Jour de marché en ce samedi de septembre. Chef de cuisine du Petit Bistrot et du Bistrot, deux restaurants très estimables de Sarlat, Jean-Michel Bouriane nous a donné rendez-vous devant le second, face à la cathédrale, au petit matin. C'est l'heure flottante où les marchants achèvent de préparer leurs étals, tuant le temps avant l’arrivée des premiers clients autour de quelques blagues. Jean-Michel leur offre le café, discute avec les uns et les autres. Il les connaît tous. « Au marché, je ne croise pas des fournisseurs mais des partenaires. Je fréquente ces gens depuis tellement longtemps », confirme-t-il.
Les fraises de Laurence Bordes

Parmi ceux-là, il y a Brigitte et Noël Gil, des crémiers. Trente ans que Brigitte vient depuis Souillac vendre à Sarlat son rocamadour AOP, dans une camionnette installée face au Bistrot. Le chef en achète et prend aussi « du cantal doux, du saint-nectaire et de la Trappe d’Échourgnac », un fromage local. On remonte ensemble la rue de la Liberté, en direction de la mairie. Voici l’étal de Laurence Bordes, productrice de fraises et de noix à Nabirat, près de Sarlat, avec son mari. Troisième génération.
On récolte la fraise de mars à novembre. Et nous sommes les seuls à produire la variété arabella. Laurence Bordes, productrice de fraises et de noix.
Jean-Michel acquiesce et s’en fait livrer pour le week-end. Par un crochet rue Fénelon, nous allons voir Jean-Pierre Fromentière, à la Brûlerie Sarladaise. Le meilleur torréfacteur de café à Sarlat, selon le chef. Bientôt quarante ans qu’il officie dans sa petite boutique, enveloppée d’odeurs grillées. Ses arabicas du Costa Rica, d’Inde ou d’ailleurs viennent clore avec bonheur un repas au Bistrot ou au Petit Bistrot.

Le rituel de l’apéro chez Pélégris !

L’arrivée devant la mairie est un piège. Il existe un rituel pour les figures du terroir de la région : l’apéro – plusieurs apéros... – à la boutique Pélégris, l’as du foie gras. « C’est ici que je les achète, comme les magrets, les confits et les aiguillettes », indique le chef, qui « passe » par saison, dans ses deux restaurants, 7 000 cuisses de canard et 500 kg de foie gras. Autant Jean-Michel Bouriane est discret, en vieux sage de la cuisine sarladaise qui maîtrise son sujet, autant David Pélégris est volubile.

Depuis l’âge de 18 ans qu’il travaille le foie gras dans l’entreprise familiale plus que centenaire, « le canard n’a plus de secret pour moi. Je les achète à deux producteurs, j’abats, je transforme, je conserve », dit le quinquagénaire. La qualité est son mantra, « même si je gagnerais mieux ma vie en faisant moins bien », concède-t-il. C’est le problème de Sarlat. La manne touristique que représente la venue chaque année de 2,5 millions de visiteurs attire les opportunistes. Restaurateurs peu scrupuleux, boutiques « gourmandes » factices, prix surfaits... Dépourvu de repères, le touriste lambda est sûr de se faire plumer. Un lieu est ainsi à éviter : la rue Albéric-Cahuet. Parallèle à la rue de la République, axe principal du centre-ville, les restaurants à touche-touche y écoulent à tour de bras magrets, confits et autres pièces de canard à l’origine parfois douteuse. « Un des problèmes de Sarlat, c’est que les commerçants sont gérants, pas propriétaires, constate David Pélégris, sous-entendant le haut niveau de volatilité des enseignes. J’observe une nouvelle génération qui cherche de bons produits et veut revenir à des circuits locaux. On a de jeunes chefs talentueux, comme à L’Entrepôte ou à La Coulœuvrine. »
Laurent Chambon, domaine de Vielcroze
Il a cette chaleur humaine qui réconforte et donne envie de prolonger la rencontre. Généreux, épris de son territoire, Laurent Chambon reçoit au Domaine de Vielcroze, son exploitation agricole de Castelnaud-la-Chapelle, à 15 minutes de Sarlat. Constituée de noyers, il en tire de l’huile, pressée dans son moulin, que l’on visite en même temps qu’un écomusée de la noix. Mais gare au timing si on l’entreprend sur la truffe ou la récolte de cèpes ! Intarissable, il est capable de livrer ses petits secrets. « Gamin, mon cerveau s’est habitué à penser champignons. On quadrille le bois, il faut rester sur sa ligne, dit-il, et enlever la géolocalisation de son portable pour ne pas donner le bon coin ! » Tellement généreux qu’il nous invite à rester à table, un banquet en plein air en compagnie de copains et de partenaires invités.
Un cuisinier formé à l’ancienne
Jean-Michel Bouriane est dans cette lignée. Hors épicerie, « je me fournis à 90 % localement, au marché ou chez les producteurs. Le bœuf, le veau et l’agneau proviennent d’un éleveur et boucher de Bergerac. Je commande la truffe auprès de particuliers. Il n’y a que pour les champignons, parfois, que je m’écarte un peu du territoire. » Ses valeurs et sa formation l’auraient de toute façon empêché de travailler autrement. Né à Sarlat d’une mère cuisinière dans une maison bourgeoise, et formé à l’ancienne dans des adresses prestigieuses – il est passé chez Bernard Loiseau et par de grandes cuisines à Paris et en Suisse –, il a le respect de la terre, des saisons et du travail bien fait. « Je regrette que des recettes historiques se perdent. En octobre, je continue par exemple de proposer la mique sarladaise : du pain rassis bouilli, de la farine, des œufs et de la graisse de canard. L’homme n’est pas du genre à porter le fer dans la plaie mais il sait dire les choses. On est un des métiers les moins régulés, c’est une difficulté. N’importe qui peut s’installer restaurateur », déplore le chef, invitant à vérifier si tel restaurant est ouvert à l’année, gage, souvent, de sérieux. Ces débats achevés, nous quittons Jean-Michel Bouriane et l’apéro chez Pélégris, et poursuivons au centre-ville, bardés d’autres bons tuyaux.

