Tour de France : les grands cols des Pyrénées
« Vous êtes des assassins », avait lancé aux organisateurs Octave Lapize, le vainqueur de la grandiose première étape pyrénéenne de l’histoire du Tour. Aubisque, Peyresourde, Aspin et bien sûr le Tourmalet… Programmés dès 1910, ces quatre grands cols, appelés alors le « cercle de la mort », font aujourd’hui partie intégrante de la mythologie de la Grande Boucle.
Les Pyrénées, une manière de relancer la Grande Boucle
Il faudra un jour songer à rendre un hommage appuyé au grand Alphonse Steinès, journaliste à L’Auto et bras droit si dévoué du fondateur du Tour Henri Desgrange. Lorsque la Grande Boucle est en perte de vitesse peu de temps après sa création (en 1909 François Faber rafle quasiment tout), il faut vite envisager un Tour plus dynamique, plus héroïque, en un mot : plus éprouvant. « Pourquoi pas les Pyrénées ? » suggère alors Steinès à son patron. « Vous êtes fou ! », répond, lapidaire, Desgrange qui pense qu'il n'y a, là-bas, que « des ravins et des gouffres ». Et le journaliste alla repérer les lieux, empruntant la vieille route des eaux thermales qui passe au col du Tourmalet – Tourmalet dont l’origine étymologique, rappelons-le, signifie « mauvais détours », même si les Gascons penchent, eux, plutôt pour « la montagne lointaine ». Steinès se rend donc sur place. Peu après Sainte-Marie-de-Campan, sa voiture est stoppée par des congères et, après avoir payé un berger pour l'accompagner à pied, le journaliste se retrouve, seul au sommet, pris dans une tempête de neige au beau de milieu de la nuit. Le voilà bien perdu ! Les gendarmes de Barèges ont la gentillesse de venir le sortir de cette galère au petit matin – et peut-être de lui sauver la vie. L'orgueilleux journaliste – qui, sur place, annonce un peu vite que L'Auto paiera les travaux afin d'améliorer la voirie – annonce le lendemain à Desgrange dans un télégramme : « Passé Tourmalet. Très bonne route. Parfaitement praticable. » Grâce à ce superbe mensonge, les Pyrénées entrent dans l'histoire du Tour.
Une première ascension en 1910
Nous sommes le 21 juillet 1910 et les cyclistes débarquent donc à l'assaut du Tourmalet, premier col de la Grande Boucle à dépasser les 2000 mètres. Précisons tout de même qu'ils ne sont plus au départ de cet inédit Bagnères-de-Luchon - Bayonne que 136 courageux, vingt-six coureurs ayant préféré jeter l'éponge.
A l’époque, les cols pyrénéens sont nommés par les coureurs le « cercle de la mort » et on y craint les ours, dont on dit qu’ils dévorent les bergers ! Octave Lapize remporte l'étape – 326 kilomètres en quatorze heures – en solitaire, et le plus souvent à côté de son vélo. Cela ne l'empêche pas d'insulter les organisateurs, les traitant d' « assassins », maugréant contre ce parcours au relief maléfique. Citons le valeureux Gustave Garrigou, 8e de l'étape, qui, lui, avec sa lourde bécane de 14 kg, est le premier à gravir entièrement le Tourmalet et ses précipices effrayants, sans poser le pied au sol. Respect.
Depuis ce jour de juillet 1910, le Tourmalet appartient à la mythologie du Tour : ce col d'origine glaciaire, qui culmine à 2115 mètres – ce qui en fait le plus haut col routier des Pyrénées en France – est le plus emprunté de tous les cols de la Grande Boucle : 78 fois, à ce jour. Un pic, que dis-je, un monument du Tour !
Plusieurs chemins pour arriver au sommet
A l'ombre du majestueux « vaisseau des étoiles » du pic du Midi de Bigorre (2877 m), le Tourmalet assure le lien entre les hautes vallées de l’Adour et le bassin du gave de Pau. L’ascension se fait depuis Luz-Saint-Sauveur, via Barèges (18,8 km, 1405 mètres de dénivellation) ou depuis Sainte-Marie-de-Campan via La Mongie (17,2 km, 1268 mètres). Pour dire la vérité, ce « méchant col » fut malgré tout bien emprunté bien avant les « forçats de la route ». Y sont déjà passés les bergers, les colporteurs, les pèlerins de Compostelle et même... la délicate Mme de Maintenon. Un beau jour de 1675, alors qu'elle envisage de « prendre les eaux » à Bagères, avec le duc de Maine, elle apprend, à Luz-Saint-Sauveur que la rivière Bastan est en crue. Changement de parcours : elle ira donc par le col du Tourmalet… en chaise à porteurs.
