C’est le troisième week-end du mois de novembre, au moment où se déroulent les « Trois Glorieuses » avec la fameuse vente des vins de Bourgogne, qu’il est préférable de découvrir les Hospices civils de Beaune. D’abord, parce que c’est toute la cité beaunoise qui est en fête ; et parce que c’est le dimanche que se tient sous la halle la plus ancienne et la plus prestigieuse vente de charité des vins au monde. Et cela depuis que l’économe des Hospices, Joseph Pétasse, en 1859, institua l’événement. Face à une salle fébrile, le moment climax des ventes correspond à la « pièce de charité » (celle-ci équivaut au tonneau bourguignon, soit 228 litres ou 300 bouteilles), dite aussi « pièce des présidents ». Comme pour les voitures de collection, les toiles de maître ou la bijouterie haut de gamme, c’est un commissaire-priseur de la maison Sotheby’s Wine qui officie. Au-delà même du jour où certaines bouteilles seront ouvertes, ce lot de grand cru fait tourner les têtes des plus grands amateurs et collectionneurs de précieux flacons du monde entier.
Un vin hors de prix
En novembre dernier, lors de la 162e édition, un véritable état d’ivresse s’emparait de l’assistance lors de sept heures d’une bataille haletante qui pulvérisèrent tous les records avec 31 millions d’euros de recettes ! Un Corton grand cru, seule « pièce des présidents », dont les enchères se font à la bougie, a été adjugé à 810 000 euros. Une somme qui sera partagée entre deux associations caritatives. Le reste des bénéfices de la vente des vins revient aux Hospices civils pour la conservation du patrimoine et le fonctionnement des structures hospitalières (plus de 1 000 lits répartis entre hôpitaux et Ehpad).
« Dites 33 ! »
Plus de 17 millions d’entrées, des multidiffusions à la télévision, La Grande Vadrouille, film de Gérard Oury de 1966, a été très largement tourné en décor naturel, mettant en valeur nombre de lieux bourguignons. Au premier rang desquels se trouve l’hôtel-dieu de Beaune. Si l’on voit Louis de Funès et Bourvil arpenter la cour d’honneur, c’est la scène mythique se déroulant dans la grande salle des Pôvres qui reste gravée dans nos mémoires. Les soldats anglais se cachent parmi les patients. Arrive la mère supérieure. Au chevet de « Big Moustache », le diagnostic ne tarde pas à tomber, c’est le foie. « Dites 33 ! », ordonne-t-elle. Et lui de répondre : « Thirty-three, thirty-three, thirty-three... » À l’angle des rues du Tonnelier et du Château, une fresque évoque ce classique du cinéma français.
Charité bien ordonnée...
Au premier rang des pépites du patrimoine beaunois, il y a l’hôtel-dieu. Son fondateur est l’un des personnages les plus influents de l’État fondé par les ducs de Bourgogne, Nicolas Rolin (1376-1462), chancelier de Philippe le Bon. En 1443, son épouse Guigone de Salins l’incite à faire œuvre de charité en ordonnant la construction des Hospices de Beaune, une fondation laïque afin de secourir et soigner les malades, les indigents et les pèlerins. Cet hôtel- dieu, dont l’emplacement ne doit rien au hasard car à proximité de la collégiale Notre-Dame (XIIIe siècle) et du siège du parlement de Bourgogne, va revêtir le faste d’un véritable palais. En tant que grand chancelier du duc Philippe III de Bourgogne, Rolin effectue de fréquents séjours en Flandre, dont il apprécie l’architecture hospitalière (Notre-Dame de Seclin ; Hospice Comtesse, à Lille...)
Un « palais des Pôvres » quatre-étoiles
Maîtres d’œuvre et artisans locaux sont mobilisés à l’édification de ce qui sera considéré comme un joyau de l’architecture médiévale bourguignonne. Passé l’entrée signalée par sa haute flèche, protégée par un auvent décoré, le premier contact du visiteur est la cour d’honneur avec ses toits pentus recouverts de tuiles polychromes en terre cuite vernissée, dessinant des figures géométriques. Le style gothique flamboyant porte bien son nom. À noter que les toitures ont été refaites au tout début du XXe siècle par l’architecte-restaurateur Louis Sauvageot qui inventa ces entrelacs de tuiles, à défaut d’avoir pu retrouver des documents d’origine. Les deux ailes de chambres sont surmontées de lucarnes ornées de sculptures et de décors de plomb. À l’opposé de cette aile, tout de bois et terre cuite colorée, la façade du bâtiment ouvrant côté rue dont la sobriété de la pierre de taille et le toit d’ardoise de Trézalé sont un contraste architectural voulu.
