En usage au Moyen Âge dans les couvents du royaume de France, la pelote est l’héritière du jeu de longue paume, pratiqué en extérieur par le peuple, contrairement à la courte paume, pratiquée par la noblesse dans des tripots (salle fermée). Tombés en désuétude à la Révolution, les jeux de paume ont survécu au Pays basque, se sont développés avec l’arrivée du caoutchouc et se sont diversifiés autour du trinquet et du fronton. À la fin du xixe, ils ont pris de l’ampleur, avec leur exportation aux Amériques et le début des compétitions mondiales dans les jaï-alaï, ces frontons couverts à trois murs.
Ander Ugarte, enfant de la balle

Discret, l’atelier Punpa se cache dans un quartier résidentiel de Saint-Jean-de-Luz. Tout aussi modeste, la pièce de travail, avec un établi et quelques machines : on se croirait dans l’atelier d’un bricoleur du dimanche. Pourtant, Ander Ugarte est le maître incontesté de la pelote, cette balle qui claque sur tous les frontons du Pays. Les siennes partent même outre-Atlantique servir le jeu des meilleurs pelotaris du monde.
Une pelote, c’est léger, 70 grammes. Mais plus petit encore, le noyau de buis des Vosges qui la constitue. « On l’enveloppe avec des rubans de latex, du caoutchouc naturel séché qui vient des Philippines. Puis, on le recouvre de fil de laine. Aujourd’hui, c’est une machine qui s’en charge, mais je vous montre comment faisaient nos anciens », nous dit l’artisan. Les doigts sont experts à répartir uniformément le fil, une légère tension pour qu’il tienne en place, pas de pli, la balle doit rester bien ronde. Puis, le même geste avec un fil de coton. « Il faut respecter le poids de la pelote : il passe de 70 à 106 grammes en fonction des jeux, à main nue, pala, cesta punta, c’est très codifié par la fédération. »

L’étape suivante est l’habillage final à base de parchemin de chèvre. « Un travail de couture. Je prépare des gabarits, en forme de huit allongé. Il en faut deux pour recouvrir la balle. » Ander Ugarte n’a plus qu’à découper les morceaux de peau, qui, avant d’être cousus bien emboîtés, sont mis à tremper dans l’eau pour acquérir la souplesse nécessaire.

Quelques coups d’aiguille – et de ciseaux – plus tard, la pelote a pris sa forme définitive. « Il reste à la “suifer”, en la faisant tourner dans tous les sens dans une machine humectée de suif. La graisse animale lui donne une douceur qui la rend plus agréable au toucher. » Ander la teste en la faisant rebondir sur le sol. Elle claque bien. Satisfait, il appose sa marque : « Signer nos pelotes, on le fait tous. » Le stylo dessine deux croix, un trait, un triangle. Aucun doute, c’est une Punpa.
Le chistera, un ADN familial

Dans la famille Gonzalez, vous pouvez demander le grand-père, le père ou le fils, peu importe, il y a des chances que vous les retrouviez tous les trois en plein travail dans leur atelier d’Anglet. Le chistera est dans leur ADN depuis cinq générations, puisque c’est Eustakio, le grand-père de l’actuel grand-père, Jean-Louis, qui a fondé Onena, l’atelier de Bayonne, après avoir appris le métier auprès de Joseph Lacarra, le maître absolu en la matière. On était alors à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, les Gonzalez sont les derniers à perpétuer au Pays basque nord la tradition de ce gant en osier, inséparable de la cesta punta. Quand on pousse la porte, c’est d’abord une agréable odeur de bois qui vous titille les narines, puis une pièce emplie de vieilles machines, d’outils d’autrefois, de copeaux de bois au sol et d’antiques chisteras et palas – raquettes – au mur. L’ambiance est studieuse. Parfois, Jean-Louis élève la voix pour rectifier le geste d’un des deux autres cesteros.

