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Bourg et les mystères de l'estuaire de la Gironde

Les fortifications et le beffoi de l'ancien hôtel de ville de Bourg-sur-Gironde © Philippe Roy / Détours en France

Publié le par Sophie Denis

Longtemps appelée la filleule de Bordeaux, Bourg est une charmante cité médiévale à 40 kilomètres au nord de la capitale girondine. Les pieds dans l’estuaire de la Gironde, la tête dans les vignes, elle offre de belles escapades fluviales ou terrestres, notamment au fil de la route de la Corniche, bordée de jardins fleuris et de belles maisons d’armateurs.

Bourg-sur-Gironde

Une maison dite d'armateur au bord de l'estuaire de la Gironde à Gauriac
© Philippe Roy / Détours en France

Rendez-vous au port de Bourg avec Alexandre Jacques et sa Clapotine, un ancien chaland reconverti dans les promenades sur l’eau limoneuse de l’estuaire de la Gironde. Bourg était déjà un port du temps des Romains et s’est fortement développé au XVe siècle : l’eau montait alors plus haut, au niveau du château. Les gabares partaient jusqu’en mer du Nord, lourdement chargées de vin, ou remontaient l’estuaire jusqu’à Bordeaux pour apporter les pierres des carrières locales, pierres qui ont construit une grande partie de la ville. Nous voilà partis pour une heure de croisière, de quoi avoir un bel aperçu de l’estuaire de la Gironde, cet univers qui aime brouiller les cartes, ni mer, plus tout à fait fleuve, pas encore océan. L’aspect de l’eau a de quoi surprendre, presque crémeux, variant du sable blond à l’ocre brun. Le limon dont elle est chargée en est la cause. Alex joue aux devinettes : « L’eau est douce ou salée ? » Euh... « Douce en surface, salée en dessous. C’est pour ça qu’en 1956, la Dordogne ici était gelée. »

 

En bateau sur la Gironde

Excursion fluviale à bord de la Clapotine dans l'estuaire de Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

C’est vrai que nous ne sommes pas encore à proprement parler sur l’estuaire, mais sur les derniers efforts de la Dordogne pour le rejoindre. La vue sur la rive droite est un régal. Après Bourg et ses façades couleur miel, une ribambelle de maisons lovées au pied de la corniche et noyées dans une végétation teintée d’exotisme : bananiers, palmiers et bougainvilliers, rapportés par les armateurs, se sont bien acclimatés, protégés des vents du nord par la falaise. Le vent se lève, signe que nous approchons de la confluence avec la Garonne. Sur la rive gauche, le profil industriel du bec d’Ambès apparaît comme une faute de goût. Mieux vaut rester concentré sur la rive droite et ses hameaux, La Reuille, Bayon, Le Rigalet, Marmisson. Des escaliers qui grimpent dans la falaise calcaire, des façades qui se confondent avec la roche, ici et là un bout de jardin qui paraît suspendu... des maisons troglodytiques se sont installées dans d’anciennes carrières. « Avant, il n’y avait pas de route pour desservir ces villages qui sont les pieds dans l’eau. Les enfants gravissaient la falaise pour aller à l’école dans les villages au-dessus. » Voici Roque de Thau et son port de poupée, gardé par des carrelets, ces cabanes de pêche perchées comme des échassiers en bord d’eau. Nous sommes désormais entrés dans l’estuaire. Alexandre met le cap sur fort Pâté, en face de Blaye et de sa citadelle. Avec elle et sur l’autre rive Cussac-Fort-Médoc, il forme le verrou voulu par Vauban pour protéger Bordeaux. Sa construction fut une prouesse. C’est un ouvrage militaire sur un vasard, un banc en formation, soumis à la force des courants et des marées. Il fallait oser ! Émergeant d’un rideau d’arbres, fort Pâté accuse aujourd’hui son âge. Alex nous apprend qu’il est à vendre pour 428 000 €... depuis 2014. Il y a peu de candidats pour l’aventure au vu des travaux à prévoir ! Le temps d’un coup d’œil et d’une photo de Blaye et sa citadelle, voilà l’heure du retour. Alexandre a prévu de nous faire longer l’île Verte. L’estuaire de la Gironde compte huit de ces îles singulières, petits bancs de sable devenus grands. « Autrefois, elles étaient habitées. L’île Verte comptait une cinquantaine de familles, un vrai village et une école. » Les Îloutes, comme on les appelait, vivaient de la culture de la vigne et des vergers, avant que les inondations et la production de maïs à la place de la vigne ne les fassent partir dans les années 1960.