Dame Guigone, la « Seulle » et unique

Le cœur de l’hôtel-dieu réside dans la grande salle des « Pôvres » et la chapelle attenante. Inaugurée en 1452, elle se déploie sur 50 mètres de long, 14 mètres de large et 16 mètres de hauteur ; y figure également une toile de très grande dimension, un « Christ aux liens » datant de la fin du XVe siècle. Si rien ne semble avoir changé depuis sa création – voûte en berceau brisé avec sa charpente en lambris de chêne, poutres polychromes « animées » de gueules de dragons multicolores crachant les poutres traversières (en architecture, cette structure se nomme les engoulants), têtes sculptées figurant des caricatures de bourgeois beaunois et vitraux frappés du monogramme Nicolas Rolin et Guigone de Salins et de la devise « Seulle » (signifiant que Guigone était la seule dame des pensées de Nicolas) –, signalons que le mobilier ne date, lui, que de 1875, lorsque l’architecte Maurice Ouradou, gendre d’Eugène Viollet-le-Duc, restaura la salle. Dans des alcôves encadrées de lourdes tentures rouges se trouvaient, jusqu’au XXe siècle, les lits couverts des malades. La grande salle des Pôvres intègre la chapelle où repose, sous une plaque de cuivre, Guigone de Salins.
Des saints au chevet des malades
Créée en 1645 par Hughes Bétault, écuyer et conseiller secrétaire du roi de France qui sauva l’hôtel-dieu de la ruine au XVIIe siècle à la suite des guerres, de la famine et des épidémies, la salle Saint-Hugues était affectée aux malades aisés. L’ensemble donne une impression d’opulence, avec un plafond représentant le Miracle de la piscine de Bethsaïda, des peintures murales signées Isaac Moillon, peintre du roi illustrant les miracles du Christ, et un retable sur l’autel mettant en scène les guérisons miraculeuses de saint Hugues. La petite salle Saint- Nicolas, dotée de seulement douze lits,étaitréservéeauxmaladiesles plus graves, comme vous l’apprend, in situ, l’exposition permanente sur l’histoire du lieu. À travers un pavage en verre, on peut voir couler l’eau de la Bouzaize. À l’époque, dans un souci hygiéniste, l’accès direct à la rivière permettait l’évacuation des déchets. Sans commentaire...
Une belle collection de pots et de faïences
Pour lutter contre les affections, il faut disposer d’une solide pharmacopée, mais aussi d’une nourriture saine. L’apothicairerie occupe deux petites salles où est exposée, côté officine, une collection de pots de faïence et de pots de verre (XVIIIe siècle) contenant encore pour certains des poudres, dites « spécifiques », aux noms qui font dresser les poils : « poudre de cloportes », « yeux d’écrevisses », « pierre divine »... Une toile peinte par Michel Coquelet-Souville, en 1751, met en scène le travail des apothicaires dans la pharmacie de Claude Morelot au XVIIIe siècle. Bien se soigner commence aussi par bien manger. Grand fourneau, cheminée gothique à deux foyers, tournebroche de 1698 actionné par « Messire Bertrand », sympathique petit automate... à juger de cet équipement, les patients de l’hôtel-dieu devaient être bien traités.
Polychromie jardinière
Marqueur de l’architecture de la Côte-d’Or, les tuiles en terre cuite vernissée dessinent des arabesques polychromes sur les toitures des monuments civils et religieux. C’est pour répondre à ce festival de couleurs que le concepteur paysagiste Stéphane Larcin et son équipe ont créé, au printemps 2022, dans la grande cour des Fondateurs, un jardin baptisé « Échos polychromes ». Avec ses végétaux aux mêmes couleurs que les tuiles, où les « simples » côtoient des plantes typiques des espaces verts contemporains et naturalistes, ce jardin, outre sa beauté reposante, participe à l’épanouissement de la biodiversité.
Une salle pour un chef-d’œuvre
Dans une salle qui lui est dédiée se trouve un trésor inestimable, le polyptyque du Jugementdernier, (vers 1443-1452), huile sur bois. Cette œuvre de commande de Nicolas Rolin se compose de neuf tableaux et est attribuée au peintre bruxellois Rogier de La Pasture, dit en flamand Rogier van der Weyden. Fermé, le retable montre le chancelier Nicolas Rolin et son épouse en prière. Autour d’eux, sont représentés saint Sébastien, patron de chevalerie de Rolin, et saint Antoine, patron de l’hôtel-dieu et de GuigonedeSalins.Impossiblede quitter les Hospices sans découvrir l’autre trésor de l’institution, son vignoble. Le domaine comprend 60 hectares de vignes produisant des vins classés premier cru et grand cru: le pinot noir offre 33 cuvées en rouge et 17 cuvées en chardonnay pour le blanc. Dans un souci constant de concilier santé et respect de l’environnement, l’exploitation des vignes a banni toute utilisation de pesticides et de produits phytosanitaires.
Flacon moderniste pour grands nectars
Après Mâcon et Chablis, Beaune vient d’ouvrir au public sa Cité des climats et vins de Bourgogne. Et l’écrin architectural, situé en plein cœur d’un parc paysager de dix hectares, entièrement consacré aux vins produits dans les fameux « climats » bourguignons, a tout pour séduire. Le bâtiment adopte la forme de vrilles évoquant les circonvolutions de la vigne autour des palissages, et sa couleur rappelle les terroirs calcaires. Dans un espace muséographique de 3 000 mètres carrés très high-tech, c’est la culture, le savoir-faire et l’histoire des vins de Bourgogne que l’on découvre.