrain, lande sauvage à flanc de falaise qui rappelle les beautés d’Irlande. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Paysage dunaire

Voici donc Jobourg et son panorama grand angle : pointe du Bec-de-l’Âne, les anses de la Pivette et de Sennival. Ici, par vent de nord et ciel bleu, les eaux sont turquoise quand on les admire de loin, pour devenir cristallines dès qu’on les approche. Surtout, la falaise escarpée donne la sensation exaltante, tantôt de marcher en montagne, tantôt de déambuler entre ciel et mer. Au pied de la falaise, la marée basse donne accès à des grottes. La seule façon de les découvrir est de s’inscrire à une des randonnées − sportives, cela va sans dire − organisées par l’association À la découverte de la Hague. Assuré par une corde tenue par un guide, comme en montagne donc, on descendra jusqu’à l’immense Grande Église ; on se glissera dans le Trou aux Fées qui traverse la falaise ; on s’enfoncera loin sous la falaise dans la grotte du Lion qui, dit-on, servit de dépôt à des contrebandiers. Toute une aventure à laquelle il faut prévoir cinq heures de crapahutage !

À l’approche de Biville, incroyable paysage dunaire une quinzaine de kilomètres au sud de Jobourg par la D202 et la D318, l’itinérance en van touche à sa fin. Cet inattendu « désert » est formé d’une mosaïque de creux et de bosses de sable. Tout simplement lunaire ! Avec, dans son prolongement, l’anse de Vauville : presque 10 kilomètres de plage au pied d’un cordon de sable qui retient un vaste étang côtier, la mare de Vauville. Au nord de la baie, au lieu-dit La Rue, on retrouve de nouveau la falaise. Enfin, le vaste bâtiment veillant sur l’anse est le prieuré de Vauville, un ancien établissement (XIIe-XVe siècles) de moines de l’ordre des bénédictins.

Ci-contre, la mare de Vauville et son cordon dunaire sanctuarisé à proximité de Biville.
Ci-contre, la mare de Vauville et son cordon dunaire sanctuarisé à proximité de Biville. © Jérôme Houyvet / Détours en Franceme

Notre voyage s’achève, aussi agréable et fortifiant soit-il. C’est au pied des Pierres pouquelées, site mégalithique du type dolmen ouvrant sur la petite baie du Houguet, que nous quittons définitivement Magali et Rémi. Après une séance de planche à voile pour l’un et une chevauchée le long de l’estran pour l’autre, ce sera « on the road again »...

Sources

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