Place de la Liberté, nous entendons Éric Borderie, producteur de primeurs, s’exciter derrière ses cagettes de légumes. Un personnage foutraque mais authentique. Nous allons au marché couvert, installé sous la nef de l’ancienne église Sainte-Marie. L’édifice a été transformé en 2002 par Jean Nouvel, enfant du pays, qui y a installé deux portes monumentales en acier. Parmi les stands, arrêt à la Ferme Cluzel, de Baptiste Carlux, maraîcher, producteur de noix et vendeur de fruits locaux. Présent depuis plus de vingt ans, c’est une référence.

Comme en face, où l’on vend du pain et de véritables tourtières, gâteau régional à pâte feuilletée étirée avec du sucre et garni de pommes arrosées d’armagnac.

Des artisans médaillés

Le catalogue des bonnes adresses s’allonge. On s’arrête longuement au Comptoir authentique, le bien nommé. Et Chez Pierrô, rue de la République. Crémier-affineur venu du Nord, Pierre Besnier s’est fait une place au centre-ville de Sarlat. Il écoule les bons fromages de la région, du Sud-Ouest et des Pyrénées, à l’image des tomes de la Ferme d’Eyssals, à Montastruc, et de la Ferme en Paille, dans le Lot. On peut voir sa cave d’affinage et y manger, rue de la Salamandre. Comme son nom ne l’indique pas, la boutique À la Truffe du Périgord est aussi celle d’un artisan-conserveur plusieurs fois primé, champion du magret séché et fumé, des rillettes d’oie et de canard au foie gras. Saoulé de bons produits, on finira la balade au Gourmet périgourdin, rue Tourny. Cette épicerie fine représente deux maisons de qualité, les conserves et foies gras Lembert et la distillerie sarladaise La Salamandre, près de 50 médailles obtenues en quarante-cinq ans. Il faudra bien une eau-de-vie de prune vieillie en fût de chêne, ou de poire, ou une liqueur de châtaigne, ou un ratafia, pour digérer ce gastro-tour qui réconcilie avec la qualité sarladaise.
Laurie Pollet, Le Comptoir authentique

Cela fait sept ans que Laurie Pollet et Benoit Pruvost tiennent cette épicerie fine dans une petite rue de Sarlat. Deux nordistes spécialistes du terroir périgourdin, on pourrait s’étonner. « Nous venions en vacances ici et voulions ouvrir un magasin. Il n’y avait pas d’épicerie fine à Sarlat, alors nous nous sommes lancés », raconte Laurie. Lancés, oui, mais pas pour faire du commerce attrape-touristes. Dans la boutique, qui fait aussi cantine, sont vendus surtout des produits locaux, « des bières artisanales, des foies gras issus de petites structures, des objets de décoration... ». Parmi les coups de cœur, les tartinades pour apéritif de chez Lembert ou le gin de la distillerie de l’Ort, à Montignac. Ici, on trouve le meilleur, et toute l’année !