Versailles : le ventre des fontaines
Sous les jardins existe aussi une merveille d’ingéniosité : un formidable réseau hydraulique, à 80 % d’époque, destiné à alimenter bassins et fontaines. Exceptionnellement, nous avons pu pénétrer dans ce dédale de galeries, seulement emprunté par une poignée de fontainiers.
Guillaume Acarregui travaille au service des fontaines de Versailles et s’en émerveille. Il a le privilège de voir ce que le visiteur des jardins ignore et n’imagine même pas : les sous-sols. « Il y a autant de choses à voir au-dessus qu’en dessous ! », rit-il. Nous avons pu le constater : le jeune fontainier nous a emmenés sous les jardins pour nous montrer la face cachée des eaux de Versailles.
Pour alimenter bassins et fontaines de ce lieu dépourvu d’eau, Le Nôtre et les frères Francine, ingénieurs d’une famille de fontainiers italiens, ont mis en place, au XVIIe siècle, un incroyable et complexe réseau hydraulique : trente-cinq kilomètres de canalisations, « à 80 % d’époque », courent sous le parc ! Plusieurs galeries, inaccessibles au visiteur du parc, permettent d’accéder aux sous-sols.
Une vraie toile d'araignée
Nous nous engouffrons sous terre par une petite porte dissimulée, non loin du bosquet des Rocailles, avant d’emprunter un tunnel sombre, humide, envahi de canalisations en fonte – une nouveauté technique pour l’époque – qui nous mène bientôt à côté de l’un des réservoirs qui alimentent les fontaines par gravitation. Puis, en suivant les canalisations, nous arrivons devant un lieu pour le moins spectaculaire. Des tuyaux s’élancent dans toutes les directions. « Au-dessus de nous, le bassin de Latone ! », lance Guillaume. Nous sommes ici à un noeud stratégique (la « toile d’araignée », dans le jargon des fontainiers) du réseau des canalisations souterraines.
Les tuyaux alimentent les dizaines de jets du bosquet, et qui, d’ici (on est au centre du jardin), partent en tous sens pour fournir l’eau d’autres fontaines. Forcément, on est admiratif devant ce chef-d’oeuvre de fontainerie ! « Mieux ne vaut pas être ici lorsque les eaux fonctionnent, prévient Guillaume, sinon c’est l’inondation assurée ! » Mais l’eau n’est pas perdue pour autant, puisque de petites rigoles creusées à même le sol des galeries permettent de la récupérer et de l’emporter jusqu’au Grand Canal qui est le point le plus bas de ce circuit fermé.
En continuant à explorer les souterrains, c’est de plus en plus impressionnés que nous découvrons un vrai labyrinthe. Les tunnels, à la voûte parfois ornée de minuscules stalactites de calcaire formées au fil du temps, se multiplient. Il faut parfois gravir de petites échelles pour accéder à un autre niveau. Sans notre guide et sa torche, il serait facile de se perdre ! Et les tunnels se font quelquefois si bas que l’on doit y marcher totalement courbé.
Dans un autre registre :
3 600 m3 d'eau par heure
Fontainier : un vrai job de spéléologue ! Certaines canalisations, assemblées par des joints d’étoupe et de cuir, arborent une fleur de lis gravée, signe que ces tuyaux de fonte sont bien d’époque. Le travail des fontainiers consiste bien sûr à entretenir et faire fonctionner ce patrimoine fragile, menacé par les racines des arbres, le gel ou bien encore les rats, qui viennent grignoter les joints…
Et malgré cet étonnant et complexe système hydraulique, « l’été, on manque d’eau », explique Guillaume. Elle n’est pas entièrement restituée aux réservoirs : les bassins ne sont pas tous étanches et l’eau, quand il fait chaud, s’évapore du Grand Canal ou de la pièce d’eau des Suisses. Sans oublier le vent, qui quelquefois dévie les jets hors des bassins… »
Les Grandes Eaux du Petit Parc consomment 3 600 m3 d’eau par heure (deux fois moins que sous Louis XIV). Les fontainiers doivent être extrêmement précis pour ne pas en perdre une goutte… Ces jours-là, à l’aide de clés lyre, ils manoeuvrent avec minutie les quatre-vingt-six vannes et soixanteseize soupapes des jardins ! Six cent vingt jets d’eau vont successivement se mettre à jouer pour le plus grand bonheur des visiteurs. Autant dire que la magie du spectacle dépend de la dextérité de ces hommes de l’ombre
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