Où se trouve la Rance ?
La Rance prend sa source dans les monts du Méné, à Collinée, dans les Côtes-d'Armor. Le fleuve côtier traverse ensuite la campagne bretonne jusqu'à la Manche. Il se jette dans la mer entre Dinard et Saint-Malo, dans le département d'Ille-et-Vilaine.

Dinan, 7h du matin. Les quais du port sont déserts. Surprenant silence, quand on connaît l’animation des berges en journée. À deux pas du Vieux-Pont, un homme s’active cependant. C’est Olivier Duval, propriétaire de l’Anoli, un splendide catamaran. Le gaillard a fait carrière au Raid puis dans la Sécurité nationale. Passionné de voile, notre skipper possède un sens pratique qui va nous être utile... L’Anoli n’est pas un esquif de poche : 13,40 mètres de long, 7,20 mètres de large, il faut naviguer fin pour se faufiler dans la Rance. Amarres larguées, nous filons dans le calme matinal, longeant les embarcations du port aux mats dénudés, à travers une brume écossaise...
Bocage agricole breton

Dinan ne tarde pas à s’éloigner. Nous jetons un coup d’œil sur les fortifications du jardin des Anglais et le clocher de la basilique Saint-Sauveur. Et rejoignons le chemin de halage, rive gauche, que les joggeurs n’ont pas encore investi. Sur ces berges étroites et boisées, la faune matinale est reine. Une mouette parade sur une bouée. Un cormoran décolle au ras des flots. D’autres oiseaux chantent dans les bois. Au moteur, à 5-6 nœuds, nous zigzaguons dans le chenal, guidés par les balises rouges et vertes. Olivier est à la manœuvre, vigilant. La rivière s’est élargie. C’est la cale de Taden. La Rance fend alors le bocage agricole jusqu’aux portes de Dinard et de Saint-Malo.
Entre Rance fluviale et maritime

Maisons à l’affût au-dessus de la végétation, La Vicomté dort encore. Ce n’est pas le cas de Jean-François, l’éclusier du Châtelier. Vingt-six ans que le fonctionnaire vit dans la maison éclusière, logé « par nécessité absolue de service ». Encadrée par les ports de plaisance du Lyvet et de la Hisse, l’écluse du Châtelier est la quarante-huitième et dernière depuis Rennes, accessible en amont par le fleuve puis par le canal d’Ille-et-Rance. « L’écluse marque la limite entre Rance fluviale et maritime. Jusqu’à 6 500 bateaux passent ici par an », éclaire Jean-François. En ce jour de mai, l’Anoli est l’un d’eux et Olivier doit viser juste pour faufiler ses coques au ras des parois de béton. L’eau à niveau, le pont s’ouvre et nous pénétrons dans la Rance d’eau salée... La rivière ondule en méandres, passant sous l’arche en demi-cercle du pont ferroviaire de Lessard. De chaque côté des rives trônent des carrelets abandonnés, frêles cabanons sur pieux de bois. La pêche est pourtant un loisir dans l’estuaire.

Où pêcher dans la Rance ?
En aval, entre le pont Saint-Hubert et le barrage, un coin est réputé pour la coquille Saint-Jacques. On pêche aussi la margate (seiche) au large de Saint-Suliac.

Rive gauche, nous longeons une belle maison de granit sur trois niveaux, posée à l’embouchure du ruisseau de Coutances. Rive droite, nous doublons le moulin à marée du Prat (XVe), témoin du passé maritime et agricole de l’estuaire. C’est l’un des plus anciens du territoire. Au XIXe siècle, ses roues à aubes faisaient tourner les meules sous lesquelles était broyé le grain.
Mordreuc, cale silencieuse

Après la Moinerie, hameau de granit tapi au bord de l’eau, la cale de Mordreuc se présente. L’Anoli jette l’ancre dans l’anse. Avec l’annexe, nous rejoignons la cale encore silencieuse à cette heure matinale et découvrons la double rangée de maisons grises et mitoyennes aux toits d’ardoises. Joliment restaurées, elles sont bordées à l’arrière d’adorables jardinets, séparés par d’étroits passages entre des murets. Au XIXe siècle, Mordreuc fut un port actif pour le transport de bois, de céréales et de pommes – Pleudihen, à laquelle est rattachée Mordreuc, est toujours un fief du cidre. Ces produits étaient chargés sur des gabarres qui remontaient la Rance et retournaient à Saint-Malo. Dans l’autre sens, des lougres, bateaux de cabotage, livraient à Mordreuc du calcaire de Normandie, brûlé dans des fours pour fabriquer la chaux. À gauche de l’ancien moulin à marée, on peut distinguer les souilles, ces lits de vase où les gabarres venaient s’échouer.
Au gré du noroît

