Rando de Navacelles à Saint-Guilhem-le-Désert
Au nord de l’Hérault, l’ancien chemin de Saint-Guilhem, remis en service en 2009, invites les randonneurs à marcher dans les pas des pélerins du Moyen Âge. C’est parti pour 30 kilomètres de grand spectacle entre gorges, causse, forêt et hameaux du bout du monde.
Le cirque de Navacelles
À la frontière entre le Gard et l’Hérault, les gorges de la Vis entaillent le plateau calcaire d’un gigantesque canyon. D’un côté, le causse de Blandas, de l’autre, le causse du Larzac. Trois cents mètres plus bas, dans le formidable cirque creusé par un ancien méandre de la rivière, se love le hameau de Navacelles. Les randonneurs qui suivent le chemin de Saint-Guilhem, l’itinéraire historique qui relie Aumont-Aubrac à Saint-Guilhem-le-Désert à travers le Massif central en douze jours et 240 kilomètres, sont aux premières loges pour profiter du spectacle. Du belvédère de Blandas, côté Gard, le sentier se précipite au fond du cirque de Navacelles. Quelques maisons de pierre, un pont médiéval sur la rivière et une terrasse naturelle, d’où l’eau se jette en cascade… Ici, on se trouve presque au bout du monde. Puis le GR longe les gorges de la Vis avant de remonter en pente abrupte vers Saint-Maurice-Navacelles, sur le causse du Larzac. Notre option de randonnée, moins sportive mais plus courte, consiste à découvrir le cirque de Navacelles de haut en bas en voiture, puis à rejoindre le plateau du Larzac et partir à pied de Saint-Maurice-Navacelles pour la dernière partie du Chemin, qui mène en 30 kilomètres jusqu’à l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert. De l’église du village, à 800 mètres d’altitude, le sentier balisé de rouge et blanc s’élance vers les grands espaces du causse. Sous le ciel limpide, le chemin s’étire, rectiligne, entre des landes steppiques, où ne poussent que le buis, le genévrier, l’églantier aux baies rouges, le prunellier, mais aussi l’emblématique cardabelle. Partout courent des murets de pierre sèche, bâtis pour lutter contre le vent. Çà et là, des champs se dessinent au creux des dolines, ces toutes petites dépressions karstiques où s’accumule l’argile rouge.
Les cow-boys du Larzac
« La terre cultivable tout comme l’eau que l’on collecte dans des bassins appelés les lavognes, et servant d’abreuvoirs aux troupeaux durant la saison sèche, sont des biens précieux sur ces hauts plateaux calcaires, façonnés depuis des millénaires par l’agropastoralisme », rappelle Guillaume Soulages, de l’association Les Amis du chemin de Saint-Guilhem. Après la ferme des Besses, aux gros murs bâtis pour affronter les févriers polaires et les juillets de cagnard, direction le sud. Petite pause sur un promontoire rocheux, où veille une bergerie en ruines, pour admirer la vue sur le massif de la Séranne qui barre l’horizon. Deux kilomètres plus loin, arrivée au Mas de Cisco, un vrai ranch avec de vrais cow-boys en plein Larzac ! Devant les écuries, Jordi Amposta et ses fils, Julian et Charlie, sellent leurs chevaux pour aller regrouper les génisses aux pâturages. Aujourd’hui, le Mas s’est agrandi d’une écurie, spécialisée dans le dressage de pur-sang lusitaniens, et d’un cabaret, qui propose des spectacles équestres aux beaux jours. Cet esprit un peu rebelle, si particulier au Larzac, on le retrouve dans le village de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries, notre étape du soir. « Depuis 1975, la population est remontée de 81 à 298 habitants, dont beaucoup de jeunes », explique Jean-Louis Perez, qui accueille les randonneurs au Relais des Faïsses. Un gîte qu’il a construit de ses propres mains, assorti d’un jardin où il a installé des ruches. « Sur le causse, les gens ont tous plusieurs cordes à leur arc, sourit-il. Au village, l’épicerie est tenue par une architecte ; la secrétaire de mairie est aussi ferronnière d’art. Il faut de l’entraide et de l’imagination pour affronter les hivers longs et froids, loin des lumières des grandes villes. » Témoin de la chaleur humaine locale : le Bistrot du Larzac, où villageois et marcheurs se croisent le soir autour de bons petits plats, au coin du feu ou sur la terrasse.
