Chambord et son potager

On connaît son histoire et l’élégance de son architecture, moins son jardin où le maraîchage y prospère. Fleurs de courgette, allées d'aubergines, choux romanesco : ce potager n’aurait rien d’extraordinaire si, au second plan, ne se détachait la silhouette du château de Chambord, hérissée de clochers, de tours et de lanternons. Plus loin, potimarrons et plants de tomates s’épanouissent dans les allées des anciennes écuries du maréchal de Saxe. Depuis quelques années, Chambord renoue avec son passé agricole. Des brebis de race solognote pâturent aux abords du château. La vigne pousse sur le site de l’Ormetrou (appellation Cheverny) de 14 hectares. Chambord aura même son chai, malgré l’abandon du projet initial porté par Jean-Michel Wilmotte en raison de la crise du Covid-19. Et le potager, donc, des jardins de Chambord. Plus d’une cinquantaine de variétés de légumes sont cultivées en bio pour les restaurants du domaine, les paniers d’épicerie et quelques bonnes tables de Blois. Le fumier de la garde républicaine est utilisé comme engrais et pour le paillage des cultures. Bientôt, un rucher d’abeilles noires de Sologne verra le jour. Ce virage maraîcher n’est que la dernière métamorphose d’un domaine qui en a connu bien d’autres. Restitué d’après une gravure de 1748, l’espace extérieur a nécessité seize années de recherches documentaires, de sondages archéologiques et de prospections géophysiques. Résultat : 6,5 hectares de pelouses, d’arbustes, d’arbres et de plantes au pied de la façade nord du château. Depuis les terrasses, le regard embrasse l’ensemble : les deux rectangles gazonnés sertis de topiaires d’ifs et ornés de broderies en fleur de lys, les allées bordées de fusains japonais... Tout autour, le moutonnement des arbres du domaine forestier (5 440 hectares clos de murs). Au nord du Cosson, les jardins à la française ont vu naître un « bosco », dont les carrés en quinconce reprennent le plan du célèbre escalier à double révolution du château. Les merisiers à fleurs doubles, alignés en rangées rectilignes, dispensent une ombre salutaire en été. Dans le parc, le règne du végétal ne s’arrête pas là. Une fleur de lys en pierre, symbole royal, coiffe la tour-lanterne, la plus haute tour du château. Un œil attentif aussi remarquer la présence d’hommes-feuilles dans l’escalier hors œuvre de l’aile royale, ou de feuilles d’acanthe sur divers modillons.
Les tulipes de Cheverny

Avec ses bossages élégants et son architecture au cordeau, le château de Cheverny a des airs de Moulinsart. D’ailleurs, c’est un fait avéré (et les tintinophiles le savent) : Hergé s’est inspiré de ce château pour en faire la demeure de Tintin, Haddock et Tournesol. Les visiteurs découvrent à l’intérieur de splendides salles, richement décorées de dorures, toiles de maître, tapisseries et meubles d’époque. Ensuite, ils parcourent l’exposition permanente sur Tintin. Après quoi ils passent voir les chiens de chasse du chenil, puisque Cheverny est un haut lieu de vénerie parmi les châteaux de la Loire. Cela serait bien assez... pourtant la visite ne s’arrête pas là. Il reste les jardins et le parc du château. « À vrai dire, les visiteurs passent plus de temps dans les jardins qu’au château ! », sourit Sami Bouda, jardinier en chef. Passé l’impeccable pelouse classée devant la façade principale (« elle est classée, impossible d’y toucher »), Sami nous mène dans l’un des six jardins thématiques, en commençant par le potager. Ici, on allie l’utile à l’agréable, les aubergines et les tomates côtoyant dahlias et rosiers. De l’autre côté du château, nous passons en revue les topiaires du jardin des Apprentis, créé en 2006. « C’est un jardin d’ornement mixte, une partie à la française, une autre à l’anglaise. » Puis nous nous engouffrons sous la charmante tonnelle en accolade où fleurissent rosiers et glycines, et qui débouche sur l’orangerie, flanquée de tasses géantes. Mais le jardin qui connaît le plus de succès ne s’épanouit qu’au printemps. En mars et avril, Cheverny se transforme en une petite Hollande grâce à son désormais célèbre jardin de tulipes. Plus de 200 000 tulipes forment une vague bariolée de 250 mètres de long sur 12 mètres de large. « Composer cette vague s’avère compliqué car avec autant de bulbes, cela pourrait vite faire fouillis. » La vague de tulipes se déroule avec majesté... jusqu’à l’intérieur des barques sur la rivière !
Chenonceau et ses centaines de fleurs