Une voie inaugurée par Napoléon III
La voie qui passe par le Tourmalet n’est cependant officiellement inaugurée qu'en 1864 par Napoléon III qui « découvre les mérites des eaux des Pyrénées pour soigner la goutte »*. Cette route thermale n'est pas pour autant une partie de plaisir. « Nous sommes rentrés avec le Tourmalet dans la zone désolée et navrante des solitudes, décrit un journaliste de L’Auto dans les années 1920. Imaginez-vous, au flanc d’un mont sans arbre, aux éternels lacets, une route de boue, d’eau et de glace. Creusez-là de profondes ornières, où les autos s’enliseront, jetez ça et là des bancs de neige, déchaînez un vent des cimes, humide à la fois et sinistre. ». Le paysage minéral y est d’une beauté âpre, comme on peut le voir face à la muraille de Gavarnie, et la météo bien capricieuse. Une avalanche a rendu le col inaccessible en 1922 ; en 1926, c’est le déluge et un froid hors norme au point que Desgrange en perd son latin : « J’ai vu un de nos hommes réchauffer ses mains complètement frigorifiés… en comment dirais-je ? » Malgré tout, le géant pyrénéen révélera bien des champions. Il sera le théâtre des exploits de Jean Robic, puis, surtout, de Federico Bahamontès, « l'Aigle de Tolède », quatre fois en tête au sommet. Merckx, déjà tranquillement leader, y devient en 1969 le « Cannibale », raflant tous les maillots possibles – jaune, blanc, vert, à poids ; Virenque ira y chercher sa première victoire d’étape en 1994. Jalabert, dans son Tour d'honneur en 2002, cherchera à y faire des adieux en apothéose.
Les "petits frères" du Tourmalet
Qui dit Tourmalet amène à citer ses « petits » frères, partie intégrante de ce « cercle de la mort » étrenné dès 1910. Moins haut (1709 m), l’Aubisque, dans le prolongement du col du Soulor (1474 m), n’en pas moins spectaculaire, que ce soit au départ de Laruns, versant ouest, ou d’Argelès-Gazost, versant est.
Ce col, qui assure la liaison entre la vallée d’Arrens et la vallée d’Ossay, peut présenter lui aussi un visage particulièrement inquiétant, par son contraste des pics et des abimes. Il faut suffit de voir le vertigineux précipice du cirque du Litor, « amphithéâtre de calcaire », pour s’en rendre compte. D’ailleurs, on ne compte les chutes sur ce relief sévère – Wim van Hest, 70 mètres plus bas dans un ravin, ou Hugo Koblet qui se blesse dans la descente. Quand à Peyresourde (1569 m), qui sera au programme cette année, il fait souvent à côté « office d’antichambre de l’arène où se jouait le drame pyrénéen », écrivent les auteurs de Sommets mythiques. L’ancien directeur du Tour Jean-Marie Leblanc en parlait d’ailleurs comme d’un agréable « tapis de mousse » donnant « envie de se coucher dans l’herbe à côté des vaches et des moutons ». Ce serait aller un peu vite en besogne, tant le vent y souffle souvent, et la pente est irrégulière (pente maximale à 12 % depuis Avajan).
En revanche, l’ascension de l’Aspin (1489 m), depuis Sainte-Marie-de-Campan, est moins brusque. La route serpente via le plateau de Payolle le long de l’Adour, dans un cadre verdoyant mêlant forêt de feuillus et de conifère et pâturages. Au sommet, alors que le panorama donne, au sud, sur le pic de l’Arbizon (2381 m), nous sommes au milieu des troupeaux de vaches et des chevaux en liberté ! Une relative douceur bienvenue, dans ce que Albert Londres décrivait comme le « calvaire du Tour de France ».