Depuis la fin des années 1990, la belle Atlantique ne cesse de se réinventer. Après s'être débarrassée de son corset de pierres sombres, avoir retrouvé la fierté de son fleuve, développé de nouveaux quartiers, elle inspire à ceux qui la découvrent un nouveau mode de visite, tendance « slow tourisme ». À la voiture, on préfère évidemment la marche, le vélo (ici, il s'appelle V3 et les stations sont nombreuses) et le tram (quatre lignes depuis 2020, avec le nouveau tram D, accessible dès la gare). La capitale girondine en quarante-huit heures ? Chiche !
Que faire à Bordeaux ? Notre circuit pour visiter Bordeaux à pied, à vélo ou en tram

Samedi matin, centre-ville et XVIIIe siècle
Cap sur le centre depuis l'office de tourisme. Pleins feux sur le XVIIIe siècle triomphant qui s'affiche dans le triangle d'or, entre les allées de Tourny, le cours de l'Intendance et le cours Georges-Clemenceau. Joyau de cette architecture, le Grand-Théâtre, édifié à partir de 1776 par Victor Louis, présente péristyle avec colonnes corinthiennes, portique, terrasse surmontée de muses et déesses antiques… Difficile d'imaginer qu'un tiers du bâtiment, qui fait quand même 88 mètres de long, repose sur des pilotis, pour cause de sol instable, car vaseux. La Garonne est juste en contrebas ! L'office de tourisme organise des visites guidées, mais vous pouvez vous glisser dans le vestibule pour admirer le grand escalier qui inspira Charles Garnier pour l'opéra de Paris.

En face, prenez la petite rue Mautrec ; au bout, une jolie place pavée avec la statue de Goya - le peintre finit ses jours à Bordeaux - et la façade très baroque de l'église Notre-Dame qui rappelle celle du Gesù à Rome. Changement de décor et de siècle avec le passage Sarget, qui n'a rien à envier à ses cousins parisiens avec sa charpente métallique, ses boiseries et son décor de cornes d'abondance en l'honneur du dieu du commerce Mercure. Le temps de quelques boutiques raffinées au fil du tapis rouge, et vous voilà cours de l'Intendance et ses immeubles cossus, à l'image des hôtels Pichon (XVIIe siècle) et Acquart (XVIIIe siècle), remarquables pour leurs atlantes (n° 4 et 5). Remontez le cours jusqu'à la place Gambetta, récemment rajeunie par un jardin ouvert sur le bel ordonnancement des façades classiques. Ou tournez à gauche et descendez jusqu'à la Garonne par le cours du Chapeau-Rouge.

Négociants et armateurs font appel aux plus grands architectes bordelais pour leurs hôtels particuliers. La proximité de la place de la Bourse en faisait un lieu très convoité. Au n° 25, remarquez l'hôtel Saige, d'inspiration néoclassique, bâti par Victor Louis pour prolonger l'harmonie du Grand-Théâtre, son voisin. L'arrivée sur les quais est théâtrale : les jardins sont pomponnés, l'œil s'échappe vers l'horizon dégagé de toute intrusion verticale ; le ruban des façades de pierres blondes qui répond au cours limoneux du fleuve rappelle le souhait de l'intendant Tourny : ouvrir la ville sur son fleuve.

Œuvre de Jacques Gabriel, la place de la Bourse, autrefois place Royale, est devenue le symbole de Bordeaux. Sa beauté classique, un peu figée, est rehaussée depuis 2006 par le miroir d'eau dans lequel elle se reflète. Les façades impassibles des quais de la Douane et de Richelieu cachent un entrelacs de ruelles et de places à arpenter le nez en l'air, à l'affût d'un détail architectural. Le quartier Saint-Pierre célèbre toujours le XVIIIe siècle, à l'image de la place du Parlement, nichée derrière la place de la Bourse. Là, comme dans les rues alentour, amusez-vous à détailler les quelque 3 000 mascarons qui animent les façades. Ils racontent à leur manière l'histoire de la ville, son lien avec le commerce maritime et la traite négrière.
Un après-midi médiéval
Vos pas vous mènent tout sud vers le cours Alsace-Lorraine : avec le cours Victor-Hugo, il délimite le quartier Saint-Éloi, qui cache derrière ses immeubles classiques une âme moyenâgeuse. Rares sont en effet les vestiges épargnés par les travaux d'embellissement voulus par l'intendant Tourny ! Vous les retrouvez rue Rousselle, une des plus anciennes de Bordeaux et rue Neuve, qui, malgré son nom, abrite au n° 4 la plus vieille maison de la ville, sorte de petit hôtel particulier du XIIIe siècle, construit pour un parlementaire.

