Pablo nous a donné rendez-vous dans un parking souterrain devant l’office de tourisme. Drôle d’endroit pour une rencontre ? Un choix, au contraire, très judicieux. Là, des panneaux figurant des représentations anciennes évoquent l’évolution de la ville. Au XIIe siècle, elle n’était encore qu’un monastère, devenu Donostia.

Donostia et son dédale de ruelles

Au XVIe siècle, San Sebastián était encore circonscrite à un îlot relié à la terre ferme par une langue de sable recouverte à marée haute, un peu comme le Mont-Saint-Michel. Le site sera comblé en 1854. « Ce qu’on appelle la Vieille Ville ne l’est pas tant que ça, explique Pablo. En 1813, occupée par les troupes napoléoniennes, elle a été incendiée et pillée par les Anglais et les Portugais. Il n’est resté que 35 maisons debout ! » C’est donc une ville nouvelle qui se bâtit au pied du mont Urgull, encouragée par la mode naissante des bains de mer. Comme Biarritz, elle doit tout à l’amour d’une femme. La reine Marie-Christine, veuve d’Alphonse XII, y emporte la cour dès 1882. Avant de nous enfoncer dans le dédale de la Vieille Ville, Pablo nous entraîne au bord de l’Urumea, fleuve qui naît en Navarre pour se jeter dans la mer Cantabrique. « Son eau n’est pas polluée et il n’est pas rare de voir des petits phoques à l’embouchure. »

On peut aussi longer ses rives aménagées à vélo jusqu’à Astigarraga (7 kilomètres), village célèbre pour ses cidreries. Sur l’autre rive s’étend la ville moderne, dominée par la silhouette futuriste du Kursaal, palais des congrès devenu le siège du Festival international du film de San Sebastián. Tout autour, le quartier du Gros, le plus récent, est également célèbre pour la plage de Zurriola, paradis des surfeurs.

Retour à la Vieille Ville par la place Sarriegi : le duo formé par le buste du compositeur du même nom et la statue d’un soldat joueur de tambour évoque la tamborrada, fête qui commémore le 20 janvier l’occupation napoléonienne. Au coin de la calle Narrika, on trouve la Casa Ponsol, plus ancienne chapellerie d’Espagne, où il n’est pas rare de croiser Bruce Springsteen en quête de ses célèbres casquettes.
Une arène détonante
Narrika coupe Fermin Calbeton, la rue qui concentre le plus de bars à pintxos : « Ici, on l’appelle “Pintxoland” », s’en amuse Pablo. Autant dire que les touristes y sont légion.

Au bout de Narrika, voici la célébrissime place de la Constitution, reconnaissable entre mille. Rectangulaire, elle présente trois côtés strictement identiques – le quatrième étant occupé par la mairie – parcourus par des rangées de balcon qui en font tout le tour.

Au-dessus des portes-fenêtres se trouvent des numéros intrigants que notre guide se hâte d’expliquer : « La place a été utilisée comme arène de toros, lieu d’exécution ou de spectacles. Les numéros correspondaient à des balcons à louer. » Aujourd’hui, chaque appartement compte quatre numéros. Deux croisements plus loin, l’église San Vincente, de style gothique tardif, est la plus ancienne de San SebastiánTransformée en hôpital, elle échappa aux pillages de 1813 et, malgré une apparence modeste, elle cache de nombreux trésors, parmi lesquels un magnifique retable du XVIe siècle.
En face de l’église, la rue 31-de-Agosto, date de la prise de la ville par les Anglais en 1813, est aussi la seule qui n’ait pas été détruite. C’est ici que se sont réunis les survivants du quartier, qui décidèrent de le reconstruire au même endroit. La statue d’une femme posée en pleine rue, avec un panier de briques sur la tête, rappelle le courage et l’implication des habitantes dans cet épisode malheureux. Chaque année, San Sebastián célèbre l’événement et la résilience des Donostiarras par des défilés et des fanfares. C’est aussi dans cette rue, derrière une porte en bois anonyme que siège Kañoyetan, la plus ancienne société gastronomique locale. Nous dressons l’oreille. « Autrefois, la rue était celle des cidreries. Les habitués buvaient dehors, faisaient du bruit, ce qui a motivé leur fermeture. Du coup, les hommes se sont retrouvés à l’intérieur des maisons et ont pris l’habitude de cuisiner entre eux. Ces sociétés existent depuis le XIXe siècle et on en compte 180. » Et les hommes sont toujours aux fourneaux ? « Oui, cuisiner est interdit aux femmes. Mais elles peuvent être invitées pour le repas. »
Un port pittoresque à voir

La rue 31-de-Augusto s’achève avec la basilique Sainte-Marie-du-Chœur, adossée au mont Urgull. Le baroque du XVIIIe apparaît dans tout son éclat. L’édifice présente un porche rococo, un saint Sébastien lardé de flèches, ce que Pablo appelle le style « churrigueresque », référence aux Churriguera, famille de sculpteurs et architectes baroques extravagants. À l’intérieur, le retable est consacré à la Vierge del Coro, patronne de la ville avec saint Sébastien, dont une statue a été rapportée du Venezuela. À côté des fonts baptismaux, une croix d’Eduardo Chillida, le grand sculpteur basque. En ressortant, Pablo nous dit de regarder droit en face : « Là-bas, à un kilomètre, dans le quartier du Centre, la cathédrale du Bon-Pasteur. Elle a été construite au XIXe pour les riches qui ne voulaient pas s'encanailler dans la Vieille Ville... » À force d’emprunter le quadrilatère de rues qui se ressemblent, on ne sait plus où est l’océan... Mais les maisons s’écartent enfin laissant place au port et à ses fragrances iodées. Protégés par le mont Urgull, les bateaux de pêche somnolent, la criée est fermée et l’habitat plus populaire. Les façades carrelées et les petits restaurants dessinent un décor charmant. Le monument à Mari, pêcheur qui voua sa vie à sauver les naufragés et disparut lui-même lors d’un sauvetage, rappelle que la mer prend toujours son dû. Au bout du quai, le Musée maritime et l’aquarium prolongent la découverte de la ville. On peut grimper sur le mont Urgull pour sa forteresse du XVIe siècle et le bar de plein air, un brin caché, avec une vue exceptionnelle sur la Concha, le quartier du centre, le mont Igueldo et son parc d’attractions de 1926, l’île de Santa Clara et le phare, accessible en bateau l'été... il reste tant à faire !