Alors que nous remontons sur l’Anoli, problème. Une amarre s’est coincée sous l’eau autour d’un support de bouée. Avec ses quarante ans d’expérience opérationnelle, Olivier réagit vite. Torse nu, il plonge dans l’eau froide et segmente au couteau la corde récalcitrante. Nous pouvons repartir et admirer, face à Mordreuc, à la pointe du Chêne-Vert, le château de Péhou. Le port de plaisance de Plouër laissé à gauche, nous glissons sous les tabliers des ponts Saint-Hubert et Chateaubriand. C’est le point le plus étroit de la Rance maritime. Un vent frais du nord s’est levé. Sur l’estuaire devenu plan d’eau, voiliers et planchistes se jouent du noroît. Nous croisons même un drôle de sportif, stoïque sur son surf électrique, dressé au-dessus de l’eau par un foil. Louera-t-on demain ce genre d’engin pour traverser la Rance en « Père Peinard » ? Le paysage s’élargit encore. Des vaches blanches paissent dans un pré de versant, rappelant la vocation laitière de l’élevage bovin breton. Plus insolite, des pentes du mont Garrot (point culminant de l’estuaire, à 73 mètres d’altitude), rive droite, sont couvertes de vignes. C’est le renouveau d’un vignoble qui s’étendait largement au XVIIIe siècle, avant d’ultimes vendanges recensées en 1904. Depuis 2003, des arpents sont à nouveau cultivés par les vignerons de Garo, en cépages rouge et blanc. Nul doute – doit-on s’en réjouir ? – que le réchauffement climatique favorisera l’essor de la vigne sur ce terroir « nordique ».
Îlot Notre-Dame, site naturel protégé

Saint-Suliac est en vue mais nous ne pouvons jeter l’ancre. Le vent a grimpé à 21 nœuds et Olivier craint que l’attache du multicoque ne cède à ses assauts. Nous filons devant le village et son beau clocher en pierre, doublons la plage de Garel, puis laissons à bâbord la cale de la Landriais pour contourner l’îlot Notre-Dame. Cette cale est l’un des lieux les plus intéressants de l’estuaire. Réputée pour ses chantiers navals, la Rance abrite ici un cimetière de bateaux échoués, sur fond d’ateliers de marine et de mâts cliquetants. De là sont sortis des chaloupes, des doris. Mais aussi de grands bateaux, construits dans la splendide cale sèche en bois du début du XXe siècle, dressée au milieu de la grève et classée monument historique. L’îlot Notre-Dame, lui, possède une tout autre histoire. Au XVIIIe siècle, des moines y étaient installés et allumaient chaque soir des feux pour guider les bateaux entre les récifs. L’endroit entretint par la suite une flamme autrement ardente : une célèbre maison de tolérance avait pris possession des lieux... L’île est désormais un site naturel protégé. Sternes mais aussi hérons, aigrettes, cormorans et parfois le rare fou de Bassan y évoluent à l’abri. Mais se sentir à l’abri, ce n’est pas le sentiment qu’éprouva, en 1790, la famille de passeurs de la Passagère, ancien embarcadère de traversée de la Rance, derrière l’îlot Chevret. Cette année-là, le passeur, son épouse et six de leurs enfants furent sauvagement assassinés dans leur maison. Nul doute que le commandant Charcot, dont la demeure domine l’estuaire, fut au courant de cette histoire.
À la rencontre de la cité malouine