Impasse de la Rue-Neuve, une façade Renaissance italienne abritée derrière une grille présente deux galeries dont l'une avec les bustes d'un homme et d'une femme. Il s'agit de la maison de Jeanne de Lartigue, l'épouse de Montesquieu. Au 52 du cours Victor-Hugo, une grille réglemente l'accès à l'impasse de la Fontaine-Bouquière. Si la fontaine qui servait aux mendiants est aujourd'hui bouchée, la venelle étroite entre deux rangées d'immeubles héberge des souvenirs de la seconde enceinte de Bordeaux, ensemble à double rempart et douves du XIIIe siècle.

Le plus beau vestige de cette période est la Grosse Cloche, autrefois appelée porte Saint-Éloi. Elle affiche une identité Renaissance, mais ses soubassements sont du XIIIe siècle, quand elle formait avec six autres tours le système défensif du quartier. Ancien beffroi de l'hôtel de ville, elle devient prison au XVIe siècle. Une visite guidée est nécessaire pour découvrir les cellules, les graffiti des prisonniers et le mécanisme de l'horloge astronomique (1759). Après une journée bien remplie, soufflez en vous posant à une terrasse sur les quais ou sur l'un des rooftops de la ville (Mama Shelter et Grand-Hôtel en cœur de ville, Radisson Blu et restaurant Gina de l'hôtel Renaissance à Bacalan).
Dimanche matin à Bacalan : Cité du vin et base sous-marine

Et si vous consacriez votre dimanche à des lieux plus insolites et excentrés, mais toujours faciles à rejoindre par le tram. La ligne B (Berges de la Garonne) vous emmène à Bacalan, ancien quartier populaire, aujourd'hui très prisé des néo-Bordelais. Après le pont Chaban-Delmas, la Cité du Vin, inaugurée en 2016, marque l'entrée des Bassins à flot, la zone portuaire désormais transformée en lieu du « vivre autrement ». Son architecture controversée évoque l'univers du vin en échappant à la muséographie traditionnelle ou au parc à thème.

Un pari réussi quand on arpente le parcours permanent de cette Cité du vin, 3 000 mètres carrés répartis en une vingtaine d'espaces thématiques. L'ensemble est ludique et interactif. Poussez jusqu'à la base sous-marine de l'autre côté des bassins. Construite par les Allemands pendant la Seconde Guerre pour abriter leurs sous-marins, cette architecture de béton et d'acier colossale s'est transformée en espace culturel, notamment pour les Bassins des Lumières et leurs projections d'art numérique. Revenez sur vos pas pour une pause gourmande aux halles de Bacala (Biltoki) où vous attendent plus de 20 producteurs et chefs pour goûter le meilleur du Sud-Ouest. Installé à la terrasse au bord du bassin, le nez au soleil, savourez…

La rive droite, en douceur

À pied ou à VCub (vélo en libre-service, ndlr), traversez le pont Chaban-Delmas, inauguré en 2013 tout près de la Cité du vin. Conçu avec travée levante, la plus haute d'Europe, pour laisser passer les bateaux de croisière, il fait le trait d'union entre le Bordeaux d'hier et celui du XXIe siècle. Le panorama est unique. Longue coulée verte qui flirte avec le fleuve, le parc aux Angéliques est une parenthèse bienvenue dans une ville qui fut longtemps minérale. Plus de 7 000 végétaux dont l'angélique des estuaires, plante endémique et protégée, accompagnent les promeneurs sur plus de trois kilomètres. Vous allez aussi croiser des lieux alternatifs, culturels ou associatifs, qui ont investi la rive droite ces dernières années, tels la Fabrique Pola, collectif consacré à la création, les Chantiers de la Garonne, à la fois restaurant les pieds dans le sable, brasserie bio et club nautique pour s'initier au paddle sur le fleuve.

Devenu une institution, le plus emblématique de ces lieux est l'écosystème Darwin, qui a magnifiquement fait revivre l'ancienne caserne Niel, en laissant cohabiter dans un joyeux désordre skate-park, boutique Emmaüs, espace de coworking, concerts de musique électro, potagers en permaculture, bistrot-épicerie bio et locavore. À voir absolument, pour son ambiance « village » et son architecture industrielle incroyable, sublimée par des fresques de street-art. Et, pour clore en musique et en douceur ce week-end bordelais, rendez-vous en face à la guinguette Chez Alriq, avec son grand jardin fait de bric et de broc, sa cuisine melting-pot, ses concerts sous les frondaisons (dimanche à 17 heures).