Au XIXe siècle, c’est un joueur du nom de Jean Dithurbide, blessé au poignet, qui a l’idée de remplacer le gant en cuir, très lourd, par un panier à raisins en osier, plus léger, auquel il donne la forme d’une gouttière en le coupant en deux : le chistera, véritable prolongement du bras, est né. Depuis, il s’est perfectionné. Derrière le savoir-faire des Gonzalez, trois métiers et près de 500 gestes différents. Il faut en premier lieu être menuisier pour couper le châtaignier, en dégager l’aubier, le cœur qui est la partie la plus souple, le tailler en baguettes qui seront pliées pour former le chistera.

D’abord, un arceau qui délimite le pourtour, puis le squelette entier, avec 13 côtes maintenues par des gabarits en fer lui donnant exactement les courbes voulues par le pelotari. « Oui, les chisteras sont faits sur mesure, il n’y en a pas deux pareils », s’enorgueillit Peio. Après trois mois de séchage vient le travail du vannier. Une fois les éclisses d’osier rabotées pour qu’elles aient le calibre voulu, il les tresse en les faisant passer entre les 13 côtes de l’armature. Un travail de patience. Aujourd’hui, Bixente fait le travail du sellier, axé sur le gant du chistera. Il découpe le cuir taillé à la main du joueur et délimite quatre intervalles avec quatre soufflets pour les doigts. Sa machine à coudre, elle, a 125 ans...
Il faut 50 heures de travail pour fabriquer un chistera. La famille en confectionne entre 120 et 150 par an. « La pelote pouvant aller jusqu’à 300 kilomètres par heure, un bon joueur use son chistera en un mois d’entraînement. » Ce n’est pas Bixente qui dira le contraire, lui qui, à 25 ans, est un des espoirs mondiaux. Comme sa sœur, Xana, qui a participé aux championnats du monde de cesta punta. Quelle famille !
Initiation à ce sport de tradition avec un champion

Peio Gonzalez nous confie avoir offert un chistera à Emmanuel Macron lors du G7 à Biarritz en 2019. Il a alors soufflé au président de venir suivre un cours de pelote. Si l’agenda présidentiel n’a pas été compatible avec cette invitation, le mien, oui. Ce sera chez Ona Pilota, rue Berrua, avec les frères Patxi et Jon Tambourindeguy, tous deux champions du monde. Dans l’espace de jeu, le mur du fronton est barré en bas par un trait noir, le sol ou cancha. « Le but est d’envoyer la balle sans rebond au-dessus du trait noir, pour la faire rebondir entre les marques blanches de la cancha », explique Patxi. La balle, appelée goxua, ne fait pas mal au rebond. « Elle sert à l’entraînement, à mains nues », précise notre champion.

Le pied gauche en avant, il faut faire un rebond et taper dans la balle par en dessous pour l’envoyer sur le mur. « Mais avant d’engager, toujours l’annoncer, en disant “dio”. » Le mouvement n’est pas difficile et, surprise !, la balle est agréable en main. « Vous avez oublié “dio” ! » Après quelques ratés, nous parvenons à faire des échanges... plus ou moins dans les zones réglementaires ! « Maintenant, vous allez essayer la pala. » Cette petite raquette pleine est dotée d’un bec au bout du manche. Le lancer de la balle se fait devant, avec la pala légèrement par en dessous. Pour la rattraper, il faut se placer de profil et raquette bien tendue.
Place au chistera. « Il faut réceptionner la balle dans la partie creuse, faire un mouvement ample en arrière avant de la renvoyer vers l’avant, et toujours en gardant le poignet souple : s’il est raide ou cassé, la balle va partir n’importe où. » Bingo ! La balle part à gauche. Mon coéquipier s’en sort mieux, renvoie la balle sur le mur, la rattrape dans le creux et recommence. Si je parviens parfois à en attraper une, je la renvoie toujours sur le côté... Le chistera, ça n’est pas pour moi. Je préfère la pala. Mais s’initier à ces variantes de la pelote basque est passionnant. Surtout avec un champion du monde !