Les grandes propriétés sont d’ailleurs le leitmotiv de cette fin de descente. Rien d’anormal : nous sommes près de Saint-Malo et les riches armateurs de la cité, au XVIIe et au XVIIIe siècle, prirent plaisir à bâtir sur ces berges tranquilles de splendides manoirs, reconnaissables à leur granit, leur symétrie et leurs immenses parcs. Debout à la proue sur les filets tendus du catamaran, nous observons à gauche le château de Montmarin, à droite celui du Bosc, plus loin la Basse-Flourie, magnifique avec sa tour d’angle pigeonnier, son mur d’enceinte, ses grands arbres et sa pelouse en pente vers la Rance. Vent dans le dos, Olivier Duval hisse le génois pour le retour. Le ciel s’est strié de cirrus et l’eau clapote, tandis que défilent une seconde fois les paysages de la Rance, grèves grises, plages blondes, champs émeraude, bois vert foncé... À Mordreuc, tout a changé. La pleine marée de l’aller a fait place à une grève, large et inhospitalière. Le vent et la marée montante nous poussent vers l’amont mais après le pont Saint-Hubert, il faut patienter. L’ordinateur de bord a tranché : avec 1,10 mètre de fond, la Rance n’est pas assez haute pour l’Anoli. Vingt minutes plus tard, le flux a fait son travail et nous repartons avec d’autres voiliers. Se faufilant entre les vasières, où barbotent tadornes, canards et goélands, nous franchissons l’écluse du Châtelier, dépassons La Vicomté éclairée par le soleil déclinant et regagnons Dinan, heureux comme des marins sur l’eau.
A l'assaut de Dinan, la médiévale

Il reste à découvrir la ville. Une rue y grimpe sans délai depuis le Vieux-Pont : le Jerzual. Cette voie pavée à très forte pente est jalonnée de florissantes maisons à colombages, témoins des aisances marchandes et bourgeoises, à l’image de la maison du Gouverneur (XVe siècle). Ville ducale à partir de la fin du XIIIe siècle, Dinan fut presque l’égale de Rennes et de Nantes. Close de remparts, elle partageait son pouvoir entre les autorités du gouverneur du roi, représenté par le duc (au château), religieuse (les paroisses Saint-Sauveur et Saint-Malo) et bourgeoise. Tout cela est encore visible aujourd’hui, au-delà du vernis touristique de la cité.
Tour de l’Horloge, mécanisme de 1498

Une fois franchie la porte du Jerzual, axe est-ouest, vient l’enfilade des rues médiévales de l’École, de la Poissonnerie et de l’Horloge. Le cardo de Dinan, l’axe nord-sud, est très fréquenté. Autour des maisons nobles de granit de la rue de l’École (menant au quartier hors les murs, du XIe siècle) jusqu’à l’ancien couvent des Dominicains, rue Waldeck-Rousseau, s’étend l’essentiel du patrimoine : l’Auditoire, ex-palais de Justice ; la place des Merciers et ses antiques maisons en pierre et pans de bois soutenues par des piliers ; la place des Cordeliers et son couvent du XIIIe siècle (devenu depuis un lycée) ; la tour de l’Horloge et son mécanisme de 1498, réglant la vie laïque des habitants (hôtel de ville jusqu’à la Révolution) ; la basilique Saint-Sauveur et son portail roman ; la chapelle Sainte-Catherine...
Du Guesclin, un enfant de la ville

On ira visiter également l’église gothique Saint-Malo, les très commerçantes Grande-Rue, rues de la Chaux et de la Mittrie, les halles « La Cohue » et leurs étals à piliers de granit... Par le jardin anglais dominant la Rance, on suivra les remparts via la promenade de la Duchesse-Anne jusqu’à la place Duguesclin. Hôte d’un marché depuis le XIVe siècle, elle accueille des édifices austères (hôtel de Reslou, XVIIIe) et la statue à cheval du chef d’armée, enfant de la ville et figure de la guerre de Cent Ans. Restera alors à voir le château fortifié, résidence des ducs de Bretagne depuis la fin du XIVe siècle. Avec une scénographie revisitée, il plonge les visiteurs dans une ambiance médiévale. Du chemin de ronde, la vue dévoile des siècles de navigation et d’histoire sur la vallée de la Rance.

Où passe la Rance ?
Sur la carte de France, la Rance trace un petit arc de cercle au nord-est de la Bretagne. Elle longe notamment les communes de Dinan, Pleudihen-sur-Rance, Saint-Suliac, Saint-Malo et Dinard...