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Entrez dans les coulisses de Saint-Malo

Face à la ville intra- muros, reconstruite à l’identique après les bombardements alliés à l’été 1944, le Fort national défie la mer et les éléments. Devenu privé, ce bastion classé – bâti à même la roche epar Garangeau au xvii siècled’aprèsles plans de Vauban – se découvre à marée basse quand le drapeau français est hissé. Face à la ville intra- muros, reconstruite à l’identique après les bombardements alliés à l’été 1944, le Fort national défie la mer et les éléments. - © Bertrand Rieger / Détours en France

Publié le par Florence Donnarel

Derrière les remparts ou dans la campagne environnante, les belles demeures gardent la mémoire des orateurs et capitaines de course malouins, qui firent rayonner leur art de la navigation sur toutes les mers du monde.

Les demeures en granit sont harmonieusement alignées dans la cité fortifiée.
Les demeures en granit sont harmonieusement alignées dans la cité fortifiée. © Bertrand Rieger / Détours en France

Bien sûr, il faut commencer par le chemin de ronde. Battre le pavé et prendre la mesure de cette clôture de pierre préservant une cité fortunée dès le XVIe siècle. Humer l’air marin et contempler la baie semée de récifs et de forts en mer. Se souvenir de ses illustres marins, célébrés par des statues : l’explorateur Jacques Cartier ou les corsaires René Duguay-Trouin et Surcouf. Admirer aussi l’harmonie des façades en granit avec, d’un immeuble à l’autre, le même ordonnancement soigné de fenêtres, de lucarnes et de cheminées. « En août 1944, lors de la Libération, 80 % de la ville est détruite par les bombardements alliés. Les autorités choisissent de reconstruire à l’identique. Ces immeubles, entre les bastions Saint-Philippe et Saint-Louis, sont le reflet des demeures d’armateurs qui s’élevaient ici au XVIIIe siècle », explique Olivier de la Rivière depuis l’angle sud des remparts. Notre accompagnant sait de quoi il parle, il est le propriétaire de la seule maison de négociant entièrement épargnée par les bombes : l’hôtel d’Asfeld, ou Magon, situé quelques mètres en contrebas.

Précieux décors

Dans la cité fortifiée, aux demeures en gra- nit harmonieuse- ment alignées, Olivier Chereil de la Rivière nous accueille dans les salons de l’ehôtel Asfeld (xvii ) dont il est l'actuel pro- priétaire. Ici, il se tient aux côtés d’une reproduc- tion de la lettre de marque du navire corsaire « l’Apollon ».
Olivier Chereil de la Rivière nous accueille dans les salons de l’hôtel Asfeld (XVII) dont il est l'actuel propriétaire. Ici, il se tient aux côtés d’une reproduction de la lettre de marque du navire corsaire « l’Apollon ». © Bertrand Rieger / Détours en France

Sous les hauts plafonds du salon lambrissé de cette demeure de 59 pièces, entre cheminée en marbre et lourdes tentures, nous sommes en 1725, chez François-Auguste Magon de la Lande, l’un des plus puissants armateurs de Saint-Malo et corsaire de Louis XV. « Qu’est-ce qu’un armateur à l’époque ? », interroge Olivier de la Rivière. Et de répondre : « C’est le propriétaire d’un bateau qui achète une marchandise à un endroit et la revend plus cher ailleurs. Il fait du commerce. Il y a un peu plus de trois siècles, les armateurs malouins se sont beaucoup enrichis avec le commerce, et notamment celui de la pêche à Terre-Neuve. » Leurs maisons remplissent quatre fonctions : lieu de réception des clients et fournisseurs, bureau, lieu de vie et entrepôt, ici dans des caves situées sous le niveau de la mer. Le grand salon d’apparat remplit le premier office. Notre hôte l’a enrichi de délicates maquettes et de peintures de navires. Une carte ancienne décrit les circuits maritimes et commerciaux des navires malouins dans l’océan Indien en 1739. On y voit les escales à Pondichéry et à Chandernagor dans « la presqu’isle des Indes », ou celle au port de Moka, à l’entrée de la mer Rouge, aux confins de l’« Arabie heureuse » (hautes terres de l’Arabie du Sud-Ouest, ndlr). « Les navires rentraient d’Orient et d’Asie chargés d’épices, de tissus, de porcelaine, de thé, de soie ; d’Amérique du Sud, ils ramenaient de l’argent, souligne Olivier de la Rivière. Mais tout cela, c’était en temps de paix. Quand la guerre interrompait le commerce, les armateurs pouvaient mettre leur navire au service du roi et capturer des bateaux ennemis, leur équipage et leur chargement. Ils devenaient corsaires, avec l’obligation de se conformer aux lois de la guerre. » Un exemple de lettre de marque, cet ordre de mission signé de l’amirauté et autorisant un armateur et un vaisseau à pratiquer la course, est exposé dans l’une des salles. La visite se poursuit à l’étage, dans les salons privés, lambrissés encore. S’inspirant du goût des armateurs pour les papiers peints, Olivier de la Rivière a fait tapisser les murs de décors panoramiques du XIXe siècle, réalisés au tampon de bois à Rixheim. L’Hindoustan, de la manufacture Zuber, ouvre ainsi sur un exotique paysage indien.

