
« Au marché de Brive-la-Gaillarde ; À propos de bottes d’oignons ; Quelques douzaines de gaillardes ; Se crêpaient un jour le chignon », chantait Georges Brassens en 1953 bien qu’il n’ait jamais mis les pieds dans la ville. Depuis, l’un des plus authentiques marchés de la Corrèze n’a pas pris une ride. Sous la halle baptisée Georges-Brassens en l’honneur du célèbre chanteur, c’est un feu d’artifice multicolore de légumes, de fruits, de truffes, de foies gras et autres délices du terroir qui débordent des étals et des paniers. Toute la Corrèze semble s’y retrouver ce samedi matin, et les producteurs installés depuis 5 h 30 comme Éric Baudry ne comptent plus le nombre de clients qu’ils ont servis. « J’ai quasiment écoulé toute ma marchandise, voici mes derniers cageots et il n’est que 9 heures », explique ce producteur de légumes installé à 25 kilomètres de Brive-la-Gaillarde, couramment appelé Brive. « C’est ainsi tous les samedis, parmi mes clients beaucoup sont des chefs comme Franck », explique-t-il en désignant le jeune homme qui lui achète ses dernières carottes. Datant du début du XIIIe siècle, le marché de Brive était déjà réputé en Corrèze bien avant la chanson de Brassens.
Une terre de paysans

Entourée de régions maraîchères où les fermiers possèdent des lopins de terre, Brive a été, dès le Moyen Âge, un carrefour où les paysans venaient écouler leurs productions et des animaux vivants. Aujourd’hui encore, des volailles vivantes caquettent sur certains étals et près de 300 exposants viennent ici à la rencontre des clients. « Certains font partie de familles de commerçants depuis cinq ou six générations. Ce marché, c’est un peu toute leur vie. J’y fais moi-même mes courses depuis plus de dix ans et mes parents depuis 1991, l’année où ils ont ouvert leur restaurant. Chaque semaine, on retrouve les habitués, producteurs comme acheteurs. Beaucoup d’anciens m’ont vu grandir », déclare Franck Tessandier, cuisinier de Chez Francis, l’un des meilleurs restaurants de la ville. Quelques présentoirs plus loin, c’est chez Alain Tournier, producteur de truffes, que Franck vient acheter quelques tubercules du fameux champignon. « Cela donne un goût de noisette dans mes tartares de veau, accompagnés d’un filet d’huile d’olive et de citron », affirme le chef. Et d’ajouter en humant les odeurs délicates des truffes : « En dehors de l’ambiance conviviale, c’est aussi un lieu où il est garanti de trouver de bons produits. » Arrivé au marché à 7 heures, le chef achève sa matinée par l’achat de quelques fromages chez Gilles et Sandrine Faure, spécialisés en brebis. « Leur fôte des bergères au lait cru n’a pas son pareil », lance-t-il avant d’embarquer ses trouvailles dans son camion.
Parcours architectural

Si son marché est une institution, Brive est également truffée de bonnes adresses et abrite quelques trésors de pierre. En sortant de la Halle Georges-Brassens, impossible de manquer le phare qui semble veiller sur la ville du haut de ses 22 mètres. Ce bâtiment du XIXe siècle est en réalité un ancien château d’eau qui dévoile depuis son sommet une vue imprenable sur la ville construite autour de sa collégiale. Une dizaine de pas plus loin, une fois traversé le boulevard Anatole-France, commence déjà le cœur historique de Brive. Un arrêt s’impose à la chapelle Saint-Libéral (datant du XVe) qui possède un magnifique portail de style roman limousin. Désacralisée, elle accueille aujourd’hui des expositions contemporaines. Dans la rue Saint-Libéral qui jouxte la chapelle, salons de thé, petits restaurants et cafés invitent à une halte. En rejoignant la rue de Toulzac, nous arrivons sur la place Charles-de-Gaulle où se dresse la collégiale Saint-Martin flanquée d’un clocher de style néoroman. Construite au XIIe siècle, elle abrite un bel ensemble de chapiteaux historiés et une crypte paléochrétienne. En s’aventurant dans les ruelles qui entourent l’édifice, on découvre un certain nombre de belles demeures, comme la tour des Échevins de la Première Renaissance (1420-1500) ou l’hôtel de Maillard-Quinhart, une splendide bâtisse du XVe siècle rehaussée de trois tourelles et de deux escaliers à vis. Quelques pas plus loin, le musée Labenche, bâtiment Renaissance avec ses fenêtres à meneaux, la maison Cavaignac, un ancien couvent des Clarisses du XVIIe siècle, et l’ancien collège des Doctrinaires, l’actuel hôtel de ville, complètent ce parcours architectural.
Balade gourmande dans le centre-ville

