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Cette place forte est unique au monde

Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008, la ville fortifiée de Neuf-Brisach est un chef-d’œuvre de l’architecture militaire de la fin du xviie siècle située dans le Haut-Rhin, à quelques kilomètres de la frontière allemande. Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008, la ville fortifiée de Neuf-Brisach est un chef-d’œuvre de l’architecture militaire de la fin du XVIIe siècle. - © Bertrand Rieger / Détours en France

Publié le par Florence Donnarel

Chargé par Louis XIV de protéger la nouvelle frontière du royaume de France délimitée par le Rhin en 1697, le célèbre architecte-ingénieur va bâtir en Alsace la place forte la plus aboutie de sa carrière. Ce sera Neuf-Brisach, son seul ouvrage à fortification redoublée encore visible et situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Colmar. Visite guidée.

La porte de Colmar, au nord-ouest de la ville. 244 - Décembre 2022 / Janvier 2023 Bâtie en 1700 selon les plans de Jules Hardouin- Mansart, elle présente sur sa façade extérieure deux pilastres doriques encadrant l’arc d’entrée. Détruite en 1945, elle fut reconstruite en 1959.
Bâtie en 1700 selon les plans de Jules Hardouin- Mansart, la porte de Colmar présente sur sa façade extérieure deux pilastres doriques encadrant l’arc d’entrée. Détruite en 1945, elle fut reconstruite en 1959. © Bertrand Rieger / Détours en France

Un pont franchit le fossé couvert d’une pelouse vert ardent et pénètre dans la ville par la porte de Colmar, en brique et en pierre de taille. De part et d’autre de l’entrée, un mur d’enceinte en grès rose entraîne le regard au loin. C’est toutefois vu du ciel, sur les affiches placardées aux murs des commerces ou sur les panneaux disséminés dans la ville que Neuf-Brisach donne toute la mesure de sa singularité. Une étoile quasi parfaite dont la double couronne extérieure garnie de végétation contraste avec le centre intra-muros au plan en damier. À l’origine de cette place forte bâtie en un temps record par Vauban entre 1698 et 1702, il y a... Vieux- Brisach, ou Breisach am Rhein,une ville fortifiée selon ses plans, quelques kilomètres plus à l’estde l’autre côté du Rhin. À partir de 1664, Louis XIV fait renforcer par Vauban le système défensif de cette ville stratégique située sur la rive droite du fleuve alors dans le giron du royaume de France. Sur une île du Rhin, il fait élever la ville neuve de Breisach tandis que le fort Mortier, sur la rive gauche du fleuve, vient compléter le dispositif. Mais, en 1697, la donne change quand le traité de Ryswick met fin au conflit de neuf ans entre Louis XIVet la ligue d’Augsbourg, alliance de pays européens dressés contre le souverain expansionniste. La frontière du royaume de France est désormais fixée par le Rhin : Louis XIV perd Breisach et doit raser la ville neuve. Surtout, la construction d’un nouveau système défensif, rive gauche, s’impose. Là, sur un terrain vierge, Vauban va pouvoir faire la synthèse de toutes ses connaissances et bâtir ex nihilo la place forte la plus aboutie de sa carrière.

Courtine brisée, tenaille et demi-lune

La porte de Belfort, dite aussi « de Mulhouse », vue depuis sa façade extérieure au sud-ouest de la ville.
La porte de Belfort, dite aussi « de Mulhouse », vue depuis sa façade extérieure au sud-ouest de la ville. © Bertrand Rieger / Détours en France

Nous sommes en 1698 et Louis XIV vient de choisir, parmi les trois projets proposés par son commissaire général des fortifications, le plus ambitieux et le plus coûteux. « De tous les diamants de la couronne de France, le plus beau est la forteresse duRhin », affirmait-il à propos de Neuf- Brisach. C’est porte de Belfort, au sud de la ville, que se décrypte le mieux l’ingéniosité de l’ouvrage imaginé par Vauban. Côté extérieur, ouvrant sur le fossé, la porte perce le rempart sous la forme d’un grand pavillon en grès rose orné par Jules Hardouin-Mansart, qui s’est illustré à Versailles. Nous cheminons dans le fossé et longeons l’enceinte reliant les tours bastionnées dela forteresse. Ce rempart nommé« courtine » n’est pas linéaireet comporte un décrochement.« La courtine brisée, ou bastionnée, est un élément nouveau et unique », détaille Jean-Marie Balliet, historien des fortifications, membre du conseil scientifique de l’Association Vauban. « Ce qui caractérise l’œuvre de Vauban dans toute sa carrière, c’est sa faculté à s’adapter au terrain,à la géographie, à l’environnement humain. À Neuf-Brisach, il associe avec intelligence innovations architecturales et considérations économiques, sans diminuer l’efficacité militaire. La courtine brisée en est une illustration : elle permet d’envisager des murs plus longs et donc de construire moins de tours bastionnées au coût onéreux. » Des œuvres d’art monumentales ont investi le fossé à la faveur d’un festival de land art. Une péniche en métal, signée Helmut Lutz, semble s’être échouée dans la fosse qui n’a jamais été en eau, selon la volonté de Vauban. « Le système de fortification redoublée est une des particularités de Neuf-Brisach, poursuit notre guide. L’enceinte intérieure, dite “de sûreté”, est la plus proche de la villeet comporte huit tours bastionnées. Elle est séparée par un fossé d’une autre enceinte, dite “de combat”, où des ouvrages viennent protéger les points stratégiques. Ainsi, les tours sont masquées et défendues par des contre-gardes équipées d’une artillerie lourde, tandis que les portes, points vulnérables, sont protégées par une succession d’ouvrages : tenaille, réduit et demi-lune. Quand il n’y a pas de porte, on privilégie l’économie et seule une tenaille protège la courtine. » Ce sont les demi-lunes en V qui, vu du ciel, esquissent les pointes de l’étoile de pierre qu’est Neuf-Brisach. La seconde enceinte, bordée par un fossé, s’achève par une muraille autrefois coiffée d’un chemin couvert ouvrant sur un terrain laissé à l’état sauvage où l’on pouvait voir arriver l’ennemi. Des chênes piquent désormais cette prairie cernant d’un vert profond l’ouvrage à couronne.