 

Vie d’ermite sur une île

Vestiges du château Carmeilh dans l'estuaire de la Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

Nous longeons maintenant l’île du Nord, que l’estuaire toujours en mouvement a relié à l’île Verte pour ne plus faire qu’un seul territoire. Émergeant d’une végétation luxuriante, des bâtiments en ruine apparaissent, châteaux viticoles abandonnés, maisons de famille ensevelies sous les ronces. « Vous connaissez l’histoire du Suisse ? » Alexandre nous raconte le destin de Johann Zamofing, un mystérieux personnage arrivé ici dans les années 1950 : il s’installa au château du Sourget et y vécut en ermite. Pour rejoindre la civilisation, il n’avait qu’une barque rafistolée et un vieux vélo. Un jour, il mit le feu par accident au château, qui brûla entièrement. Mais lui resta encore vingt-cinq ans, retranché dans ses ruines, jusqu’à sa mort en 1995. Alexandre coupe un instant le moteur, le bateau le long de la rive : « Ici, nous sommes dans son jardin. » Les rêves de l’homme sont bien petits face à la nature. De retour sur la terre ferme, nos vélos électriques nous attendent sur le port pour découvrir l’itinéraire observé depuis le bateau, la route de la Corniche jusqu’à Roque de Thau. Avant de quitter Bourg, un arrêt au très beau domaine du Clos du Notaire, dans l’appellation côtes-de-bourg. Amélie, une Audrey Lamy en brune, en est la dynamique propriétaire, avec Victor son compagnon. Jeunes, champenois et plutôt gonflés, ils se sont installés ici en 2015. « On cherchait un terroir avec une identité forte. » Elle nous emmène dans les vignes, il y a de l’herbe partout. « Dans l’herbe, il y a plein de petits animaux qui s’occupent entre eux, au lieu de s’occuper de la vigne. » Le domaine est évidemment en bio, sur un coteau très bien exposé : « Le vent nous protège du mildiou. » Amélie a prévu une dégustation dans une jolie gloriette en pleines vignes. « Elle est du début du XIXe siècle. C’est ici qu’on bénissait le vin avant de l’expédier par bateau », précise-t-elle. La vue sur l’estuaire de Gironde est magique, le vin est excellent, le moment privilégié.

La gloriette du clos du Notaire dans les vignes de Bordeaux à Bourg-sur-Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

Surprise dans les souterrains

Une ancienne carrière de pierre transformée en cuve à pétrole dans les années 30 à Bourg-sur-Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

Chemins herbeux et routes buissonnières nous conduisent au bord de l’eau. D’un côté de la route, des jardinets les pieds dans l’eau, de l’autre de pimpantes maisons d’armateurs aux volets bleus : des chiens qui jappent, des chats qui font la sieste, d’une fenêtre s’échappe un Impromptu de Schumann joué au piano. Le bonheur est ici, jusqu’à Roque de Thau, son petit port et ses carrelets au pied de la falaise. Sur la route du retour, arrêt à Tayac au château Eyquem, dont nous avions aperçu le belvédère pendant la croisière. Sous nos yeux, le bec d’Ambès, l’île Verte, et plus loin le Médoc et ses vignes. Bourg mérite qu’on la découvre derrière ses remparts. La ville haute a du caractère, notamment autour de la place centrale et sa vieille halle. À ne pas manquer, le château qui a connu bien des déboires. D’abord citadelle détruite par Louis XIV, il devint une jolie chartreuse jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands qui l’occupaient finirent par l’incendier. Restaurée à l’identique, elle abrite un musée des calèches. Le plus étonnant se trouve dans ses entrailles. Creusées dans la roche, d’anciennes carrières de pierre abritaient sept cuves à pétrole dont se servirent les Allemands, avant de les vider et de les dynamiter. Des portes dérobées dans la falaise permettent d’y accéder. Le plus étonnant est l’odeur, toujours très tenace. L’Histoire ne s’oublie pas comme ça !

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