Ce n’est pas la Loire, mais le Cher qui a le privilège de se glisser sous les cinq arches du château de Chenonceau. Bâti sur les plans d’un palais vénitien au XVIe siècle, dans sa robe de tuffeau, le château semble se mirer dans l’eau. Ce n’est pas un hasard s’il distille une grâce féminine, plus encore qu’à Chaumont-sur-Loire. Il fut offert par Henri II à sa favorite, Diane de Poitiers. Le jardin de Diane a conservé son charme Renaissance : « Clôturé, pourvu de terrasses et divisé en croix. Il existe très peu de jardins Renaissance entièrement conservés en France. Ici, seule l’organisation des massifs a changé », explique Nicholas Tomlan, directeur botanique de Chenonceau. Et quels massifs ! Chaque année, 27 000 plantes sont changées sur l’ensemble du parc tandis que, deux fois par an, le jardin Catherine de Médicis renouvelle 11 000 végétaux. Le 10 juillet 1559, la reine Catherine de Médicis, veuve d’Henri II, écarte Diane de Poitiers et dirige le royaume depuis son cabinet de travail, le « cabinet vert ». Son jardin prend alors le contre-pied de celui de Diane, sa rivale. « C’est un jardin très florentin, moins géométrique, qui profite de sa situation devant les arches du château. À l’époque, on y trouvait une grotte artificielle, une volière d’oiseaux exotiques, une collection de pins... Le jardin a gardé son bassin central, mais aujourd’hui, les plantes viennent du monde entier. » C’est à Nicholas Tomlan d’imaginer chaque année quel visage donner à chacun des jardins. « Chenonceau étant le “château des Dames”, j’essaie de garder une atmosphère intime, florale, féminine. » Depuis plus de vingt ans, les salles du château sont décorées de bouquets de fleurs qui attirent les visiteurs. Le potager de fleurs à couper fournit une partie de la matière première des fleuristes. Amarantes, dahlias et autres splendeurs sont ainsi cultivées sur un hectare. Branches, herbes et tiges sont quant à elles chinées dans les environs. Leur imagination est aussi débordante qu’inépuisable, puisque les compositions sont changées tous les jours, au rythme de 200 à 300 par semaine ! La thématique de Noël est d’ailleurs devenue un rendez-vous très prisé des connaisseurs…
Le jardin remarquable d’Amboise

Juché sur un promontoire de 40 mètres de haut, le château royal d’Amboise domine la ville d'Amboise blottie à ses pieds et la Loire, royale comme à son habitude tant il a en a vu passer : Charles VIII, François Ier et Léonard de Vinci. C’est au souvenir de Charles VIII qu’Amboise est le plus attaché. « À son retour d’expédition à Naples, Charles VIII revient avec des artistes italiens pour magnifier le château, mais aussi avec un jardinier. Celui-ci dessine un jardin de plain-pied, qui sort de terre en même temps que le château », explique Jean-Louis Sureau. Les jardins d’Amboise sont bien plus qu’un accessoire du château. Sous la férule de Jean-Louis Sureau, chaque arpent de terrain a été pensé pour offrir à l’œil un sentiment d’ouverture et d’harmonie. Le regard se promène sur le site sans que rien ne vienne le contrarier. Les buis ronds au-dessus de la terrasse de Naples semblent prolonger les collines alentour. Comme à l’époque, on trouve des plantes en pot et des pommiers cordons, mais des plantes mellifères ont été ajoutées. La façade Renaissance, les toits d’ardoise des demeures cossues, le fleuve composent un tableau d’une beauté sereine. Tel un amphithéâtre de verdure, le jardin évoque un vaisseau flottant entre ciel et Loire, et dont le château serait la proue. La partie haute du jardin date de l’époque Louis-Philippe. L’œil suit les rouges-queues et les bergeronnettes (les jardiniers taillent en fonction de leur nidification), se promène du château à la chapelle Saint-Hubert, mausolée où serait enterré Léonard de Vinci. Une glycine affiche 192 printemps. Les visiteurs sont invités à grappiller le muscat de Hambourg en septembre, et, chose rare, il est possible de pique-niquer sur les pelouses. Des séances d’observation du ciel étoilé y sont même organisées en été. Il ne faut pas quitter le château sans avoir jeté un œil au jardin d’Orient, conçu en hommage à l’émir Abd el-Kader. Le chef de la résistance algérienne à la colonisation française fut en effet placé en résidence surveillée à Amboise de 1848 à 1852. Ses accompagnants décédés durant cet exil sont enterrés sous une pierre d’Alep, parmi des essences méditerranéennes.