Dans ces rues piétonnes autour de la collégiale, se cachent des pépites gastronomiques qui ne demandent qu’à être découvertes. Démarrons avec la Fromagerie par Bruno, située à l’entrée de la rue de l’Hôtel-de-Ville au rez-de-chaussée d’un bel immeuble du XIXe siècle. « Je suis d’abord un amoureux et un grand consommateur de fromages. Quand je me rends dans une région, j’aime fouiller tous les recoins à la rencontre des petits artisans afin de dégoter le fromage le plus artisanal et le plus puissant en saveur possible », explique Bruno Courivaud qui a ouvert sa boutique il y a six ans à la suite d’une reconversion professionnelle. Et sa passion paie, puisque sa fromagerie est devenue un temple des fromages fermiers et une adresse incontournable pour les fines bouches brivistes. En face, la Chocolaterie Lamy, une autre belle adresse qui dévoile ses secrets de fabrication artisanale à travers les vitres de son atelier. Les passants peuvent observer les artisans travailler la pâte de cacao, sculpter et façonner le chocolat sous différentes formes. Parfois en œuvre d’art. « J’aime l’idée que les gens apprennent par quelles étapes le cacao est passé avant de finir dans leur bouche », explique Adrien Lamy, maître chocolatier qui a le projet d’ouvrir bientôt un distributeur de tablettes de chocolat attenant à sa boutique. Toujours dans la rue de l’Hôtel-de-Ville, la Cave du Pic Vert est le rendez-vous immanquable des amateurs de bon vin. « Pas que bon. Mais aussi bio, naturel et biodynamique. Il y a quelques années, tous les petits vins que je présentais n’intéressaient pas grand monde. Aujourd’hui, les choses bougent ; les gens acceptent que le vin puisse être bio et bon. La preuve en est que nous figurons parmi les coups de cœur du guide 2019 de la Revue du vin de France », explique Pierre-Alexandre Bodiguel qui s’est installé en tant que caviste à Brive en 2016. Dans la rue parallèle, la boulangerie Golfier ne désemplit pas. « Nous sommes habitués à avoir foule, et on ne s’en plaint pas », explique Sylvie Golfier, la patronne. Brivistes ou touristes de passage, tout le monde passe chez elle pour goûter ses fameuses madeleines, nature ou enrobées de chocolat, qui auraient, selon la rumeur, séduit le chef de cuisine de l’Élysée.
Le goût et le savoir-faire

La rue de l’Hôtel-de-Ville débouche sur le boulevard du Maréchal-Lyautey où se trouve la plus ancienne distillerie de la ville encore en activité. Fondée en 1839, l’entreprise familiale Denoix fonctionne toujours selon les mêmes recettes ancestrales et distille la même liqueur Suprême Denoix, une eau-de-vie à base de noix inventée par leur aïeul il y a plus de cent quatre-vingts ans. « Le milieu du XIXe siècle était une grande époque de l’art de vivre à la française. On voit alors se développer de nombreuses maisons de liquoristes à Brive. Notre entreprise familiale est la seule qui reste aujourd’hui », explique Sylvie, quatrième génération Denoix de maîtres liquoristes, qui aime raconter la saga familiale au nom prédestiné. D’impressionnants alambics en cuivre rutilants s’alignent dans l’atelier, dont le décor et l’ambiance semblent s’être figés au XIXe siècle. La distillerie a reçu le label « Entreprise du patrimoine vivant » en 2007, et leurs liqueurs sont utilisées par certains chefs pâtissiers reconnus. Depuis quelques années, la liqueur Fenouillette, fabriquée à base de graines de fenouil, est devenue la star chez les baristas des grandes villes qui l’utilisent dans leurs cocktails pour apporter un délicat goût de fraîcheur. « Mon père a toujours dit que l’artisanal et l’authentique gagneraient sur l’industriel. C’était vrai pour notre entreprise. C’est vrai aussi pour beaucoup de bons producteurs du terroir et de maraîchers qui font vivre notre ville et qui participent à sa réputation de gourmande », confie Sylvie Denoix.