Écrin de pierre

Rue du Collège, l’ancien hôtel de Plouër (1698) se transforme en établissement scolaire dès 1800. Aujourd’hui, il abrite le lycée institution Saint-Malo.
Rue du Collège, l’ancien hôtel de Plouër (1698) se transforme en établissement scolaire dès 1800. Aujourd’hui, il abrite le lycée institution Saint-Malo. © Bertrand Rieger / Détours en France

« À son apogée dans le commerce maritime, au tournant du XVIIIe siècle, Saint-Malo comptait près de 130 armateurs dont 20 % étaient des femmes. Leurs noms ? Les Magon, les Trouin, les Baude, les Éon, les Chappedelaine... », souligne Olivier de la Rivière qui descend de Guillaume Éon, un armateur « malouino-marseillais » lié à la famille Magon. Nous sommes de retour dans la rue. Des façades monumentales, des ornements parfois, rappellent ce glorieux passé comme ces visages sculptés aux fenêtres de l’immeuble situé au n° 2 de la place Guy-la-Chambre. Rue du Pélicot, l’intramuros se fait plus intime, avec des voies étroites et de belles pierres. Ici, quelques demeures d’armateurs aux façades en bois et en verre subsistent. Celle du n° 5, qui abrite la Maison internationale des poètes et des écrivains, a échappé aux flammes du grand incendie de 1661 et aux bombardements de 1944. On sent la patte des charpentiers de marine. « Après 1661, on construit en pierre », souligne notre guide. Plus haut, rue du Collège, le grand portail du lycée institution Saint-Malo La Providence, orné de pilastres et d’un fronton en pierre calcaire, ouvrait autrefois sur l’hôtel de Plouër érigé par le négociant du même nom à la fin du XVIIe siècle. Nos pas nous mènent vers la cathédrale Saint-Vincent où reposent Jacques Cartier et Duguay-Trouin, un des plus grands corsaires malouins et officier de marine. Atypique avec ses différents niveaux épousant la forme du rocher sur lequel elle est bâtie, la cathédrale veille sur la ville depuis 1146 (même si sa construction s’éternisa pendant sept siècles).

Ci-contre, l'une des cinq cloches de volée de la Cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo.
L'une des cinq cloches de volée de la cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo. © Bertrand Rieger / Détours en France

Nous suivons Olivier de la Rivière au sommet du clocher achevé en 1971, marquant la fin de la Reconstruction d’après-guerre. De là, on peut se représenter la cité du temps des négociants malouins : une ville sur un rocher, ceinturée d’eau et de remparts au pied desquels venaient s’échouer les navires avant que le sillon ne soit maçonné au XVIIIe siècle. Au loin, le regard porte sur Paramé, Saint-Servan, les rives de la Rance et la campagne proche où les armateurs firent bâtir des manoirs que l’on appelle « malouinières ».

L'épisode des compagnies malouines

Spécialiste de l’histoire maritime de la ville, André Lespagnol qualifiait ainsi la période de 1707 à 1719 quand des armateurs malouins se substituent à la Compagnie française des Indes orientales au bord de la faillite. Celle-ci sous-traite son monopole du commerce indien à des « compagnies de particuliers » où dominent vite les Malouins sous la houlette de François Le Fer de Beauvais et François-Auguste Magon de la Lande. En 1715, elle devient la Compagnie des Indes orientales de Saint-Malo avec son siège dans la cité, rassemblant une douzaine de négociants locaux. En 1719, le royaume réorganise la compagnie et met fin à l’épisode.

Parc clos et pigeonnier

Chipaudière, célèbre maison de campagne de l'armateur malouin Magon de la Lande, est aux mains de la même famille depuis ses origines. Classée, cette bâtisse familiale du xviiie siècle présente une impressionnante façade à sept travées et de superbes jardins à la française.
Chipaudière, célèbre maison de campagne de l'armateur malouin Magon de la Lande, est aux mains de la même famille depuis ses origines. Classée, cette bâtisse familiale du XVIIIe siècle présente une impressionnante façade à sept travées et de superbes jardins à la française. © Bertrand Rieger / Détours en France

François-Auguste Magon de la Lande choisit un terrain agricole de 60 hectares, à cinq kilomètres au sud-ouest de la ville, pour faire bâtir en 1710 la Chipaudière, sa maison de villégiature. « L’architecte est Jean-Siméon Garangeau, l’ingénieur militaire des fortifications de Saint-Malo, disciple de Vauban », souligne Chloé Magon de la Giclais devant la demeure familiale à deux ailes.

Chloé Magon de la Giclais, propriétaire des lieux depuis dix ans avec son mari Benoît, devant le grand escalier intérieur en fer forgé.
Chloé Magon de la Giclais, propriétaire des lieux depuis dix ans avec son mari Benoît, devant le grand escalier intérieur en fer forgé. © Bertrand Rieger / Détours en France

Comme dans leurs hôtels particuliers urbains, les armateurs affectionnent les grands escaliers, les hauts plafonds et les boiseries. Parmi les détails précieux : les panneaux et décors en chêne finement sculptés, les toiles de Jouy, la vaisselle en porcelaine de Chine avec les armes de la famille... La façade privée ouvre sur un jardin à la française attribué à Le Nôtre. Il mène vers un canal. « Les bassins participent à l’apparat du lieu », précise la châtelaine. Ils sont souvent présents dans les malouinières tout comme le pigeonnier. La chapelle est aussi un incontournable. Celle de la Chipaudière dispose d’un retable en bois raffiné, étonnant dans ce coin de campagne. « Dans le Clos-Poulet, arrière-pays malouin, appelé pays d’Aleth, on compte 112 malouinières », rappelle Olivier de la Rivière. Leur construction culmine entre 1690 et 1740. Le début du XIXe marque la fin de l’âge d’or pour les armateurs-négociants malouins et, en 1856, le traité de Paris abolit définitivement la guerre de course.

Sources

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