Le mont Saint-Baudille
Après une nuit au calme, redémarrage à la fraîche. À travers une épaisse forêt de pins, le sentier pentu longe l’ancien massif corallien de la Séranne, surgi il y a des millions d’années du fond des mers, pour déboucher sur un plateau désertique. Là, surprise ! Au milieu de nulle part, un bateau gît, échoué tel l’arche de Noé ! Il faut grimper encore un peu pour arriver sur le point culminant du Larzac. Du mont Saint-Baudille, à 848 mètres, la vue ouvre à 360° sur un panorama époustouflant. À nos pieds, on devine le canyon de la Vis, caché dans les replis de la forêt ; vers le sud, la plaine viticole de l’Hérault se déroule jusqu’à la Méditerranée ; à l’est, on reconnaît entre mille l’accent circonflexe du pic Saint-Loup… Serpentant dans la garrigue, c’est le moment de rejoindre l’autre versant du massif en empruntant un bout de la D122, pour piquer vers un vert vallon, au creux de la forêt. Entre les pins, des monolithes de calcaire aux allures de trolls semblent veiller sur les lieux.
Une immense muraille naturelle
C’est dans ce coin sauvage que prend sa source le Verdus, la rivière qui alimente Saint-Guilhem-le-Désert et son abbaye. L’arrivée au village est tout grandiose. Pour traverser le cirque de l’Infernet, gigantesque muraille naturelle qui enserre le nord du val, les randonneurs empruntent le passage des Fenestrettes. Voie multiséculaire creusée par les moines et soutenue par deux immenses arches de pierre, ce sentier s’arrime à la falaise, en encorbellement au-dessus du vide. Vertige mystique… On imagine bien l’émotion des pèlerins, qui arrivaient d’un long voyage, certains à pied, d’autres à dos de mule, pour venir se recueillir dans cette abbaye du bout du monde. Le village déroule sa coquille de pierres le long du Verdus, jusqu’à la jonction avec l’Hérault et son fameux pont du Diable.
Saint-Guilhem-le-Désert
Sur la grand-place, ombragée d’un platane, l’église abbatiale ouvre ses portes. Fraîcheur de la pierre, robustesse des voûtes et des piliers, rais de lumière solaire. « L’histoire du lieu commence vers l’an 800, à l’arrivée de Guillaume d’Orange, raconte Aude-Lise Theule, responsable du service patrimoine de Saint-Guilhem-le-Désert. Ce noble guerrier franc, qui a combattu aux côtés de Charlemagne contre les Wisigoths et les musulmans, cherche alors un endroit pour embrasser la vie monastique. Il jette son dévolu sur ce site sauvage, perdu au fond des montagnes, mais arrosé par les eaux du Verdus. Un premier monastère, rattaché à l’ordre de Saint‑Benoît, est bâti et grâce à la relique de la croix du Christ que Guillaume a apportée dans ses bagages il connaît un rayonnement immédiat. C’est sur ces vestiges carolingiens qu’au début du XIème siècle, sort de terre l’abbaye romane que l’on découvre aujourd’hui… À son apogée, au XIIème siècle, elle accueillait des pèlerins venus de tout l’Occident chrétien… Puis elle a sombré dans l’oubli. »
La renaissance d’une abbaye
Inscrite avec son village-écrin au patrimoine mondial de l’Unesco et restaurée dans les années 1960, l’abbaye a aujourd’hui retrouvé une part de sa superbe d’antan. Témoin de son âge d’or, le maître-autel à l’effigie du Christ en croix, trésor de marbre blanc et noir, incrusté de verreries, qui fut peut-être offert à Guillaume par Charlemagne. Mais aussi les collections de sculptures du petit musée lapidaire, installé dans l’ancien réfectoire des moines, et ce qui reste du cloître médiéval. Depuis 2009, le renouveau du chemin de Saint-Guilhem, remis en service et entretenu par une association de passionnés, attire également de plus en plus de randonneurs. Pour Aude-Lise, « arriver à pied à Saint-Guilhem, comme les fidèles autrefois, cela redonne son sens au lieu. Au fil de la marche, chacun renoue peu à peu avec son récit, son histoire ».