Un plan en damier

L’église Saint-Louis, devant la place d’Armes. Érigée en 1736 par l’architecte François Chevalier, elle fut dédiée à saint Louis en 1777. De style purement classique, elle fut reproduite à l’identique après sa destruction par les bombardements alliés en 1945.
L’église Saint-Louis, devant la place d’Armes. © Bertrand Rieger / Détours en France

Pendant quatre ans, entre 1698 et 1702, 1 500 à 2000 hommes participent à la construction dece qui est aussi une ville neuve, organisée selon un plan en damier de 48 îlots centrés autour d’une place d’armes et faisant office de coupe-feu. Neuf-Brisach doit pouvoir accueillir près de 3 500 habitants et leur offrir une vie agréable avec une place de marché et une église, dont le haut clocher servi de tour de guet. Des privilèges sont accordés par Louis XIV pour favoriser leur arrivée. « Mais la ville pensée par le commissaire général des fortifications comporte une faille : son architecture hydraulique. Le drainage des fossés qui récupérait les eaux usées est insuffisant. Au moment dela construction, Vauban crée un canal pour acheminer les pierres extraites de carrières dans les Vosges. Il lui prévoit aussi deux autres usages : l’approvisionnement de la ville en eau et le nettoyage des fossés par apport d’eau. Mais le degré de la pente dans les fossés est trop faible, l’eau stagne et le dispositif ne fonctionne pas. Une situation sanitaire désastreuse se développe, accentuée par l’utilisation des fossés pour les cultures. Les épidémies sont nombreuses, on parle d’air malsain. La population bourgeoise visée par Vauban ne viendra pas s’installer à Neuf-Brisach. Ce n’est que dans les années 1760, que des travaux seront entrepris pour assainir les fossés », explique Jean-Marie Balliet.

Des remparts inébranlables

Quatre casernes sont implantées le long des remparts. Nous longeons l’enceinte côté intérieur, attentifs aux détails. Contre la courtine nord, la caserne Suzzoni a été conservée. Même en partie abandonnée, sa rythmique avec des encadrements de portes et fenêtres en grès rose garde un certain prestige. Le long bâtiment, agrandi par les Allemands après 1870, semble murmurer des histoires de garnison. Sur la place d’armes, des témoignages du XVIIIe siècle subsistent, comme la porte sculptée de la Maison des lieutenants du roi indiquant la date de 1710, ou la Maison des officiers, au fronton orné de deux lettres « R » entrelacées à la gloire du roi. En dehors d’un « investissement de la place » en 1814-1815, le modèle de fortification de Vauban n’aura à souffrir qu’un seul siège, en 1870. Lors de ce premier épisode de destruction de Neuf-Brisach, la structure défensive, améliorée après 1830, reste intacte. En 1945, les attaques américaines visent le centre-ville. Les remparts résistent. Les tours bastionnées, imaginées trois siècles auparavant, constitueront alors le seul abri contre les bombardements.

Le musée Vauban

Ouvert en 1957, le musée Vauban retrace trois siècles d’histoire de Neuf-Brisach. Il expose notamment les plans du canal, des fortifications, de l’arsenal et des casernes, ainsi que des documents et des photographies relatifs au siège de 1870 et à la guerre de 39-45.
Ouvert en 1957, le musée Vauban retrace trois siècles d’histoire de Neuf-Brisach. Il expose notamment les plans du canal, des fortifications, de l’arsenal et des casernes, ainsi que des documents et des photographies relatifs au siège de 1870 et à la guerre de 39-45. © Bertrand Rieger / Détours en France
Hébergé dans une ancienne casemate de la citadelle, le musée d’Art urbain et de Street art (Mausa) présente sur près de 1200 m2 des œuvres urbaines contemporaines, parmi lesquelles les installations de Levalet (ci-contre) ou les peintures murales de Charles Uzzell-Edwards, alias Pure Evil (ci-dessus).
Le musée d’Art urbain et de Street art (Mausa) présente sur près de 1200 m2 des œuvres urbaines contemporaines, parmi lesquelles les peintures murales de Charles Uzzell-Edwards, alias Pure Evil (ci-dessus) ou les installations de Levalet (ci-dessous). © Bertrand Rieger / Détours en France
Les installations de Levalet, hébergées dans le musée d'Art urbain et de Street art (Mausa).
Les installations de Levalet, hébergées dans le musée d'Art urbain et de Street art (Mausa). © Bertrand Rieger / Détours en France
Sources

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